Pacifier la Centrafrique, mission impossible ?

Alors que le Conseil de sécurité de Nations-Unies vote ce 10 avril la création d'une force internationale en Centrafrique à la réalité assez lointaine, les premières troupes de la mission militaire européenne dans ce pays (Eufor), 55 gendarmes mobiles français, ont commencé à patrouiller dans Bangui aux côtés des soldats français de l'opération Sangaris. L'Eufor-RCA doit en principe compter 800 hommes d'ici le mois de mai mais il resteront ... dans la capitale. Dans l'immédiat, le brusque départ des troupes tchadiennes laisse un vide préoccupant et le pays poursuit sa spirale autodestructrice.
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Pacifier la Centrafrique, mission impossible ?
Troupes tchadiennes en Centrafrique
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D'une force à l'autre

Triste fin pour des troupes supposée pacificatrices : une sortie sans gloire, sous les cris hostiles, escortées par leurs collègues des autres forces d'interventions étrangères. «Adieu les oppresseurs et les envahisseurs de la RCA à la solde d’Idriss Déby Itno», titrait le quotidien Centrafric matin. S'il apporte à court terme un certain soulagement après leurs exploits controversés de la semaine dernière (30 morts, 300 blessés dans la population), le départ du contingent tchadien pose pourtant plus de question qu'il n'en résout. Fautifs ou non, la défection laisse un vide et marque un nouvel échec pour la communauté internationale. Or, l'urgence est là, comme le rappelait lors d'un bref passage à Bangui un Ban Ki Moon « terrorisé par un nouveau Rwanda », selon un diplomate de son entourage : « la sécurité de l'État a cédé la place à un état d'anarchie », a souligné le secrétaire général de l'ONU. Et si les forces d'interposition ont pu « empêcher à ce jour le pire », estime t-il, « leurs moyens sont insuffisants et elles sont submergées par l'ampleur des besoins ».

Ballet

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Soldats français de la force Sangaris
Première venue, la force française Sangaris a réussi, après un début difficile marqué par une passivité critiquée à l'égard d'« anti-balakas » en pleine revanche, à éviter les dérapages. A son cinquième mois, elle commence à se déployer dans l'Est du pays. « L'objectif est de restaurer l'autorité de l’État, de mettre fin aux agissements des bandes armées et de les désarmer », a précisé son chef, le général Soriano. Vaste programme, avec 2000 hommes pour un territoire grand comme la France et la Belgique, dépourvu d'infrastructures, où des massacres s'opèrent dans des zones reculées : 30 tués encore ce 8 avril près de Dékoa, à 300 km au nord de Bangui. Et l'ancienne puissance coloniale, par définition suspecte et vouée, selon une dialectique éprouvée, à se faire accuser tantôt d'en faire trop, tantôt pas assez, ne saurait s'éterniser sans dommage dans une opération de police africaine. Baptisée Eufor-RCA, la force d'intervention européenne supposée la suppléer est finalement née (à Bruxelles) mais elle apparaît déjà comme dépourvue de moyens, d'ambition et de volonté. Si la Suède et plusieurs ... ex-républiques soviétique pourraient y participer, la plupart des grands pays européens pressentis se sont désistés, dont les Polonais, pourtant volontaires au départ. Bref, et malgré ses espérances, la France reste encore bien seule et les premiers éléments de l'Eufor-RCA arrivés ce 9 avril en Centrafrique sont … des gendarmes français. Pire, ses 800 hommes (à terme) ne quitteront pas la capitale : « notre mandat est très clair: opérer à Bangui, et pas au delà », confirme le général (français) qui la commande, Philippe Pontiès. Or, ce n'est évidemment plus là que résident les pires dangers. Forte en théorie de 6000 hommes, la MISCA (Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite Africaine) est en revanche déployée dans le pays et dispose, également en théorie, d'une légitimité africaine. Jusqu'à la semaine dernière elle était composée principalement de Camerounais, de Gabonais et de … Tchadiens. Le retrait de ces dernier ne pose pas seulement un problème d'effectifs. Accusés non sans raisons de parti-pris envers l'ex-Seleka, leur rôle n'a pourtant pas été seulement négatif. « Les populations musulmanes sont inquiètes, avoue dans une interview à France 24 Jean-Marie Michel Mokoko, commandant en chef de la Misca. Elles voyaient un peu dans le contingent tchadien leurs protecteurs ». « A un certain moment, ajoute le chercheur français Roland Marchal, les soldats tchadiens ont été les seuls à pouvoir redonner confiance à la population musulmane centrafricaine et, dans la phase actuelle, ils peuvent (ou auraient pu) jouer un rôle important de facilitation entre la MISCA , Sangaris et les commandants de la Séléka dans l'Est du pays. D'autant que certains cadres de la Séléka sont tentés par une nouvelle aventure militaire qui serait sans lendemain mais rendrait la situation centrafricaine encore plus difficile qu'elle ne l'est aujourd'hui » .

