Fil d'Ariane
Le président sénégalais Macky Sall a finalement annoncé lundi 3 juillet ne pas se présenter pour un troisième mandat. Une décision qui fait redescendre la tension à l'approche de l'élection de 2024, mais qui ouvre un horizon incertain à la fois pour le camp au pouvoir et pour l'opposition. Analyse.
Photo d'archive. Le président Macky Sall lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris, 23 juin 2023.
« C’est une véritable bombe qui vient d’être désamorcée. Une délivrance, après le suspens qui a pesé lourd sur le climat politique ces derniers temps. Un miracle qui se produit au Sénégal. »
Alioune Tine, militant de la société civile sénégalaise et fondateur du groupe de réflexion Afrikajom Center, ne manque pas d’hyperboles pour décrire son soulagement face à la décision de Macky Sall de ne pas se représenter à la tête du Sénégal. Selon lui, la décision inverse, constitutionnellement controversée, aurait représenté une « prise de risque énorme » dans un contexte tendu à l’approche des élections de février 2024.
Macky Sall a en effet annoncé lundi 3 juillet, dans un discours très attendu, sa décision de ne pas briguer un troisième mandat comme président du pays. Ses déclarations ont créé la déception chez ses partisans, notamment au sein de son parti, l’Alliance pour la République. Mais elles ont fait redescendre la tension générale, qui avait atteint son apogée avec des manifestations meurtrières début juin.
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« Pour la première fois, un président organise des élections sans y prendre part. C’est déjà quelque chose. Un exploit individuel, alors que tout son parti disait qu’il fallait y aller. Cela apporte de l’apaisement : il a déjà réglé 80% du problème », avance le chercheur Pascal Oudiane.
Pour Alioune Tine, cette décision inattendue va ouvrir une période plus calme, pour « préparer dans de meilleures conditions une élection transparente et inclusive ». Il regrette toutefois que le président n’ait pas annoncé plus tôt sa décision. Ce qui lui aurait aussi permis de préparer sa succession.
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Car du côté de Benno Bokk Yakaar, la coalition au pouvoir, la personne qui succédera à Macky Sall n’est pas – encore – désignée.
Face aux maires signataires d’une pétition l’incitant à briguer un troisième mandat, Macky Sall avait affirmé que la coalition devait « survivre au-delà de 2024 ».
Certains observateurs en doutent déjà. « Lorsque son leader ne se représente pas, le parti peut se disloquer. Il y a des chances que la coalition parte dans tous les sens, ou aille désunie aux élections. Et dans ce cas, elle a de fortes chances de perdre, prédit Pascal Oudiane. Mais en douze ans, Macky Sall a réussi à maintenir la coalition. Est-ce que là, il va réussir à calmer tout le monde, à proposer quelqu’un ? »
Des figures politiques proche du camp présidentiel commencent à se positionner, comme l’actuel Premier ministre, Amadou Ba, l’ancien ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye ou encore Abdoulaye Daouda Diallo, président du Conseil Économique, Social et Environnemental. Ce qui ne manquera pas de créer des rivalités, en l’absence de dauphin reconnu par le président pour l’instant.
« Il est évident que des ambitions vont se manifester. Maintenant, la question est de savoir comment les partis vont s’organiser, décrit Alioune Tine. À mon avis, Macky Sall ne peut pas rester indifférent à savoir celui qui va lui succéder. Je pense qu’il y travaille, si ce n’est déjà fait. »
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L’absence de candidature de l’actuel président ne devrait pas pour autant changer sa manière de considérer l’opposition, ou sa volonté de reconnaître la répression. Les manifestations qui ont agité le Sénégal au début du mois de juin ont fait 16 morts selon les autorités et au moins 23 morts, selon Amnesty International.
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Dans son discours du 3 juillet, Macky Sall a abordé ces événements : « L’objectif funeste des instigateurs, auteurs et complices de cette violence inouïe était clair : semer la terreur, mettre notre pays à l’arrêt et le déstabiliser. C’est un véritable crime organisé contre la nation sénégalaise, contre l’État, contre la République et ses institutions ».
« L’opposition réclame la libération des détenus politiques. Est-ce qu’il va céder ? Va-t-il y avoir des enquêtes sur les morts ? Je ne pense pas que ça va changer grand-chose pour l’instant. Sa politique va continuer jusqu’en 2024, tant qu’il est chef de parti et président de la République, voire après si le prochain président est issu de ses rangs », spécule Pascal Oudiane.
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Si la non-candidature de Macky Sall a permis de régler une partie importante du problème avant l’élection présidentielle, il reste une autre question, tout autant source de friction au Sénégal. La grande inconnue, c’est maintenant l’arrestation ou non de l’opposant Ousmane Sonko, très populaire chez les jeunes.
Poursuivi pour viol, il a finalement été condamné le 1er juin à deux ans de prison et à une amende pour « corruption de la jeunesse ». Son arrestation relève désormais du parquet, qui pourrait, selon Pascal Oudiane, décider de le laisser libre pour éviter de nouveaux soulèvements.
À la veille du discours de Macky Sall, Ousmane Sonko avait déjà appelé ses partisans à « sortir massivement» pour s’opposer au régime présidentiel. Pascal Oudiane s’interroge sur les capacités de mobilisation de l’opposant en cas d’arrestation « Est-ce que l’appel de Sonko sera entendu par les jeunes ? Il faut voir, s’il est arrêté, est-ce que cette mobilisation pourra se faire, malgré son isolement. »
D’après le chercheur, les chances sont minces que l’opposant puisse se présenter en février 2024. « Le procureur peut l’incarcérer à tout moment. Même s’il fait appel, ça prend du temps. Il faudrait qu’il soit blanchi. Alors qu’en face, en dehors des jeunes qui le soutiennent, il y a un camp qui va tout faire pour le maintenir en prison, et ne va pas lâcher. Donc je ne crois pas qu’il sera là en 2024. »
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Face à un favori pour l’instant inéligible, il pense donc qu’il serait plus stratégique pour son parti, le Pastef de lui trouver un remplaçant d’ici là. « Mais ils ont tout misé sur Sonko, ils n’ont pas de second plan, pas de démocratie en interne. Il faut aller chercher l’alternance ailleurs », poursuit-il.
Il n’en reste pas moins que l’opposition, comme la coalition présidentielle, a plus de sept mois devant elle pour se préparer à l’élection du 25 février 2024. Alioune Tine observe : « en 8 mois, les partis ont le temps de s’organiser, de choisir des candidats, d’aller à l’élection. Rarement une compétition pour la présidentielle sénégalaise n’a été aussi ouverte. »