Fil d'Ariane
Il est un un héros visionnaire ayant mis fin au génocide des Tutsi et modernisé le pays pour ses partisans... Il est également un homme politique muselant toute opposition pour ses détracteurs. Depuis trois décennies, Paul Kagame a façonné le Rwanda dans un règne sans partage. Il brigue un quatrième mandat de président. Retour sur son parcours politique.
Le président Paul Kagamé lors d'une conférence de presse à Kigali lors des commémorations des 30 ans du génocide des Tutsi, le 8 avril 2024.
Le 15 juillet, le dirigeant âgé de 66 ans briguera un quatrième mandat, qui lui est promis. Aux précédentes élections de 2003, 2010 et 2017, il n'a jamais obtenu moins de 93% des suffrages.
Trente ans plus tôt, le 4 juillet 1994, cet homme longiligne aux lunettes rondes entrait dans Kigali à la tête de la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR). Il renversait le régime extrémiste hutu instigateur du génocide de plus de 800.000 personnes, majoritairement des Tutsi mais aussi des Hutu modérés.
Un soldat rwandais devant une affiche du président en 2003 lors d'une campagne électorale le 18 aout 2023 dans le nord du pays dans la ville de Byumba.
Troquant son treillis-béret pour les costumes-cravates, il devient un influent vice-président et ministre de la Défense. Dirigeant de facto du pays, il est élu président en avril 2000 par le Parlement, après la démission de Pasteur Bizimungu.
Ses trois décennies au pouvoir ont fait de Paul Kagame un des dirigeants les plus clivants du continent.
Il a été le maître d'œuvre du spectaculaire redressement économique du pays, exsangue après le génocide et aujourd'hui érigé en modèle, attirant des multinationales comme Volkswagen, DP World, BioNtech...
Fin stratège, il est le commandant en chef d'une armée accusée de déstabilisation en combattant aux côtés de la rébellion du M23 dans l'Est de la République Démocratique du Congo, mais qui joue un rôle sécuritaire crucial ailleurs sur le continent (Centrafrique, Mozambique...). Un rapport de l'ONU a documenté la présence de 3000 à 4000 soldats rwandais dans l'est du pays.
"PK" est aussi le VRP d'une destination écotouristique de luxe qui s'affiche sur les maillots d'Arsenal, du PSG et du Bayern Munich. Cette image glamour masque un régime répressif selon les ONG de protection des droits humains.
Au début des années 1960, sa famille a fui les attaques contre la minorité tutsi pour se réfugier en Ouganda. Jeune homme, Paul Kagame y rejoint la rébellion de la NRA (Armée nationale de résistance) de Yoweri Museveni, qui prendra le pouvoir en 1986.
Il fonde avec d'autres exilés tutsi le FPR, qui pénètrera en 1990 au Rwanda pour renverser le régime de Juvénal Habyarimana, dominé par les Hutu, ouvrant une guerre civile.
Quand l'avion d'Habyarimana est abattu le 6 avril 1994, les extrémistes hutu lancent une campagne de massacres visant majoritairement les Tutsi. Le FPR y mettra fin, mais sera ensuite accusé d'avoir tué plusieurs dizaines de milliers de personnes dans sa traque des génocidaires.
Rongée par la culpabilité de son inaction durant le génocide, la communauté internationale restera silencieuse, préférant soutenir le renouveau du pays (7,2% de croissance moyenne entre 2012 et 2022) et ses remarquables progrès d'infrastructures, de santé et d'éducation.
Ce n'est qu'en 2012, après les premières accusations de soutien au M23, que ses alliés occidentaux durciront le ton et réduiront leurs aides.
Les critiques se sont multipliées sur un régime où les voix dissidentes sont étouffées ou contraintes à l'exil. Un des cas les plus retentissants est celui de Paul Rusesabagina, patron hutu de l'hôtel Mille Collines durant le génocide qui sauvera un millier de Tutsi --épisode qui a inspiré le film "Hotel Rwanda".
Cet opposant en exil a été arrêté en 2020 à Kigali, à la descente d'un avion qu'il pensait à destination du Burundi. Le gouvernement rwandais a reconnu avoir financé l'opération. Condamné à 25 ans de prison pour "terrorisme", il a bénéficié d'une grâce présidentielle.
Seul un des onze partis d'opposition officiellement enregistrés ne soutient pas Paul Kagame.
Le dirigeant, lui, balaie les accusations d'autoritarisme. "Des mensonges" venus d'Occident, fustigeait-il dans un entretien à l'AFP en 2021. Quand son parti l'a plébiscité pour briguer un quatrième mandat, ce père de quatre enfants et grand-père de deux petits-enfants a accepté "ce fardeau de responsabilité", mais appelé ses partisans à lui trouver un successeur.
Si tel n'est pas le cas, des amendements constitutionnels adoptés en 2015 lui permettent de se représenter en 2029.