Succession

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Soldats de la MISCA
Remplacer le Tchad ne se réduit donc pas à une arithmétique. A supposer même que d'autres militaires africains puissent se substituer à ses troupes, « cela prendra du temps, note Roland Marchal, et affaiblira d'autant l'efficacité de la MISCA à un moment où l'on voudrait celle-ci maximale, compte tenu du retard (le mot est aimable) des Européens et d'un nombre de troupes françaises toujours insuffisant à cause de ces délais ». Seul pays du continent – et musulman - à s'être manifesté ces derniers jours : la Mauritanie. « Ce n'est pas à exclure, a répondu son Président Ould Abdel Aziz à un journaliste évoquant l'envoi de troupe en Centrafrique. Nous ne pouvons rester les bras croisés alors que d'autres s'entretuent et que nous avons les moyens de les aider ». On reste loin d'une décision, plus encore d'un acte et la capacité des soldats mauritaniens – venus d'un pays désertique fort éloigné à tous égards de l'Afrique centrale - n'est pas celui des Tchadiens. Reste à l'horizon la future MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nation-Unies en RCA), dont le principe est voté ce 10 avril par le Conseil de Sécurité. Prévue pour déployer à terme 10 à 12000 hommes, la nouvelle force onusienne semble prometteuse. Cependant, outre la lourdeur prévisible de sa mise en œuvre, elle sera en bonne partie composée des soldats de la MISCA déjà présents en Centrafrique qui … changeront d'écusson. Surtout, elle ne sera opérationnelle, au mieux, qu'en septembre prochain. Six mois, dans le contexte centrafricain actuel, c'est bien long.

Champ de ruines

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La Présidente Catherine Samba-Panza (AFP)
Les cris de joie au départ des Tchadiens traduisent certainement un sentiment populaire, mais il n'est pas forcement de bon augure. « Ce n'est pas la rue qui va apporter une solution à la crise actuelle, rappelle Roland Marchal. A terme, si l'on continue dans l'ornière actuelle, ce seront toutes les forces étrangères qui seront contestées pour des motifs réels ou moins réels, comme cela fut le cas pour le contingent tchadien ». Or, même si l'effacement de ce dernier réduit un peu les tensions entre la population et les multiples forces armées étrangères, il rend plus pressante encore la question du rétablissement d'un État toujours inexistant, a fortiori militairement démuni. « Il y a des acteurs armés et aucune perspective politique tangible, souligne Roland Marchal. Les autorités centrafricaines parlent à l'extérieur du pays mais n'agissent pas beaucoup en RCA ». Cible facile, la MISCA, estime le chercheur, ne doit pas être rendue coupable des turpitudes centrafricaines : « Elle ne peut réussir. Pas simplement à cause de l'insuffisance de ses moyens ou des différences de politiques dans la région, ou de la présence de contingents médiocres, mais parce qu'il faut une contrepartie centrafricaine forte et proactive qui fait largement défaut ». La violence, à cet égard, n'est pas le seul danger que court le pays. La situation a également de graves répercussions sur son économie la plus vitale. D'après une évaluation conjointe de deux organisations de l'ONU, le PAM (Programme alimentaire mondial) et la FAO (Organisation pour l'alimentation et l'agriculture), les troubles qui le touchent depuis décembre 2012 ont causé la destruction des moyens de subsistance, des cultures vivrières et commerciales, de l'élevage et de biens de production essentiels dans tout le pays. « Le niveau de misère que j'ai pu constater récemment chez de nombreuses familles de Centrafrique est effroyable », souligne un responsable de la FAO . Les deux organisations appellent à une vaste opération humanitaire de longue durée. Encore faut-il que la situation sécuritaire du pays la permette.

