Fil d'Ariane
Comme toujours avec les Êtres qui cheminent, en quête d’équilibre et d’harmonie intérieurs, ce qui est bien entendu le cas pour Nathalie Vairac et Ablaye Cissoko dans leurs quotidiens respectifs, ce n’est pas le but à atteindre qui prime, mais bien le chemin que l’on arpente, avec ses sentiers escarpés et ses pentes raides. Un chemin fait de rencontres, en particulier avec des personnes dont le besoin d’échanger nécessite parfois un accompagnement. C’est l’une des raisons qui ont poussé Nathalie Vairac et Ablaye Cissoko à réunir dans cet album le fruit de leurs collaborations. Ce faisant, ils nous font (re)découvrir la profondeur et la richesse de chacun des 12 titres de cet album aux accents de blues mandingue, qui rappelle volontiers feu le chanteur et guitariste malien Ali Farka Touré !
Ecouter "Marcher", premier titre de l'album "Nite", d'Ablaye Cissoko & Nathalie Vairac"
Cet album, « Nite », qui, comme nous l’a précisé Nathalie Vairac, « se prononce Nité, comme s’il y avait un accent, et qui signifie en wolof l’humain, la personne… », ne porte pas ce nom par hasard. En effet, « ce mot, poursuit Nathalie Vairac, peut aussi sous-entendre, selon la phrase : prendre ses responsabilités en tant qu’être humain. Donc voilà, c’est le devoir d’humain. »
Et si ce titre a été choisi : « C’est parce que, précise Nathalie Vairac, j’ai beaucoup écrit en laissant jaillir en fait, la nuit, des mots, des phrases… Et une fois que j’avais tout relu, et que tout était là, je me suis aperçu que le mot humain revenait dans beaucoup de morceaux. Et donc j’ai demandé à Ablaye comment on traduisait humain. Je lui ai montré ça, je lui ai montré que ça revenait. Et je ne voulais pas le corriger juste du point de vue de l’écriture, à savoir ne pas remettre le même mot. Mais on s’est dit : puisque ça revient, on le laisse, et puis il est important. Je lui ai demandé de le traduire en wolof. Après un professeur de linguistique a aussi traduit, en donnant le sens profond. Et c’est devenu « Nite », qui est le mot wolof qui signifie humain, humanité… A un moment, on voulait l’écrire en jouant sur le mot Huma – Nité. Ensuite, on a laissé « Nite », donc voilà. »
Née d’un père guadeloupéen et d’une mère indienne dans un village du Bordelais, c’est à Paris que Nathalie Vairac perfectionne ses talents de comédienne, aux côtés de mentors de renommée internationale comme feu les comédiens et scénaristes Sotigui Kouyaté (Mali – Burkina Faso) et Philippe Adrien (France). Nous sommes au milieu des années 1990. Et depuis dix ans, c’est en Afrique qu’elle déploie désormais ses ailes, notamment à Dakar où sa famille et elle se sont installés il y a six ans. Quand elle n’est pas aux côtés de sa famille, elle se produit sur les scènes nationales françaises, au festival d’Avignon, dans les Caraïbes et en Afrique évidemment.
En 2019, elle lit les essais politiques d’Aimé Césaire au Panthéon. L’année suivante, on la retrouve au Théâtre national de Bruxelles, en Belgique, dans « Les restes suprêmes » du comédien, metteur en scène et dramaturge rwandais Dorcy Rugamba. En fin d’année dernière, elle était à l’affiche au Théâtre de la Tempête, en région parisienne, dans « L'Amour telle une cathédrale ensevelie » de l’écrivain, dramaturge et metteur en scène haïtien Guy Régis Jr.
Ecouter "Tourbillon", deuxième titre de l'album "Nite", d'Ablaye Cissoko & Nathalie Vairac"
Né Kimintang Mahamadou Cissoko, Ablaye Cissoko vient au monde dans la ville de Kolda, en Casamance, dans le sud du Sénégal. Descendant d’une famille de griots dont les origines pourraient remonter au 16ème siècle, Ablaye Cissoko vit aujourd’hui à Saint-Louis du Sénégal, sa ville d’adoption. Auteur-compositeur et interprète, remarquable musicien, il appartient au cercle très restreint des maîtres de la kora, au même titre que les Maliens Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko. Digne héritier des traditions du peuple mandingue, Ablaye Cissoko incarne aujourd’hui l’une des synthèses les plus harmonieuses entre musiques africaines, jazz ou encore musique classique.
