Un renfort de 150 soldats des forces spéciales, 5 avions de transport, des drones... Les États-Unis ne lésinent pas sur les moyens pour arrêter Joseph Kony. Ce chef de l'"Armée de résistance du Seigneur" (LRA) est responsable, selon l'ONU, de la mort de plus de 100 000 personnes. Et cela fait vingt-cinq ans que ses soldats rivalisent d'atrocités pour satisfaire leur chef sanguinaire, familier des plus terribles exactions : viols, mutilations, enrôlements forcés d'enfants, esclaves sexuels... Retour sur le parcours sanglant d'un illuminé.
La chasse au fou
Cette fois, les États-Unis semblent bien décidés. Il faut capturer Joseph Kony. Alors, pour y parvenir, l'administration Obama a mis le paquet : 250 hommes des forces spéciales, 5 avions de transport, plusieurs drones... Et aussi, parce qu'il ne faut négliger aucune piste, et donc miser sur une éventuelle trahison, il est également prévu une prime de 5 millions de dollars à quiconque permettra l'arrestation du chef sanguinaire et de deux de ses hommes.
Si l'opération est d'envergure, le territoire de cette chasse à l'homme l'est tout autant. Joseph Kony et ses combattants pourraient avoir trouvé refuge dans les forêts de Centrafrique, dans le nord-est de la République démocratique du Congo et au Soudan du Sud. Ce n'est certes pas la première fois que les américains et les forces ougandaises unissent leurs efforts pour retrouver Joseph Kony. Mais la capture, le 12 mai dernier à Kampala, de César Acellam, l'un de ses principaux commandants, a peut-être changé la donne. L'officier a parlé. Il a dû fournir quelques renseignements sur les modes opératoires de son chef comme, par exemple, la géographie de ses déplacements. Précieux.
Tu ne tueras point
Rares sont les informations fiables sur le chef de l'Armée de résistance du Seigneur, la LRA. Mais les légendes abondent sur Joseph Kony. L'homme qui est recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité aurait pourtant commencé sa vie sociale comme… enfant de chœur !
Né à Odek en 1961, Joseph Kony a vu le jour au nord de l'Ouganda parmi le peuple Acholi. Ses parents sont des paysans. "Dès sa naissance, il se tenait debout !" affirmera sans ciller sa sœur aînée Gabriella. C'est sa tante, Alice Auma, mystique de la tribu, qui l'initie à la sorcellerie. Elle dirige un groupuscule "le Mouvement Esprit Saint", qui cherche à renverser le gouvernement de Kampala. Son neveu est un jeune homme doué, qui se révèle bientôt obsédé par le concept d'un "homme nouveau", pur.
Son cercle d'influence grandit peu à peu. On se presse pour écouter sa parole. Il rêve de Dieu et dans ses songes, il l'affirme, le Seigneur lui délivre des messages qui lui montrent le chemin. Kony devient soldat dans l'armée de l'Ouganda démocratique populaire (UPDA). Mais quand ses dirigeants signent un accord de paix en 1988 avec le gouvernement ougandais, accord qui prévoit l'intégration des ex-rebelles dans les forces loyalistes, Kony le refuse. Avec d'autres soldats, il crée un premier mouvement, l'Armée démocratique de l'Ouganda qui devient, en 1991, l'Armée de résistance du Seigneur. Qui l'aime le suive. Gare aux autres !
Joseph Kony mêle croyances africaines, islam et christianisme extrémiste. Lui seul est dépositaire de la Parole divine, lui seul connaît les chemins du savoir qui permettra de délivrer le peuple de la souffrance, de la torture et de la faim. Il devient le chef des rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) et tous se battent contre le gouvernement du président Yoweri Museveni. Le but est de le remplacer par un régime fondé sur les Dix Commandements de la Bible. Dans le livre saint, "Tu ne tueras point" est le sixième. Ils le violeront tous les jours.
Tuer ses parents
La folie meurtrière peut commencer. Elle dure depuis vingt-cinq ans.
Joseph Kony et ses hommes vont se livrer à une farandole d'atrocités inouïes, au gré de ses visions toujours plus délirantes. Elles ne peuvent être discutées, sous peine de mort.
Par exemple, le vélo. Il n'est plus un simple objet de locomotion mais, selon Kony, le moyen de locomotion préférée des "indics". Il fait donc sectionner à coup de machettes les jambes des cyclistes qu'il rencontre. Défense est faite à ses interlocuteurs de lui poser des questions ou de le regarder dans les yeux. Avec ses hommes, au nombre de plusieurs milliers, il investit des villages, massacre ses habitants... et enlève les enfants. Des dizaines de milliers de gamins. Ils grossiront les rangs de ses unités combattantes, ces pillards sanguinaires soumis, eux aussi, à la prière du loar (mot de la langue acholi qui désigne le messager divin). Pour les endurcir, on les oblige à tuer leurs parents et leurs amis. Un lavage de cerveau à base d’oracles de Kony achève de dissoudre leurs dernières résistances. Les autres, les récalcitrants, sont immédiatement abattus. La fièvre meurtrière s'empare de ces gosses désormais possédés. Les enfants-soldats coupent les lèvres des femmes et incendient les villages. Pourquoi cette cruauté ? "Une punition de Dieu" dit sobrement Kony.
