Nigeria : l'industrie du kidnapping

Le président du Nigeria a mobilisé vendredi 8 mars, les forces de sécurité pour retrouver plus de 250 élèves kidnappés par des hommes armés lors d'une attaque contre une école dans le nord-ouest, dans l'un des plus importants enlèvements de masse en trois ans dans ce pays.

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Une femme vend des sachets d'eau dans la rue à Kaduna, au Nigeria, vendredi 3 mars. 

Une femme vend des sachets d'eau dans la rue à Kaduna, au Nigeria, vendredi 3 mars. 

(Photo AP/Dimanche Alamba)
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Cet enlèvement survenu jeudi dans l'Etat de Kaduna est le deuxième en une semaine dans le pays le plus peuplé d'Afrique, où des bandes criminelles lourdement armées ciblent régulièrement des victimes dans des villages, écoles, églises, ou sur l'autoroute, à des fins de demande de rançon.

Un enseignant et plusieurs habitants ont rapporté qu'au moins 200 élèves, voire 280, avaient été enlevés. Les autorités locales de Kaduna ont confirmé l'enlèvement dans l'école de Kuriga, sans toutefois préciser le nombre d'élèves kidnappés, en cours d'évaluation.

Au moins une personne a été tuée lors de l'attaque, selon des habitants.

Le nombre réel d'enfants enlevés reste à déterminer

Selon Sani Abdullahi, l'un des enseignants de l'école GSS Kuriga, dans le district de Chikun, le personnel a réussi à s'échapper avec de nombreux élèves alors que les hommes armés tiraient en l'air.

"Nous essayons de déterminer le nombre réel d'enfants enlevés", a-t-il déclaré jeudi soir à des responsables locaux.

"À l'école secondaire de Kuriga, 187 enfants sont portés disparus, tandis qu'à l'école primaire, 125 enfants étaient portés disparus, mais 25 sont revenus", a-t-il détaillé.

Selon un habitant interrogé par l'AFP, Muhammad Adma, "plus de 280 enfants ont été enlevés".

Un autre habitant, Musa Muhammed, a rapporté avoir entendu tôt le matin "des tirs provenant de bandits (...) Ils ont enlevé les étudiants et leurs professeurs, près de 200 personnes". "Nous implorons le gouvernement (...), qu'ils nous aident sur la sécurité", a-t-il ajouté.

Deux autres habitants ont dit qu'environ 200 élèves avaient été enlevés.

Un défi énorme pour le président Tinubu

Cet enlèvement survient quelques jours après un précédent kidnapping de plus de 100 femmes et enfants la semaine dernière dans un camp de déplacés dans l'Etat du Borno (nord-ouest) par de présumés jihadistes. Ces faits illustrent l'immense défi sécuritaire auquel est confronté le président Bola Ahmed Tinubu, au pouvoir depuis l'an dernier.

"J'ai reçu des informations des chefs de la sécurité sur les deux incidents, et j'ai bon espoir que les victimes vont être secourues", a dit M. Tinubu dans un communiqué où il ordonne aux forces de sécurité de traquer les ravisseurs. "La justice sera rendue de manière décisive", a-t-il promis.

Bola Ahmed Tinubu est arrivé au pouvoir en promettant, comme ses prédécesseurs, de s'attaquer à l'insécurité, alimentée par les groupes jihadistes, les bandits dans le nord-est et la flambée de violence intercommunautaire dans les Etats du centre.

"Lieux de sécurité"

Aucun chiffre officiel sur le nombre de personnes kidnappées n'a été communiqué à ce stade. "Pour l'instant, nous ne connaissons pas le nombre d'enfants ou d'étudiants qui ont été enlevés", a déclaré le gouverneur de l'État de Kaduna, Uba Sani, aux journalistes sur place. "Aucun enfant ne sera abandonné", a-t-il assuré.

Les estimations concernant le nombre de personnes enlevées ou portées disparues au Nigeria baissent souvent après le retour chez elles des personnes ayant réussi à fuir les assaillants.    

Amnesty International a condamné les enlèvements à Kaduna en appelant les autorités nigérianes à mieux protéger les écoles. 

"Les écoles devraient être des lieux de sécurité, et aucun enfant ne devrait avoir à choisir entre son éducation et sa vie", a déclaré l'association de défense des droits sur X. "Les autorités nigérianes doivent prendre immédiatement des mesures pour empêcher les attaques contre les écoles".

Il y a près de 10 ans, l'enlèvement des filles de Chibok

Au cours des dernières années, des centaines d'enfants et d'étudiants ont été kidnappés lors d'enlèvements de masse dans le nord-ouest et le centre du Nigeria. La plupart ont été relâchés après versement d'une rançon, au bout de plusieurs semaines ou mois de captivité dans des camps cachés dans les forêts des Etats du nord-ouest du pays.

