Fil d'Ariane
Cette année encore, la pandémie de Covid-19 a failli avoir raison du sommet de l'Union africaine "en chair et en os". Mais, si la voilure a été réduite pour des raisons sanitaires devenues évidentes, la grande réunion des chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine se tiendra bien "en présentiel", vingt ans après la naissance de l'UA sur les cendres de l'Organisation de l'unité africaine.
À l'issue de ce sommet, c'est le président sénégalais Macky Sall qui prendra les commandes de l'UA pour l'année à venir, trouvant sur son bureau de gros dossiers.
Le plus brûlant sans doute, tant par sa portée politique que par les conséquences qu'il peut avoir sur les organisations régionales et l'organisation continentale : la succession de coups d'Etat en Afrique de l'Ouest.
Mali, Guinée, Burkina Faso et Tchad ont suspendu ces derniers mois ou ces dernières semaines les institutions considérées comme garantes d'une gouvernance acceptables aux yeux de la "communauté internationale".
Début décembre 2021, dans un entretien accordé à France Médias Monde, le président sénégalais s'inquiétait de cette épidémie de coups de forces : "Nous ne pouvons pas accepter que dans cette partie de l’Afrique, des militaires prennent le pouvoir par les armes. Nous sommes en démocratie et le pouvoir se conquiert par les élections", estimait Macky Sall.
Le Burkina Faso n'avait alors pas encore basculé à son tour, confirmant au passage le soutien accordé aux putschistes par les opinions publiques et, corollairement, le rejet d'un certain nombre d'institutions, au premier rang desquelles la Cédéao et ses sanctions.
Ce lundi 31 janvier, l'Union africaine a, à son tour, annoncé la mise au ban de Ouagadougou "jusqu'au retour de l'ordre institutionnel". Quelle réponse saura-t-elle apporter à des populations qui, lassées de l'inefficacité des régimes démocratiquement élus en matière de sécurité, leur préfèrant ostensiblement des juntes militaires et, dans le cas du Mali, le coup de main très opaque des mercenaires russes de la compagnie Wagner ?
L'Afrique de l'Ouest n'accaparera pas seule les débats lors de ce sommet marquant le début d'une année dont le thème est "Renforcer la résilience en matière de nutrition sur le continent africain : Accélérer le capital humain, le développement social et économique."
L'un des conflits préoccupants du continent se déroule actuellement sur le territoire du pays-hôte : l'Ethiopie est en guerre dans sa région occidentale du Tigré.
Un sujet inattendu s'est invité dans les débats et pourrait donner lieu à de vifs échanges : les relations avec Israël.
La polémique a éclaté en juillet dernier. Le président de la Commission de l'Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a accepté l'accréditation d'Israël, avec le statut d'observateur. Israël était accréditée auprès de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), puis a perdu ce statut lorsque cette dernière, créée en 1963, a été dissoute et remplacée par l'UA en 2002.
Quelle que soit la décision prise lors du sommet, l'UA sera divisée comme elle ne l'a jamais été.
Un analyste à propos des liens entre l'UA etIsraël
Ce retour a déclenché la colère de deux géants africains : l'Afrique du Sud et l'Algérie ont décidé d'inscrire le sujet à l'ordre du jour du sommet. "Vingt ans après la formation de l'Union africaine survient le premier problème qui va sérieusement diviser" l'organisation, souligne à l'AFP Na'eem Jeenah, directeur exécutif de l'Afro-Middle East Center de Johannesburg."Quelle que soit la décision prise lors du sommet, l'UA sera divisée comme elle ne l'a jamais été", estime-t-il.
Soixante-douze pays, organisations régionales et organismes sont accréditées auprès de l'UA, dont la Corée du Nord, l'Union européenne ou l'Onusida. Israël jugeait récemment que son exclusion était une "anomalie" du fait des relations qu'elle entretient avec la grande majorité des pays africains.
Cette question pourrait donner lieu à un vote à l'issue très incertaine. Les principaux soutiens d'Israël sont le Rwanda et le Maroc, mais de nombreux pays n'ont pas exprimé leur position et toute décision sur ce sujet nécessitera un soutien des deux-tiers des États membres.
Si le continent africain reste relativement épargné par la pandémie de Covid-19, il est aussi celui qui a vu naître le dernier des variants, Omicron, fin 2021 en Afrique du Sud. Un signal, considèrent de nombreux experts, du risque que fait encourir le faible taux de vaccination en Afrique sur l'éventuelle multiplication des variants. Moins de 11% des Africains sont complètement vaccinés, selon les données les plus récentes fournies par l'Union africaine.
Les enseignements de cette crise sanitaire devraient occuper un certain nombre de discussions cette fin de semaine à Addis Abeba.
Dans une note publiée début janvier, l'Institut d'études de sécurité (ISS, une organisation présente dans plusieurs pays du continent) souligne à quel point, malgré quelques résultats convaincants de l'UA, "le continent ne sait toujours pas se faire entendre ni parler d’une seule voix contre ce traitement inéquitable".
C'est devenu un sujet récurrent pour les sommets de l'Union africaine : le financement de l'organisation.
Vingt ans après sa naissance, l'UA cherche toujours les moyens de s'autofinancer, en clair ne plus avoir à compter sur l'argent des chinois et européens, notamment.
En 2016, l'UA a mis en place une contribution sur les importations.
Baptisé "décision de Kigali", le système prévoit que 0,2% du prix de chaque importation sur le continent soit reversé à l'organisation. Mais comme le pointait il y a quelques jours la lettre Financial Afrik, "la décision de Kigali (...) a du mal à être implémentée. Cinq ans plus tard, seuls 17 pays représentant environ 31% des membres de l’UA étaient à divers stades de son application".
À ce jour, les contributions extérieures représentent toujours plus de la moitié du budget de l'organisation panafricaine.