En décembre dernier, l'armée algérienne tuait Abdelmalek Gouri, 37 ans, dit Khaled Abou Souleïmane, le chef du groupe djihadiste Jund al-Khilafa ayant décapité le touriste français Hervé Gourdel. Ces groupes terroristes sont-ils nombreux en Algérie ? Qui sont-ils ?
« Terrorisme résiduel » aux confins du pays et en Kabylie « La paix est revenue mais pas la sérénité. En 2012-2013, il y a eu près de 200 terroristes tués en Algérie. Et il n’y a pas que la Kabylie mais trois ou quatre foyers qui tentent de se réactiver à travers le pays », note Abdou Semmar, rédacteur en chef du site d’information en ligne Algérie Focus. On recense aujourd’hui au moins trois principaux foyers d’activité terroriste en Algérie : à la frontière libyenne, dans la région de Kasserine et de Tebessa ; à la frontière malienne, en lien avec les groupes islamistes du Nord-Mali tels Ansare Dine et le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) ; en Kabylie, repaire des groupes armés algériens dans les années 1990 durant la guerre civile. « Cette région est le fief historique des Groupes islamiques armés (GIA), du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) puis d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), souligne Alain Rodier, directeur de recherche chargé du terrorisme au Centre Français de recherche sur le renseignement (CF2R). Cela est surtout dû au terrain montagneux et boisé qui en fait une zone incontrôlable à moins d'y mettre des dizaines de milliers de militaires. » C’est depuis ces maquis kabyles et depuis le sud de l’Algérie que le GSPC a poursuivi ses attaques contre la police et l’armée algériennes de la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui. Seule différence, entretemps en 2006, le groupe a prêté allégeance au réseau Al-Qaïda et changé de nom pour devenir Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Une multitude de katibas et des allégeances volatiles Héritière des GIA et du GSPC, AQMI est dirigé par l’Algérien Abdelmalek Droukdal et composé en majorité d’Algériens, avec des renforts venus de Mauritanie, de Mali et du Niger. « On a sur une quinzaine d’années une internationalisation de ce groupe qui est d’abord algérien, avant tout algérien, et qui a réussi à recruter des gens d’autres nationalités », souligne Alain Antil, chercheur à l’IFRI et spécialiste du Sahel. Présent en Algérie, mais aussi au Sahel et en particulier dans le nord du Mali, AQMI resterait assez hiérarchisé avec un conseil des anciens et un conseil consultatif à sa tête, prêtant allégeance au docteur Ayman Al-Zawahiri, le chef d'Al-Qaida « canal historique ». « Mais cette allégeance est purement formelle car il y a longtemps que Zawahiri ne peut plus rien faire pour les théâtres de guerre éloignés, assure Alain Rodier. Sur le terrain, c'est plus compliqué. Chaque chef de katiba, particulièrement dans le sud, a son indépendance et a tendance à vivre en autarcie.» Et effectivement AQMI a vu le nombre de ses militants diminuer ces dernières années, notamment depuis les printemps arabes de 2011. Aujourd’hui, les effectifs d’AQMI ne dépasseraient pas les 1500 militants du fait des différentes scissions opérées au fil des ans. « Petit à petit, des groupes se sont autonomisés par rapport à AQMI », note Alain Antil. Parmi les dissidences d’AQMI, on compte le Mujao, mais aussi le groupe Al Mourabitoune dirigée par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, sans compter plusieurs chefs de katibas qui ont fait sécession en mettant leur petite unité à la disposition du groupe Etat Islamique. Popularité de l’Etat islamique? Parmi les tout nouveaux dissidents, il y a Abdelmalek Gouri alias Khaled Abou Souleimane, émir de la katiba El-Arkam. En septembre, il a formé le groupe Jund al-Khalifa pour rejoindre l'Etat islamique et revendiqué l’assassinat d’Hervé Gourdel. « Même si ces groupuscules ont fait allégeance à l’Etat islamique, rien n’est venu prouver, à ce jour, s’ils agissent de concert ou indépendamment, souligne Alain Rodier. Il est possible que ces