C’est donc tout naturellement qu’il se produit depuis une quinzaine d’années sur les scènes du monde entier, aussi bien en solo qu’aux côtés d’artistes de renommée internationale tels que son compatriote Omar Pène, le multi-instrumentiste marocain Majid Bekkas, le saxophoniste et pionnier du free jazz français François Jeanneau, le batteur de jazz français Simon Goubert ou encore le trompettiste allemand Volker Goetze. Ablaye Cissoko est l’auteur de onze albums au total, dont trois albums solo : Diam paru en 2003, Le Griot Rouge sorti deux ans plus tard et Mes racines sorti en 2013.
TV5MONDE : Comment est né ce projet d’album ? Qui en a eu l’idée ?
Nathalie Vairac : Ablaye et moi avions été invités à participer à la première édition du Forum de Saint-Louis, qui s’est tenu en 2017, à Saint-Louis, au Sénégal, à l’initiative d’Amadou Diaw, fondateur de la première école de commerce privée du Sénégal. Et c’était la première fois que je partageais des textes. Un texte que j’avais écrit avec Ablaye, qui en avait composé la musique, à la kora.
Et à la suite de ça, nous avons souvent été invités à faire des performances ensemble, sous forme d’improvisation, ou de texte écrit. Et régulièrement, les gens nous demandaient comment ils pouvaient nous réécouter, comment ils pouvaient entendre ça chez eux. Et l’idée de l’album est venu comme ça, en voulant laisser une trace de ces collaborations qu’on avait faites à Saint-Louis, à Essaouira, au Maroc, à Berlin aussi, en Allemagne. Voilà, c’est parti de là.
Ablaye Cissoko : Je ne sais plus, je n’ai plus de mémoire. Mais je sais qu’on avait envie de continuer cette belle chose qu’on a trouvée ensemble, de pouvoir cheminer ensemble, et partager et aussi en faire profiter les gens qui aiment ce que l’on fait. Je ne sais pas répondre à cette question. C’est comme si je connaissais Nathalie depuis des milliers d’années, pour ne pas dire des millions d’années. Et donc, tout ce qui vient de Nathalie ou de moi, devient quelque chose de très naturel.
TV5MONDE : Nathalie Vairac, vous êtes d’abord et avant tout comédienne. Comment dans ce cas aborde-t-on la collaboration avec un chanteur et joueur de kora virtuose comme Ablaye Cissoko ?
Nathalie Vairac : Je dirais, en l’écoutant, en ayant de l’écoute, de l’humilité. En laissant les notes et la kora, qui est un instrument extraordinaire, en laissant Ablaye aussi, qui est un musicien profond, me guider. Et en acceptant de me laisser porter, d’écouter un univers que je ne connais pas, et d’écouter le travail et le chemin de quelqu’un qui chemine depuis très longtemps.
TV5MONDE : Ablaye Cissoko, en tant qu’auteur-compositeur et interprète, comment avez-vous travaillé avec la comédienne Nathalie Vairac ?
Ablaye Cissoko : Je pense que je n’ai pas eu à travailler, sincèrement. Pour dire vrai, est-ce qu’on a répété les choses sérieusement ? Non, non, non ! Je ne pense pas. Donc, Nathalie a enclenché sur des messages, des textes, des choses comme ça, et moi je suivais à la kora. Et parfois, c’était l’inverse. Je commençais quelque chose, et puis voilà, Nathalie parlait et j’essayais d’interpréter tout ce qu’elle disait avec la kora. Voilà, ce sont des moments…
Ecouter "Mon enfant", huitième titre de l'album "Nite", d'Ablaye Cissoko & Nathalie Vairac"
Et ce sont toujours des moments magiques. Et j’aime bien aussi cette façon de faire où vraiment, on est nous-mêmes, on est entier. On n’essaye pas de calculer, ou de penser, ou faire plaisir à x ou y. On sait qu’il y a des mots qui doivent sortir, et Nathalie les sort si bien ! Moi, j’essaye juste d’être là pour qu’elle ne se sente pas seule.
TV5MONDE : Justement, pouvez-vous nous dévoiler un peu plus quelques aspects du processus créatif des textes et musiques qui constituent ce superbe album ?
