L'écrivain camerounais Patrice Nganang analyse le conflit qui agite la région anglophone du Cameroun. Pour lui, la demande d'indépendance se justifie car "l'être anglophone au Cameroun est pratiquement dénié d'existence".
Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun, les combats sont devenus quasi quotidiens entre les forces de sécurité et des hommes armés se réclamant de "forces de restauration" d'un Etat anglophone qui avait brièvement vu le jour entre les deux guerres mondiales, sous mandat britannique.
"Des enseignants et des étudiants, accusés de ne pas avoir participé au boycottage (imposé par les séparatistes), ont été agressés physiquement et au moins 42 écoles ont été attaquées par des séparatistes armés de février 2017 à mai 2018", indique
un rapport récent de l'ONG Amnesty International.
Selon l'ONG, au moins 44 membres des forces de sécurité ont été abattus par des séparatistes armés entre septembre et mai dans les régions anglophones.
Par ailleurs,
"les forces de sécurité camerounaises ont commis des violations des droits humains, dont des homicides illégaux, des exécutions extrajudiciaires, des destructions de biens, des arrestations arbitraires et des actes de torture durant des opérations militaires", poursuit l'ONG.
Recrudescence
D'abord cantonnés aux attaques contre les symboles de l'Etat (commissariat, gendarmerie), les groupes séparatistes anglophones armés ont commencé début 2018 à kidnapper des fonctionnaires et des francophones ainsi qu'à s'en prendre aux entreprises étrangères qu'ils accusent de soutenir Yaoundé. De nombreuses écoles ont aussi été brûlées.
Le gouvernement central a répondu par un important déploiement de forces de sécurité dans les deux régions anglophones sur les dix que compte le pays.
Les anglophones du Cameroun dénoncent leur "marginalisation" par rapport aux francophones majoritaires dans le pays et se disent victimes d'injustices dans tous les domaines, en particulier dans le système éducatif et administratif.
Ils dénoncent également l'absence de développement économique, le chômage des jeunes, la corruption, le tribalisme et le népotisme.
Le président camerounais Paul Biya devrait être poursuivi pour
"crimes contre l'humanité" par la communauté internationale pour sa gestion de la crise en zone anglophone, estime le principal opposant politique anglophone, John Fru Ndi.
Une
"guerre contre les anglophones" est en cours, a déclaré à l'AFP M. Fru Ndi, président du parti Social democratic front (SDF, opposition).
Les Etats-Unis sont tout aussi critiques :
"Du côté du gouvernement, il y a eu des assassinats ciblés, des détentions sans accès à un soutien juridique, à la famille ou à la Croix-Rouge, et des incendies (ainsi que) des pillages de villages" a indiqué en mai dans un communiqué l'ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun, Peter Henry Barlerin, dont le texte a été publié à la suite d'une rencontre, à Yaoundé, avec le chef de l'Etat camerounais, le président Paul Biya.
A chaque fois, le gouvernement camerounais dément. Concernant le rapport d'Amnesty International, le ministre camerounais de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, a dénoncé de
"grossiers mensonges".
Ecrivain, poéte et professeur d'université aux Etats-Unis, Patrice Nganang analyse cette dérive dans son dernier livre
"La révolte anglophone. Essais de liberté, de prison et d'exil" aux éditions Teham. Il a été emprisonné 21 jours au Cameroun en 2017 avant d'être expulsé, son passeport camerounais confisqué.
Video : Avec les rebelles indépendantistes de "l'Ambazonia"
un reportage d'Emmanuel Freudenthal