Gendarmes à Bangui, massacres en province

10.04.2014AFP
Des gendarmes français, éléments précurseurs de la mission européenne en Centrafrique, ont commencé mercredi à patrouiller dans Bangui, tandis que des affrontements entre groupes armés ont fait 30 morts dans l'intérieur du pays. Ces gendarmes mobiles français, destinés à faire partie de la mission européenne Eufor, ont commencé mercredi à patrouiller dans Bangui, encadrés par des soldats français de l'opération Sangaris, ont constaté des journalistes de l'AFP. "Il s'agit de leurs premières sorties" dans la capitale centrafricaine, "55 gendarmes sont arrivés", a expliqué le colonel (bien colonel) François Guillermet, chargé de la communication de l'armée française à Bangui. Les gendarmes, intégrés aux soldats français de l'opération Sangaris en attendant le déploiement officiel d'Eufor, ont commencé à patrouiller dans certains quartiers sensibles de la capitale centrafricaine, comme le PK5, une des dernières enclaves musulmanes de Bangui, dont les habitants sont assiégés par les anti-balaka, des milices armées à dominante chrétienne. Vêtus d'uniformes bleu marine distincts des treillis militaires de l'armée française, les gendarmes étaient armés de fusils automatiques et circulaient à bord de véhicules 4X4 blancs. L'opération militaire européenne en Centrafrique, dont le lancement a été annoncé le 1er avril, sera pleinement opérationnelle fin mai avec 800 hommes, selon le général français Philippe Pontiès, qui dirige la mission. Elle sera notamment chargée de sécuriser l'aéroport et certains quartiers de Bangui, où les tueries de masse ont cessé depuis le début de l'intervention française en décembre, même si les explosions de violences restent courantes. Parallèlement, le Conseil de sécurité de l'ONU devrait adopter jeudi matin une résolution autorisant le déploiement en septembre d'environ 12.000 Casques bleus pour rétablir l'ordre dans le pays, ont indiqué des diplomates. Le texte prévoit l'envoi de 10.000 soldats et 1.800 policiers censés assurer la relève des 6.000 militaires africains de la Misca, la force de l'Union africaine oeuvrant en Centrafrique au côté des 2.000 militaires français. Le déploiement effectif de ces Casques bleus est fixé au 15 septembre mais la nouvelle mission pourra recevoir immédiatement une aide logistique (génie, moyens de transport). Une majorité de civils tués Le temps presse, selon le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon. 20 après le génocide du Rwanda, il avait appelé samedi, au cours d'une visite à Bangui, la communauté internationale à se mobiliser pour empêcher la réédition d'un drame similaire en Centrafrique, livrée à "une épuration ethnico-religieuse". Car exactions, pillages et meurtres n'ont pas cessé, surtout en province, et visent principalement la minorité musulmane, malgré le déploiement progressif des forces internationales dans l'ouest et l'est du pays. Mardi, au moins 30 personnes, dont une majorité de civils, ont été tuées dans des affrontements entre miliciens anti-balaka et ex-rebelles Séléka dans la région de Dékoa, à 300 km au nord de Bangui, a-t-on appris mercredi auprès de la gendarmerie locale. "Les anti-balaka ont attaqué tôt le matin les positions des ex-Séléka (...) Mais les ex-Séléka ont fait appel à leurs compagnons d'armes basés à Kaga Bandoro qui sont arrivés dans quatre véhicules pour les appuyer. La plupart des victimes sont des civils fauchés par des balles perdues", a expliqué cette source. "Les affrontements ont duré plus de quatre heures, faisant fuir les trois quarts des habitants" vers les localités voisines, a-t-elle précisé. Largement affaiblis par l'intervention de l'armée française, une grande partie des ex-rebelles Séléka, mouvement majoritairement musulman au pouvoir entre mars 2013 et janvier 2014, se sont depuis repliés dans les provinces du nord et de l'est de la Centrafrique, dont beaucoup sont originaires. Quant aux milices armées "anti-balaka", au départ formées en réaction aux exactions perpétrées pendant des mois par les Séléka sur la population centrafricaine (composée à 80% de chrétiens), elles mènent des attaques répétées contre les anciens rebelles et les civils musulmans, qui fuient le pays en masse. Selon l'ONU, la proportion des musulmans a chuté de 15% à 2% de la population totale de la Centrafrique depuis le début du conflit il y a un an. 
Gendarmes à Bangui, massacres en province
Gendarmes français à Bangui le 9 avril