Nigeria : pourquoi Boko Haram et leurs captives sont-ils introuvables ?
A quelques jours d’intervalle, Boko Haram a enlevé plus de 200 jeunes filles, pris en otage 11 nouvelles lycéennes, massacré des centaines de personnes dans la région de Gamboru Ngala et publié deux vidéos de propagande… Mais on ne sait toujours pas où sont les jeunes filles, ni où trouver les membres de ce groupe djihadiste. Pourquoi ?
Le Nord, leur fief Ils sont chez eux au Nord, et cela depuis des années. C’est pourquoi, il est difficile pour les autorités de pénétrer dans cet espace qu’ils se sont approprié. En effet, l’incurie de l’Etat face à la situation de pauvreté au Nord du pays explique, en partie, pourquoi les islamistes de Boko Haram ont pu prendre le pouvoir dans cette région. Depuis des années, le Nigeria est partagé entre le nord, région agricole et extrêmement pauvre et le sud, région pétrolière. C’est dans ce contexte que Boko Haram a étendu son emprise sur le nord du pays. « Boko Haram a pu vivre et se développer sur un terreau socio-économique totalement abandonné par les autorités de l'Etat » explique Antoine Glaser, journaliste, écrivain et spécialiste de l’Afrique. Louis Keumayou, journaliste indépendant et président du Club de l'Information Africaine ajoute : « Boko Haram est dans une zone où les armées des différents pays (limitrophes, ndlr) sont très peu présentes. Et au-delà des armées, les administrations non plus ne sont pas très présentes dans ces zones là, qu'il s'agisse du Cameroun, du Nigeria, du Niger ou du Tchad. Et Boko Haram contrôle cette zone depuis de nombreuses années. » Le contrôle de la région passe, bien sûr par l’instauration de l’idéologie islamiste. Et pour cela, la secte a également développé des écoles coraniques dans la région. Une façon de se substituer à l’Etat, très peu présent et de propager cette idéologie. Cette stratégie a porté ses fruits puisqu’un « certain nombre de jeunes à l'abandon ont rejoint Boko Haram » assure Antoine Glaser.
Une région propice pour se cacher ? « Le Nord est une région moins urbanisée que le sud, il est totalement en marge d'Abuja (la capitale du Nigeria, ndlr). C’est le « bush », la savane, et ils (les membres de Boko Haram, ndlr) se cachent dans des semi-forêts. Dans le sud, qui est beaucoup plus développé, ils ne pourraient pas prospérer comme ça » affirme Antoine Glaser. Une connaissance du terrain et un espace peu peuplé expliquerait la facilité qu’on les islamistes à se cacher et donc, la difficulté pour les forces armées des pays limitrophes de les trouver. Pour Louis Keumayou, il y a une autre explication. « Nous sommes dans un espace sahélien, il n'y a pas beaucoup de végétation. Si l’on survole la zone, on les verra. Mais vu que personne n'a idée de l'armement dont ils disposent, personne ne veut se risquer à perdre des hélicoptères ou des avions. » Pourtant, l'armée américaine vient d'envoyer des pilotes pour survoler le Nigeria en quête des quelque 200 lycéennes enlevées en avril dernier. Complicité Est-il possible que Boko Haram agisse si rapidement et si facilement sans l'aide de personne ? En 2012, le président actuel, Goodluck Jonathan, affirmait publiquement lors d'une cérémonie religieuse : « Certains (complices de Boko Haram) sont dans l'appareil d'Etat, certains font partie du parlement, d'autres agissent au sein du système judiciaire. D'autres encore sont au sein des forces armées, de la police et des services de sécurité ». C’est ce que confirme Louis Keumayou. En effet, depuis des années, Boko Haram avait le soutien « des politiciens musulmans (qui font partie du gouvernement, ndlr) qui exploitaient leur capacités de nuisance pour déranger le pouvoir central ». Ce sont les même qui « aujourd'hui sont incapables de contrôler Boko Haram. » La prochaine élection présidentielle de 2015 est également un enjeu pour « les forces politiques dans le Nord du pays. Je ne dis pas qu'elles soutiennent directement Boko Haram mais si un certain nombre de barons du nord veulent récupérer le pouvoir au Nigeria, ils devront peut-être se rapprocher de la secte. » Le nord a été laissé aux mains d'une police et d'un armée extrêmement corrompues et violentes. Cette situation a d'ailleurs « déclenché un réflexe totalement paradoxal : finalement, un certain nombre de villageois ont soutenu Boko Haram. » assure Antoine Glaser. Pour Louis Keumayou, les villageois préfèrent aller dans le sens des membres de la secte, par peur des représailles. « C’est un peu comme les trafics de drogue en Colombie, les gens n’ont pas le choix ».
Manque de moyens ou de volonté ? L’Etat nigérian manque-t-il de moyens pour mettre en œuvre des recherches ? N’a-t-il pas l’envie de le faire ? On peut se poser ces questions. Le gouvernement nigérian fait l’objet de critiques depuis un mois pour son manque d’investissement dans la quête des jeunes filles et donc, de combativité envers Boko Haram. C’est précisément cette attitude du Nigeria qui « inquiète » Louis Keumayou. « Nous avons été habitués à un Nigeria plus offensif contre les mouvements islamistes et indépendantistes. Avant, l'armée était sans pitié. Mais je ne sais pas ce qui s'est passé, le gouvernement s’est attendri. Ils sont trop mous dans leurs décisions ». Un paradoxe pour la première puissance économique africaine avec un PIB dépassant désormais celui de l’Afrique du Sud. Le Nigeria serait donc « un géant au pieds d’argile ? » s’interroge Louis Keumayou. Récemment, le Nigeria a appelé les puissances occidentales à apporter leur aide dans le combat contre Boko Haram. Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont répondu présents. Pourquoi le Nigeria a-t-il fait cette annonce, lui qui est pourtant très soucieux de sa souveraineté nationale ? Serait-ce pour profiter des moyens techniques dont il ne dispose pas ? En effet, « là où s'arrête la compétence du Nigeria, c'est peut être dans les airs, avec les satellites » explique Louis Keumayou. Selon lui, cette option satellitaire pourrait permettre de localiser la secte, mais cela relève de la volonté des Etats de mettre ces moyens à disposition. Les Américains viennent de faire le premier pas en ce sens puisqu'un haut fonctionnaire de l'administration américaine a annoncé : "Nous avons partagé des images satellites commerciaux avec les Nigérians et nous effectuons des vols, avec pilotes, d'espionnage, de surveillance et de reconnaissance au-dessus du Nigeria, avec la permission du gouvernement". Antoine Glaser rappelle que ce scénario a déjà eu lieu en 2008 lorsque le président nigérian de l’époque, « Umaru Musa Yar'Adua, avait demandé à Nicolas Sarkozy d'avoir une coopération en matière de renseignement parce qu'il ne savait pas ce qui se passait dans sa propre armée ». Ce fut un échec puisque « les militaires nigérians ne voulaient pas que l'on sache ce qui se passait au niveau de la corruption ». La coopération sur le terrain entre occidentaux et nigérians pourrait donc s’avérer plus compliquée que prévue...
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