dissidences provoquent une guerre interne qui se déroulerait en Kabylie. Chaque groupe ne compte que quelques dizaines de combattants mais ils pourraient recruter dans l'avenir, la cause du califat étant de plus en plus populaire. » La propagande agressive du groupe Etat islamique par réseaux sociaux, ses exécutions de sang froid et les postures de son chef Abou Bakr Al-Baghdadi peuvent séduire des militants en quête d’un mouvement radical et charismatique. Les faillites du pouvoir algérien, l’absence de libertés et de démocratie risquent également de pousser certains jeunes algériens dans les bras des groupes armés. « Je connais pas mal de salafistes modérés qui n’ont pas pris les armes mais qui se posent aujourd’hui la question, d’autant plus que ‘Daech’(le groupe ‘Etat islamique’, ndlr) communique beaucoup pour recruter », souligne Abdou Semmar. Une bataille impossible ? Juguler les katibas et éradiquer le terrorisme résiduel s’avère toutefois une tâche ardue en Algérie. Le pays compte plus de 6 300 kilomètres de frontières avec six pays, dont plus de 1 300 kilomètres avec le Mali et près de 1 000 kilomètres avec la Libye. Selon le Premier ministre algérien, l’armée « n’interviendra pas en dehors de nos frontières » : un handicap lorsque l’on sait à quel point les jihadistes sont mobiles… Abdelmalek Sellal a toutefois assuré qu’Alger veillait à protéger les frontières du pays, notamment avec le Mali et la Libye. Et à en croire les autorités algériennes, c’est ce dernier pays qui pose le plus grand danger, du fait de l’absence d’un pouvoir central et de la multiplication des milices islamistes issues de la révolution de 2011. C’est d’ailleurs depuis la Libye que le chef islamiste Mokhtar Belmokhtar opérerait désormais… « Seule la coopération des gouvernants de la région permettra de trouver des débuts de solutions. Il faut qu'ils soient aidés par l'Occident en général et par l'Europe en particulier. Il semble que cette dernière est réticente, laissant la France se débrouiller avec son ancien ‘pré-carré’ » , note Alain Rodier de CF2R avant de conclure : « Or les moyens économiques et militaires français sont totalement insuffisants pour répondre au gigantisme de la tâche. » Reste la voie judiciaire. Jeudi, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire pour « enlèvement et séquestration en bande organisée suivis de la mort, en relation avec une entreprise terroriste », et « assassinat en bande organisée en lien avec une entreprise terroriste » dans l’affaire Hervé Gourdel.
“Lâche“ et “odieux“
24.09.2014(AFP)Le président français François Hollande a condamné mercredi à New York le "lâche" et "odieux" assassinat d'un otage français en Algérie par un groupe affilié au groupe Etat islamiste, soulignant qu'elle renforçait sa "détermination" à lutter contre cette organisation. "Notre compatriote Hervé Gourdel a été assassiné par un groupe terroriste lâchement, cruellement honteusement", a déclaré le chef de l'Etat français devant la presse depuis la mission française auprès de l'ONU où il devait s'exprimer peu après devant l'Assemblée générale de l'organisation. Le visage fermé, François Hollande a déploré "un crime odieux dont les auteurs devront être châtiés". "Ma détermination est totale et cette agression ne fait que la renforcer", a-t-il poursuivi dans une allusion à l'intervention militaire française en Irak contre l'organisation l'Etat islamique dont les ravisseurs de Hervé Gourdel se sont réclamés. "Nous continuerons à lutter contre le terrorisme, partout et notamment contre le groupe qu'on appelle Daech (acronyme arabe de l'Etat islamique, NDLR) qui répand la mort en Irak et en Syrie", a-t-il souligné, martelant que "les opérations militaires aériennes (françaises en Irak) se poursuivront tout le temps nécessaire". François Hollande a également annoncé qu'il réunirait "dès demain" jeudi à l'Elysée "un conseil de défense pour à la fois fixer les buts que nous avons assignés à nos opérations militaires et renforcer encore la protection de mes compatriotes".