Fil d'Ariane
Cela fait huit ans qu’il ne s’est pas rendu dans son pays. L’ancien président du Burkina Faso Blaise Compaoré est attendu à Ouagadougou en fin de semaine. Il doit rencontrer les autorités militaires, au pouvoir depuis le coup d’État du mois de janvier. « Il doit arriver jeudi ou vendredi pour un court séjour », détaille une source proche du pouvoir burkinabè. Il doit aussi « être reçu par le chef de l’État dans le cadre de la réconciliation nationale », poursuit cette source. L’entourage de l’ancien président confirme toutes ces informations.
Ce retour est-il synonyme d’une nouvelle ère politique au Burkina Faso ? Il semble que le lieutenant Damida, chef de la junte militaire au pouvoir, cherche à créer une « union sacrée » autour de lui pour l’aider dans la lutte contre les groupes djihadistes, qui ensanglantent le Burkina Faso depuis 2015 et dont les attaques sont de plus en plus nombreuses et meurtrière ces dernières semaines. Pour rappel, en 27 ans de règne, Blaise Compaoré a réussi à préserver son pays des attaques djihadistes.
Antoine Glaser est journaliste spécialiste de l’Afrique. Son dernier ouvrage, Le piège africain de Macron, co-écrit avec Pascal Airault, est paru aux éditions Fayard en 2021. Selon lui, le retour de Blaise Compaoré au Burkina Faso vise à permettre une meilleure coopération du pays avec la Côte d’Ivoire, sur le plan sécuritaire mais aussi sur le plan économique.
À mon avis, il ne fera qu’un aller-retour au Burkina Faso. En plus, il est très fatigué. Physiquement, il n’est pas bien.
Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique.
TV5MONDE : Quelles sont les raisons du retour de Blaise Compaoré au Burkina Faso ?
Antoine Glaser : Depuis un certain temps, on voit que l’ancien ministre des Affaires étrangères Djibril Bassolé, qui est une sorte d’émissaire pour Blaise Compaoré, est la cheville ouvrière des négociations avec le chef de la junte. D’après Africa Intelligence, il joue un rôle extrêmement important dans les relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Il y a deux raisons qui justifient ces discussions.
Dans un cadre général de lutte contre le terrorisme et le djihadisme, mais aussi pour améliorer les relations de la junte avec la Cédéao, la Côte d’Ivoire peut jouer un rôle important.Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique
D’abord, quelqu’un comme Djibrill Bassolé, qui connaît très bien la Cédéao, peut faire office d’intermédiaire un peu secret entre la Cédéao (NDLR : Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) et la junte au pouvoir au Burkina Faso. Il a tout intérêt à ce que la pression de la Cédéao soit moins forte. Dans un cadre général de lutte contre le terrorisme et le djihadisme, mais aussi pour améliorer les relations de la junte avec la Cédéao, la Côte d’Ivoire peut jouer un rôle important.
Ensuite, la menace terroriste est en recrudescence dans la région. Les groupes djihadistes descendent au nord de la Côte d’Ivoire à partir du Burkina Faso. Les deux pays ont intérêt à relancer un traité d’amitié passé en 2008 (NDLR : le Traité d’amitié et de coopération (TAC) entre la République de Côte d’Ivoire et le Burkina Faso signé le 29 juillet 2008 à Ouagadougou). Il y a une sorte de volonté de rapprochement sécuritaire entre les deux pays.
TV5MONDE : Peut-on parler d’un retour définitif ?
Antoine Glaser : Il faudrait déjà que Blaise Compaoré bénéficie d’une forme d’amnistie. Pour rappel, il est toujours poursuivi, non seulement pour tentative de coup d’État, mais surtout pour pour sa condamnation pour avoir œuvré dans l’assassinat de Thomas Sankara. Il faudrait qu’il ait un accord au plus haut de l’État pour pouvoir rentrer définitivement dans son pays.
À mon avis, il ne fera qu’un aller-retour au Burkina Faso. En plus, il est très fatigué. Physiquement, il n’est pas bien. Son retour pourrait déclencher un rapprochement avec la Côte d’Ivoire, qui est compliqué du fait que Blaise Compaoré a la nationalité ivoirienne, ce qui fait qu’il ne peut pas être extradé du pays.
Actuellement, Paul-Henri Sandaogo Damiba fait quasiment ce qu’il veut.Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique
Depuis le coup d’État du mois de janvier, la situation a changé. Autant Roch Kaboré bénéficiait de l’appui de la société civile, il n’avait pas les marges de manœuvres qu’a la junte militaire. Actuellement, Paul-Henri Sandaogo Damiba fait quasiment ce qu’il veut. Dans une situation de crise, comme celle que connaît le Burkina Faso sur la pression sécuritaire des djihadistes, il a une marge de manœuvre plus grande que son prédécesseur.
Paul Henri Damiba est donc libre d’acter le retour de l’ancien président. D’autant plus que Blaise Compaoré peut lui apporter des connaissances par tous ses réseaux djihadistes. Il avait lui-même des relations étroites avec un certain nombre d'entre eux. Cela dit, ce n’est pas le président Compaoré tout seul qui peut tout changer en revenant au Burkina Faso. Mais ce sont toutes ses anciennes équipes qui peuvent participer à la stabilisation sécuritaire du pays et aussi améliorer les relations de la junte avec la Cédéao.
TV5MONDE : Qu’est-ce que que le retour de Blaise Compaoré dit de la situation politique du Burkina Faso ?
Antoine Glaser: Cela montre que la situation est extrêmement difficile et compliquée sur le plan économique et social. Du côté sécuritaire, c’est une évidence. Et cette instabilité sécuritaire provoque, en dehors de tout ce qui peut avoir trait à des embargos, des restrictions de la Cédéao sur le commerce.
Les principaux travailleurs dans les plantations de cacao en Côte d’Ivoire, ce sont les Burkinabès.Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique
Il ne faut jamais oublier qu’il y a à peu près 3 ou 4 millions de Burkinabè qui travaillent dans les plantations en Côte d’Ivoire, donc les deux pays ont besoin de fonctionner ensemble. Avant tout pour l’économie. Les principaux travailleurs dans les plantations de cacao en Côte d’Ivoire, ce sont les Burkinabès. Parce que c’est un pays enclavé qui a très peu de ressources. Le retour de Compaoré au Burkina Faso pourrait renforcer les liens entre les deux pays.