Pétrole au Nigeria : après Eni et Shell, deux intermédiaires relaxés

La Cour d'appel de Milan a acquitté ce jeudi 24 juin le Nigérian Emeka Obi et l'Italien Gianluca Di Nardo, qui avaient été condamnés en 2018 à quatre ans de réclusion pour corruption internationale, dans une affaire impliquant les géants pétroliers Eni et Shell.
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Raffinerie d'Eriemu, Nigeria - image d'archives de 2006
Raffinerie d'Eriemu, Nigeria - image d'archives de 2006
© AP Photo/George Osodi, File
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Dans ce procès retentissant, le parquet italien avait soupçonné les deux groupes d'avoir versé 1,092 milliard de dollars de pots-de-vin, sur un total de 1,3 milliard déboursés en 2011, pour l'acquisition au Nigeria d'une licence d'exploration du bloc pétrolier offshore OPL-245.

Emeka Obi et Gianluca Di Nardo, qui n'ont pas encore commencé à purger leurs peines, avaient été soupçonnés d'avoir assumé le rôle d'intermédiaires pour le ministre du pétrole nigérian Dan Etete pour l'un, et le groupe Eni pour l'autre, dans cette affaire.

La Cour d'appel a également annulé les saisies décidées en première instance, de 98,4 millions de dollars pour le premier et de 21 millions de francs suisses pour le second.

Selon l'accusation, M. Obi, propriétaire de la société Energy Venture Partners, aurait été chargé par l'ex-ministre nigérian du Pétrole, Dan Etete, de trouver un acquéreur pour OPL-245, un bloc qu'il s'était attribué en 1998, en la vendant à Malabu, une société qu'il détenait lui-même secrètement.

C'est paradoxalement Emeka Obi qui a conduit à l'éclatement de l'affaire en faisant citer devant la justice londonienne Dan Etete pour obtenir le paiement de sa commission. Il a obtenu gain de cause en juillet 2013, en recevant 110 millions de dollars.

En mars 2021, les dirigeants des entreprises Eni et Shell sont finalement relaxés.
Claudio Descalzi - PDG d'ENI
Claudio Descalzi, PDG d'ENI prononce un discours au siège de la société à San Donato Milanese, Milan (Italie). ENI et Shell ont été acquittées des charges de corruption qui pesaient sur elle dans l'affaire de l'exploitation de gisements pétroliers off-shore au Nigeria. (15 mars 2019)
© AP Photo/Antonio Calanni, File
Le verdict avait provoqué la réaction des ONGs anti-corruption mobilisées depuis des années pour faire la lumière dans cette affaire, notamment Global Witness, qui avait été à l'origine des révélations qui en 2013 ont abouti à l'ouverture d’une enquête judiciaire. "Ce jugement n'est pas le dernier mot dans ce scandale", a réagi Barnaby Pace, de Global Witness. Il a demandé au parquet de Milan "d'envisager toutes les options pour un appel".  De son côté, l'ONG italienne anti-corruption Re:Common a prévenu "Nous poursuivrons notre action pour que ces entreprises rendent des comptes".

Eni et Shell ont toujours contesté fermement toute corruption. Si les deux groupes sont pour l'instant gagnants dans cette affaire sur un plan judiciaire, il n'en est apparemment pas de même quant à l'aspect financier.

Selon Eni, le gouvernement nigérian ne leur a jamais donné de permis pour commencer à extraire du pétrole, alors que le bloc pétrolier OPL-245 a une capacité de production d'environ 9 milliards de barils.
"Les bénéfices ne se sont jamais concrétisés, Eni et Shell ont investi 2,5 milliards de dollars et leur licence expirera en mai. La vérité est donc que les deux compagnies sont lésées dans cette affaire", a déclaré à l'AFP un porte-parole d'Eni.

La presse italienne, qui a beaucoup suivi le dossier, faisait l’amère remarque que la très grande majorité des migrants qui abordent les côtes italiennes sont nigérians, et que la moitié de l’argent de la transaction, soit 500 000 $, équivaut au budget de la Santé du Nigeria.

"Une chose est sûre, malgré les codes éthiques rigoureux de ces sociétés, on peut lire dans l’accord qu’elles ont signé qu’elles ont obtenu la licence d’exploitation en excluant l’Etat des profits futurs, sans obligation de payer ni de royalties ni d'impôts. Le Nigeria est un des plus grands producteurs de pétrole et de gaz naturel. Selon les données de la Banque mondiale, le PIB par habitant n’a pas évolué depuis 1981 et n’excède pas 2000$ par an, alors que 43% de la population vit avec moins de 1 dollar par jour. 35% des femmes âgées entre 15 et 49 ans et 22% des hommes, ne sont pas scolarisés. Le flux le plus important de migrants africains vers l’Italie vient du Nigeria : 80 000 depuis 5 ans, dont 22 000 sont mineurs" concluait le quotidien Corriere della Sera.