Voici près de dix ans, des djihadistes de Boko Haram avaient kidnappé plus de 250 écolières de Chibok, dans le nord-est du Nigeria, suscitant un tollé international. Certaines d'entre elles sont toujours portées disparues.

En février 2021, des hommes armés avaient attaqué une école pour filles dans la localité de Jangebe, dans l'Etat de Zamfara (nord), enlevant plus de 300 personnes.

Entre juillet 2022 et juin 2023, 3.620 personnes ont été kidnappées lors de 582 attaques dans le pays, selon la société nigériane de conseil en gestion des risques, SBM Intelligence.

 

La crise des enlèvements au Nigeria

 

Les enlèvements contre rançon constituent un problème majeur au Nigeria.

A un moment où le pays fait face à des problèmes de sécurité sur plusieurs fronts, la prise d’otages est devenue une industrie nationale et une stratégie privilégiée par des gangs de "bandits" et des jihadistes. 

Le raid contre l'école de Kuriga, dans l'Etat de Kaduna, dans le nord-ouest, fait suite à un autre enlèvement massif, dans le nord-est, la semaine précédente, avec plus de 100 personnes toujours portées disparues.

- Quel est le contexte ? -

Au début des années 2000, des ravisseurs ciblaient des employés du secteur pétrolier dans le delta du Niger mais le problème s'est aggravé après une insurrection jihadiste en 2009 dans le nord-est du Nigeria. 

Les jihadistes de Boko Haram et le groupe rival Etat islamique en Afrique de l'Ouest (ISWAP) procèdent encore régulièrement à des enlèvements. 

Les milices antijihadistes ont imputé à l'ISWAP l'enlèvement massif de femmes et d'enfants dans des camps de personnes déplacées par le conflit dans le nord-est à Ngala, dans l'Etat de Borno, la semaine dernière. 

Mais avec la montée en puissance de bandes criminelles lourdement armées, connues localement sous le nom de "bandits", le nord-ouest est devenu la région la plus touchée par les enlèvements. Les gangs ont visé des écoles et des collèges dans le passé mais ces attaques ont récemment connu une accalmie.

Les gangs qui se livrent à des kidnappings opèrent également dans tout le Nigeria, ciblant tout le monde, des écoliers aux familles des monarques traditionnels. 

Plusieurs experts estiment que la crise économique dans ce pays est désormais à l'origine d'une augmentation du nombre des enlèvements, des Nigérians désespérés se tournant vers des activités criminelles pour gagner de l'argent. 

"Tout cela, c'est à cause du manque d'argent et de la pauvreté", souligne Emeka Okoro, un expert auprès du cabinet nigérian de conseil en risques SBM Intelligence. 

"Le niveau de pauvreté dans le nord-ouest est élevé", a-t-il dit à l'AFP. "Les enlèvements sont lucratifs : d'énormes sommes d'argent ont été versées dans le passé pour sauver des écoliers".

- Quelle est l'ampleur du problème ? -

Les chiffres sur les enlèvements sont notoirement peu fiables en l'absence de signalement de tous les cas. 

En janvier, la SBM a déclaré en avoir enregistré 3.964 depuis que le président Bola Ahmed Tinubu a pris ses fonctions en mai 2023. 

Le tristement célèbre enlèvement de 276 écolières à Chibok, dans le nord-est du Nigeria, par les jihadistes de Boko Haram avait fait la une des médias du monde entier il y a dix ans mais les enlèvements au quotidien attirent rarement l'attention.

- Qu'ont fait les autorités ? -

Des familles et des communautés entières mettent souvent leurs économies en commun pour payer des rançons mais une loi votée en 2022 interdit de verser de l’argent aux ravisseurs. 

Toutefois, de nombreuses familles disent leur absence de confiance dans les autorités et estiment ne pas avoir d'autre choix. 

Parmi les méthodes utilisées par les autorités, il y a l'enregistrement des cartes SIM des téléphones portables pour aider à retrouver les ravisseurs. 

La police a déployé des unités anti-enlèvements mais les gangs se cachent dans des forêts presque inaccessibles et difficilement contrôlables. 

Dans le nord-ouest du Nigeria, les autorités ont tenté de négocier avec des "bandits", de conclure des accords d'amnistie et de déployer des groupes d'autodéfense – mais sans grand succès.

- Qu'a dit le président ? -

Le président Tinubu a condamné les enlèvements de Kuriga et de Ngala et a ordonné aux forces armées de secourir les personnes enlevées. 

"Je suis convaincu que les victimes seront secourues", a-t-il déclaré vendredi. 

En début d'année, le chef de l'Etat a promis de s'attaquer aux causes profondes des attaques, notamment par le biais de l'éducation à la suite du tollé suscité par l'enlèvement violent de cinq jeunes sœurs près de la capitale Abuja. 

Il n'a toutefois pas défini de stratégie précise et ses détracteurs affirment que la crise des enlèvements est hors de contrôle.