Fatma Baayoo (à droite), responsable des services psychosociaux à l'hôpital du Centre médical de Benghazi, console Ibrar Goma, une jeune survivante de 15 ans des récentes inondations dans la ville de Derna, en Libye, le 18 septembre 2023
Les yeux embués, Ibrar Goma, 15 ans, peine à trouver les mots pour décrire la perte de trois de ses amies dans les inondations qui ont ravagé sa ville de Derna, dans l'Est de la Libye.
"On n'oubliera jamais ce jour à Derna", dit-elle à l'AFP en tentant de se remémorer comment son père a sauvé les sept membres de sa famille des flots qui ont envahi la maison il y a neuf jours.
Après le passage de la tempête Daniel, "il y avait des cadavres par terre, avec des voitures par-dessus", raconte-t-elle depuis son lit dans un hôpital de Benghazi, la grande ville de l'Est, à 300 kilomètres à l'ouest de Derna.
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"C'est la première fois de ma vie que je vois quelque chose d'aussi énorme, même pendant la guerre, ce n'était pas aussi dur", poursuit-elle à voix basse.
"Je suis fatiguée psychologiquement. Ma ville a complètement disparu, peut-être qu'elle sera reconstruite, mais les gens, eux, ne reviendront jamais", lâche-t-elle, sous le regard de sa mère, à son chevet depuis plusieurs jours.
Dr Fadwa El-Fartass (à droite), médecin-cheffe au Centre médical de Benghazi, s'occupe d'Ibrar Goma, une jeune survivante de 15 ans des récentes inondations dans la ville de Derna en Libye, le 18 septembre 2023
Pour Fadwa El-Fartass, médecin-cheffe au Centre médical de Benghazi, après ces inondations qui ont fait des milliers de morts et de disparus, "les traumatismes psychologiques sont plus gros que les traumatismes physiques".
"Même les gens qui ne sont pas de Derna sont sous le choc, parce que ce genre d'événement est très rare en Libye", assure-t-elle à l'AFP.
Les autorités de l'Est du pays ont ouvert une enquête pour tenter de déterminer les circonstances qui ont mené à la rupture de deux barrages en amont de la ville de 100.000 habitants, provoquant une violente inondation qui a balayé des quartiers de Derna vers la Méditerranée, faisant des milliers de morts et de disparus.
Sur les télévisions locales, responsables et présentateurs soulignent la nécessité de faire du soutien psychologique aux habitants de Derna une priorité.
Vue aérienne de la ville de Derna, dans l'Est de la Libye, à la suite d'inondations meurtrières, le 18 septembre 2023
"Il n'y a pas que les enfants qui sont traumatisés", lançait dimanche soir le ministre de la Santé de l'Est de la Libye, Othman Abdeljalil, lors d'une conférence de presse à Derna: "Les adultes aussi doivent voir des spécialistes".
Les premiers jours, "certains rescapés ne pouvaient pas ou refusaient de parler, comme s'ils sortaient d'un mauvais rêve", témoigne Mme Fartass.
Mais cela n'a pas découragé l'équipe des assistants sociaux et psychologiques, 26 femmes et deux hommes, du Centre médical de Benghazi qui se relaie à leurs chevets.
Maintenant, affirme à l'AFP Fatma Baayo, qui dirige l'équipe, "on entre, on se présente et ils nous parlent aussitôt: ils ont besoin de quelqu'un qui les écoute".
Dr Fadwa El-Fartass, médecin-cheffe au Centre médical de Benghazi, dans une unité pour rescapés des récentes inondations dans la ville de Derna en Libye, le 18 septembre 2023
"Ils racontent tous leur histoire: certains disent avoir entendu une énorme explosion, d'autres avoir couru avant d'être submergés, d'autres avoir sauvé leurs enfants", énumère-t-elle.
Face à eux, "il faut rester fort: si je faiblis devant un patient, il va s'effondrer, donc je dois tenir le coup pour qu'il sorte de la crise qu'il traverse", renchérit sa collègue Salma al-Zawi, 40 ans.
Bâtiment détruit dans la ville de Derna, dans l'Est de la Libye, à la suite d'inondations meurtrières, le 18 septembre 2023
"On utilise tous les moyens pour les aider: on leur remonte le moral, on essaye d'alléger la douleur, on les aide à parler pour qu'ils pleurent et qu'ils fassent retomber la pression", explique-t-elle encore à l'AFP.
Et le soir venu, elle dit recharger ses batteries à la maison: "Je rentre chez moi et je vois mes six enfants en sécurité. Cela me rend heureuse parce que je sais qu'il y a beaucoup d'autres gens, notamment des enfants, qui souffrent dans mon pays."