Nathalie Vairac : Les textes sont souvent venus la nuit, sur des sujets qui nous touchaient tous les deux. Soit parce que le sujet était proposé par Ablaye, soit parce que ça émergeait comme ça, dans l’imagination, dans l’espace informel des idées. Et donc j’écrivais des textes, ensuite Ablaye écoutait les textes et proposait une composition. Et parfois, ses notes ont changé certains mots, certains passages, voire certains textes. Voilà, ça a été une rencontre petit à petit, comme quelque chose qu’on tisserait ensemble.
Ablaye Cissoko : Nathalie a une façon d’écrire qui est unique, propre à elle. Et c’est vrai, nous improvisons beaucoup, et les mots sortent au bon moment. C’est comme si les gens attendaient ces mots, et nous-mêmes aussi, parfois. Et donc, moi je suis juste l’évolution des mots. J’entends et je comprends, ou j’aperçois la direction qu’elle va prendre. Donc automatiquement, c’est comme s’il y avait une connexion de sa voix avec la kora, ça se mélange bien. Et donc, du coup, au moment de le mettre en boite, c’est-à-dire de faire l’album, il a juste fallu l’écrire et l’interpréter. Et ça a été une réussite. En tout cas, je n’ai pas besoin de beaucoup d’efforts pour accompagner notre Nathalie !
TV5MONDE : Nathalie Vairac, on vous entend chanter un peu dans cet album, sur des airs qui rappellent notamment vos origines indiennes. Est-ce l’influence d’Ablaye qui vous a conduit à vous mettre au chant comme lui dans cet album ?
Nathalie Vairac : Peut-être ! En fait, être en présence d’Ablaye, c’est laisser des choses profondes émerger. Et quelquefois aussi, Ablaye, en jouant avec la kora, intentionnellement, vient me chercher dans des zones inattendues pour moi, dans des zones inconnues pour moi. C’était aussi de laisser toute liberté à l’être. Avant chaque enregistrement, on se disait que tout est possible en fait, voilà, tout est possible. Même si je ne suis pas chanteuse, il y a un endroit de mon âme ou de mon être qui chante, et de laisser ça aller jusqu’au bout.
TV5MONDE : Qu’avez-vous retiré chacun de cette expérience et y-a-t-il une suite de prévue ?
Nathalie Vairac : Je dirais que j’ai appris à… Ma plus grande joie c’est de se dire que tout est possible, qu’on peut faire se rencontrer des univers qui, à priori, semblent cheminer séparément ; qu’on peut oser déplacer et sortir de sa zone de confort. Et que les rencontres, la rencontre, peut être touchante, profonde et tellement initiatrice. Voilà ! Se retrouver dans le studio de la boutique, à Dakar, dans le studio de Pape Armand, avec Ablaye, ça a été un moment profond, magique.
Je suis aussi heureuse que Felwine Sarr [le fondateur du label Woti Production, NDLR], ait cru en ce projet.
Nathalie Vairac, co-auteure avec Ablaye Cissoko, de l'album "Nite"
Je suis aussi heureuse que Felwine Sarr [le fondateur du label Woti Production, NDLR], ait cru en ce projet. Donc, ça a été des moments d’expériences uniques, où j’ai beaucoup grandi avec eux dans ce qu’ils proposaient profondément. Et est-ce qu’il y aura une suite ? En tous les cas, ce projet, on va tout faire pour le tourner. On l’a présenté sur scène à Dakar le 17 décembre. Donc voilà, pour l’instant, il y a à faire vivre et faire grandir ce projet. Le présenter le plus souvent possible sur scène. Voilà, et puis sûrement qu’ensuite il y aura… On ne sait pas, on ne sait pas… Voilà !
Ablaye Cissoko : Moi je ne vois pas qui peut arrêter Nathalie et Ablaye ! Non, non, je ne le pense même pas ! Les gens qui ont la vision de nous mettre ensemble, là c’est fini, ils peuvent plus nous défaire ensemble. Notre chemin continuera toujours ensemble. Eh oui, pourquoi pas ? Il y a déjà un album qui est en place. Il faut que les gens le découvrent un peu partout à travers le monde. Et ensuite, voilà, on continuera bien sûr à faire des choses ensemble.