C’était au milieu de l’été. Le bidonville de 2.500 migrants installé autour du centre humanitaire de la porte de la Chapelle à Paris était une nouvelle fois évacué. Depuis, les lieux ont été désertés par les migrants car placés sous haute surveillance policière. De jour comme de nuit. Il faut éviter toute reconstitution de campement.
"Il faut être sans cesse en mouvement": à Paris, le campement de migrants a disparu devant le centre humanitaire, mais de minicampements se multiplient à l'abri des regards, désolant les associations qui voient là une traduction amère du
"Plus personne à la rue" promis par Emmanuel Macron.
Cinq semaines après l'évacuation de près de 2.500 personnes porte de La Chapelle, dans le nord de la capitale, les terres-pleins et trottoirs où se serraient les sacs de couchage sont vides, ostensiblement occupés le soir par des camionnettes de police. Le but est de
"sécuriser ces secteurs" et d'
"éviter la reconstitution de campements de voie publique, avec une vigilance renforcée aux abords du centre", explique-t-on à la préfecture de police.
Pour autant,
"on ne peut pas dire qu'il n'y a plus personne" dans Paris, assure à l'AFP Anne-Marie Bredin, du collectif Solidarité migrants Wilson, qui en veut pour preuve les 300 petits-déjeuners distribués chaque matin:
"On ne les voit pas parce qu'ils sont cachés".Quelques 6.000 migrants à la rue à Paris
"Les gens sont disséminés sur une trentaine de campements, entre les portes de la Villette, d'Aubervilliers, de la Chapelle et le canal Saint-Martin" notamment, ajoute Pierre Henry, de France terre d'asile (FTDA), qui estime à 600 le nombre de migrants à la rue dans la capitale.
Cette géographie recoupe en partie celle des campements évacués à répétition en 2015/2016 dans le nord-est de la ville, comme un rappel ironique du pouvoir d'attraction de certains lieux: jardin Villemin où dorment les Afghans, boulevard La Villette avec ses files nocturnes devant la plate-forme de FTDA...
Non loin de la porte de la Chapelle, à l'ombre d'une tour, un entrepôt désaffecté s'est ainsi transformé en abri de fortune, avec matelas et tentes, où une cinquantaine d'hommes s'installent chaque nuit.
"Ici c'est tranquille, on est un peu cachés. Si on dort dans la rue, sous le pont (de l'autoroute, NDLR), la police vient nous dégager", raconte Amadou, un Guinéen de 27 ans.
"Il faut être sans cesse en mouvement"."Manque d'information et de repos"
Il faut faire
"quatre ou cinq kilomètres parfois pour trouver où planter une tente", assure Yann Manzi de l'association Utopia 56.
"C'est devenu leur principale difficulté: le manque d'information et de repos", assure Mme Bredin. "
Ils sont encouragés à bouger constamment" par la police,
"pas violemment, pas en leur tapant dessus", mais
"il ne faut pas s'installer avec une couverture".
Je change d'endroit toutes les nuits. Chaque soir la police vient et dit: 'Ne reste pas là, vas en dehors de Paris'.Fayçal, un migrant soudanais de 23 ans
Souvent entendu à Calais, ce type de témoignage revient en boucle à Paris.
"La police nous réveille vers deux, trois heures du matin", raconte Oumar, autre Soudanais, avec une conclusion désenchantée:
"Je ne pensais pas que ce serait comme ça en France".
L'errance peut durer deux mois: le délai pour accéder au centre humanitaire saturé, Emmaüs Solidarité donnant actuellement des rendez-vous
"pour la mi-novembre". Deux cent cinquante personnes ont pu entrer la semaine dernière. Devant le centre, les migrants forment une file dès le milieu de la nuit, raconte Frédéric Josso d'Utopia 56. Mais
"ils doivent rester debout. S'ils s'assoient, un policier vient leur dire de se relever", précise-t-il.
La consigne de la police : "prévenir les installations"
A la préfecture de police, on assure que les forces de l'ordre
"ont pour seule consigne d'assurer le respect de la tranquillité publique" et de
"prévenir les installations". Mais associatifs et migrants s'interrogent sur la promesse d'Emmanuel Macron, en juillet, de n'avoir
"plus personne" à la rue d'ici la fin de l'année.
"On a entendu ça aux infos, mais ce n'est pas vrai, regardez", lance Shérif, Guinéen de 17 ans, installé pour la nuit devant la plate-forme de FTDA.
"Personne ne peut imaginer le nombre de personnes dehors en ce moment".
"Je suis grand, je peux dormir dans la rue, ça va", raconte crânement Isaakaa, 16 ans, Tchadien arrivé le matin même. Mais
"si on ne me prend pas à Paris je vais continuer mon chemin, en Grande-Bretagne, en Allemagne..." Arrivé à Paris après l'évacuation, Abdamane, un jeune Erythréen, cherche pour sa part un endroit où planter sa tente sur l'avenue Wilson, à Saint-Denis, de l'autre côté du périphérique, malgré les rats qui courent entre les fourrés.
Je ne vais pas bien. Il fait froid, on n'a pas de vêtements, pas à manger, la nuit il y a beaucoup de monde, ce n'est pas tranquille.Abdamane, migrant Erythréen
L'impossible travail des associations...
Pour les bénévoles, cette dispersion ne fait que précariser les migrants, notamment les mineurs plus vulnérables.
"Même si ce n'était pas beau à voir d'avoir un méga-campement, au moins ils étaient tous ensemble, il y avait de l'entraide, ils se passaient les combines", soupire Anne-Marie Bredin.
Sans compter que cette dispersion des campements complique le travail des associations. Du côté de la ville de Paris, pour ne pas laisser les associations seules,
"on réfléchit à pérenniser l'expérience" d'une distribution de nourriture structurée et financée par la municipalité.
En attendant, la stratégie de l'Etat fonctionnera-t-elle?
Macron a peut-être l'impression de gagner. Les migrants sont invisibles. Mais au bout du compte, humainement il va perdre.Yann Manzi, membre de l'association Utopia 56