"La volonté de Dieu"
Les fillettes, elles, seront les "femmes" de ses soldats-pillards. Alice, une rescapée, se souvient de son arrivée au camp militaire de la LRA, après avoir assisté à l'exécution de sa famille. Elle avait livré son témoignage à l'hebdomadaire The East African, en 2002 : "Un homme aux cheveux longs, à l'air cruel, est sorti de la hutte devant laquelle nous étions assis. Il nous a tout d'abord fixés sans prononcer une parole. Puis il nous a finalement dit : 'Je vous souhaite la bienvenue à tous ; vous n'êtes pas ici par accident, mais par la volonté de Dieu. Vous allez le servir à travers moi et libérer votre pays. Quiconque essaiera de fuir connaîtra le même sort que ces gens', a-t-il dit en nous montrant la porte de l'une des huttes. A l'intérieur, se trouvaient les corps de trois garçons et d'une fille. Ils avaient été décapités. Kony (car c'était bien lui) nous a dit que c'était une juste punition de Dieu pour avoir refusé de le servir."
Pour fuir cette terreur, les civils se réfugient dans des camps "protégés" situés dans le nord de l’Ouganda.
L'indignation timide
Mais rien n'est simple. Les observateurs de défense des droits humains constatent des violations imputables aux rebelles, mais aussi au gouvernement. Désormais, l'ultra-violence de l'Armée de résistance du Seigneur impacte trois pays : l’Ouganda, le Soudan et la République démocratique du Congo (RDC). La LRA s'allie avec l'Armée de libération du Rwanda (ALIR) et d'autres groupes rebelles. L'effet dévastateur est démultiplié. Les bandes armées s'attaquent aux convois humanitaires et continuent de saccager et massacrer des villages entiers lors de raids souvent improvisés.
Les rapports, nombreux, des ONG qui dénoncent l'atrocité des exactions reçoivent alors un accueil poli, une indignation timide de la part de la "communauté internationale". Cependant, le 5 décembre 2001, le département d’État américain inscrit la LRA sur la liste des organisations terroristes. En novembre 2003, Jan Egeland, le secrétaire général adjoint de l'ONU chargé des affaires humanitaires déclare : "Je ne vois pas d'autre endroit au monde qui connaisse une urgence de la taille de l'Ouganda et qui reçoive aussi peu d'attention".
60 000 enfants enlevés
Le 20 mai 2013, Ban Ki Moon, le secrétaire général des Nations unies, dévoile son rapport sur l'Afrique centrale. Les chiffres sont terribles. Selon l'ONU, l'Armée de résistance du Seigneur de Joseph Kony, recherché par la Cour pénale internationale, a tué plus de 100 000 personnes en Afrique centrale ces vingt-cinq dernières années. Son groupe de rebelles armés est aussi recherché pour l'enlèvement de 60 000 à 100 000 enfants et le déplacement de 2,5 millions de personnes.
Selon de récentes informations, souvent venues de transfuges, plusieurs cadres de Joseph
Kony sont morts tués dans les combats par l'armée ougandaise ou assassinés sur ordre de Joseph Kony lui-même. Okot Oddhiambo, numéro 2 de la LRA, recherché par la Cour pénale internationale, serait mort lors d'une offensive ougandaise. Les forces armées de la LRA se résumeraient à quelques centaines d'hommes. Le moment semble propice pour mener à bien la traque conduite par les Etats-Unis.
Bien entendu, l'aide armée des Etats-Unis n'est pas exempte d'arrière-pensée politique.
Pourquoi donc cette assistance ? La LRA ne constitue pas, loin s'en faut, une menace pour les États-Unis. Mais l'administration Obama estime que cette aide peut être un moyen utile, sinon efficace, pour établir ou consolider des partenariats politiques avec les gouvernements africains dans des régions où des organisations terroristes, comme Al-Qaïda, sont en pleine expansion. Par ailleurs, en capturant Joseph Kony, les États-Unis ne seraient pas fâchés de faire un fameux coup d'éclat et démontrer ainsi, avec une telle prise, que le respect aux principes des droits de l'Homme n'est, pour eux, pas un vain mot.
Des soldats U.S en Afrique ?
En 2009, le Congrès a adopté une loi exprimant un "soutien aux efforts accrus des États-Unis pour aider à atténuer et à éliminer la menace posée par la LRA envers les civils et pour la stabilité régionale." Pour autant, la présence américaine en Ouganda est essentiellement d'ordre logistique. Ses soldats aident et conseillent leurs homologues africains. Ils ne sont pas autorisés à se battre contre les éléments de la LRA, sauf en cas de légitime défense.
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