Fil d'Ariane
Âgé de 49 ans, le général Muhoozi Kainerugaba ne tient pas en place et a plusieurs fois manifesté son impatience d'accéder à son destin : celui de succèder à son père Yoweri Museveni à la présidence de l'Ouganda. En attendant, il multiplie les déclarations polémiques sur Twitter, comme celle d'envoyer des troupes pour défendre Moscou.
S'il vient d'annoncer le 30 mars 2023 la création de sa chaîne de télé et de sa radio portant ses initiales MK, le compte Twitter du général ougandais Muhoozi Kainerugaba est son exutoire favori. Cet ancien commandant en chef des Forces armées ougandaises ne se prive pas pour y dire tout ce qu'il pense. "Appelez-moi 'poutiniste' si vous voulez, nous l'Ouganda, devrions envoyer des soldats pour défendre Moscou si jamais elle était menacée par les impérialistes", écrit-il sur son compte.
Ce grand admirateur de Vladimir Poutine avait affiché son soutien à l'invasion de l'Ukraine dès février 2022 en tweetant : "La majorité de l'humanité (qui n'est pas blanche) soutient la position de la Russie en Ukraine. Poutine a absolument raison !". Lors des votes à l'ONU sur le conflit ukrainien, l'Ouganda s'est abstenu.
Pour les Ougandais, il ne fait guère de doute que Muhoozi Kainerugaba, fils unique du président Yoweri Museveni doté en outre de trois filles, a été programmé pour prendre à terme la succession de son père, du moins s'il en a la patience. Car Yoweri Museveni, qui dirige l'Ouganda d'une main de fer depuis 1986, flirte avec les records de longévité au pouvoir avec un sixième mandat obtenu en 2021.
Assez des personnes âgées qui nous gouvernent. Nous dominent. Il est temps que notre génération brille. Retweetez et aimez.
Général Muhoozi Kainerugaba, fils du président ougandais
À la mi-mars, Muhoozi Kainerugaba, marié à une femme d'affaires et père de trois enfants, fait une grande annonce. "Au nom de Jésus-Christ mon Dieu, au nom de tous les jeunes d'Ouganda et du monde et au nom de notre grande révolution, je me présenterai à la présidence en 2026", écrit-il, avant de retirer son tweet sur le réseau social. Et pour cause, Yoweri Museveni, 78 ans, pourrait de nouveau se porter candidat en 2026.
Mais l'impétueux fils s'est fendu le même jour d'un autre tweet qu'il n'a pas effacé où il critique son père. "Combien sont d'accord avec moi pour dire que notre heure est venue ? Assez des personnes âgées qui nous gouvernent. Nous dominent. Il est temps que notre génération brille. Retweetez et aimez".
(Re)voir : Ouganda : Museveni en route pour un 6ème mandat
Les relations entre le père et le fils sont émaillées de plusieurs désaccords publics, notamment à la suite de déclarations tonitruantes du fils, qui crée l'incident diplomatique.
Début octobre 2022, le lieutenant général Muhoozi Kainerugaba a déclenché un tollé en tweetant qu'il était prêt à envahir le Kenya. "Il ne nous faudrait pas, à nous, mon armée et moi, deux semaines pour capturer Nairobi", a-t-il déclaré dans un tweet, avant de faire volte-face dans un second temps. "Je ne battrai jamais l'armée kenyane parce que mon père m'a dit de ne jamais le tenter ! Donc, nos gens au Kenya devraient se détendre !"
Trop tard. Malgré sa reculade, le mal était fait. Le président Museveni avait dû présenté ses excuses à ses "frères et soeurs kényans". Muhoozi Kainerugaba n'a pas échappé à la sanction. Il perd son poste de chef de l'armée ougandaise qu'il occupait depuis juin 2021. Maigre consolation, il est promu au grade de général.
Parler d'autres pays et de la politique de l'Ouganda est quelque chose qu'il ne devrait pas faire et qu'il ne fera pas.
Yoweri Museveni, président ougandais
Dans une interview accordée à une chaîne de télévision locale ougandaise, le président Museveni réagit en bon père de famille. "Il va quitter Twitter. Nous avons eu cette discussion. Twitter n'est pas un problème. Le problème, c'est ce que vous tweetez". "Parler d'autres pays et de la politique de l'Ouganda est quelque chose qu'il ne devrait pas faire et qu'il ne fera pas", a ajouté M. Museveni à propos de Muhoozi.
Selon le président, son général quatre étoiles de fils pourrait toujours s'exprimer sur le réseau social, à condition de se limiter à des commentaires sur le sport par exemple... Le lendemain, Muhoozi déclarait sur Twitter : "Je suis un adulte et personne ne me bannira de quoi que ce soit".
En 2022 déjà, une série de propos sur Twitter de Muhoozi Kainerugaba en faveur des rebelles de la région éthiopienne du Tigré, en guerre avec les autorités fédérales, avait également courroucé Addis Abeba.
En dehors de ses péripéties sur le réseau social Twitter, Muhoozi a mené une carrière militaire sur mesure. A la tête des puissantes forces spéciales ougandaises avant de commander l'armée de terre, il occupe aussi la charge de "haut conseiller présidentiel chargé des opérations spéciales", dont le champ s'étend au-delà du domaine militaire.
On lui prête notamment un rôle-clé dans le rapprochement entre l'Ouganda et le Rwanda voisin, où il s'est rendu pour rencontrer le président Paul Kagame fin janvier 2022, ainsi que dans une opération militaire conjointe des forces ougandaises et congolaises lancée en 2021 contre le groupe rebelle des Forces démocratiques alliées (ADF) dans l'est de la RDC.
Il a été envoyé au Soudan du Sud et en Somalie avec les contingents ougandais soutenant les gouvernements locaux, et a également participé aux campagnes contre les groupes rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA).
Reste que depuis longtemps, ceux qui le critiquent ou lui prêtent l'intention de succéder à son père sont traqués, emprisonnés ou forcés à l'exil.
L'écrivain Kakwenza Rukirabashaija a fui clandestinement en Allemagne en février 2022 après avoir été arrêté et, dit-il, torturé pour avoir insulté Museveni et Kainerugaba, qu'il a décrit comme "obèse", un "grognon" et un "bébé despote".
En 2013, la police a fait fermer deux journaux et deux stations de radio durant dix jours pour avoir publié un mémo confidentiel évoquant l'existence d'un "Projet Muhoozi" préparant la succession de Museveni.
Son auteur, l'ancien directeur du renseignement David Sejusa, avait fui au Royaume-Uni. Il avait ensuite affirmé que quiconque s'opposait à ce projet risquait la mort.
De nombreux anciens alliés de Museveni, dont son médecin personnel Kizza Besigye devenu une figure de l'opposition, se sont brouillés avec le président au sujet de l'ascension de son fils.
Aujourd'hui, le général Muhoozi Kainerugaba ne cache plus une certaine impatience à accomplir son destin.
Voir aussi :
Ouganda : une universitaire arrêtée pour avoir critiqué la femme du président