Fil d'Ariane
Après les coups d’État à répétiton en Afrique de l’ouest, la pandémie et le terrorisme, voilà un nouveau caillou coincé dans la chaussure de l’Union africaine (UA). Réunis pour un sommet à Addis-Abeba les 5 et 6 février, les pays de l’UA sont divisés sur le statut d’observateur dont bénéficie Israël au sein de l’organisation.
Accordé en juillet 2021 par Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’UA, ce statut d’observateur ne fait pas consensus au sein des 55 pays membres. Ce sont l’Algérie et l’Afrique du Sud qui ont inscrit cette question à l’ordre du jour du sommet.
Pour éviter toute controverse autour de ce question épineuse, un vote censé se dérouler ce dimanche a d’ailleurs été suspendu par l’organisation. Selon de nombreux observateurs, le sujet pourrait être une source de scission sans précédent dans l’histoire de l’Union africaine, créée il y a vingt ans.
“Une des raisons pour lesquelles l’UA ait accordé ce statut à Israël est lié à la normalisation des relations entre Israël et plusieurs États arabes. Cela a décrispé la situation au sein de l’Union africaine”, décrypte Anne-Sophie Sebban-Bécache, docteure en géopolitique et directrice de l’American Jewish Comittee (AJC) Paris.
En octobre 2020, le Soudan, historiquement hostile à Israël, avait en effet normalisé ses relations diplomatiques avec l’État hébreu. Les États-Unis, principal allié de Tel-Aviv, avaient mené les échanges entre les deux parties et avaient promis une aide financière à Khartoum en échange de la reconnaissance d’Israël.
En décembre 2020, le Maroc avait lui aussi décidé de normaliser ses relations diplomatiques avec Israël. Malgré l'importance de la communauté juive marocaine installée en Israël, le royaume chérifien n’avait jamais reconnu officiellement l’État hébreu depuis sa création en 1948. En échange de la normalisation de ses relations diplomatiques, le Maroc a négocié la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental.
La coopération entre les deux pays a marqué un nouveau cap en décembre 2021 avec la signature d'accords en fourniture d'armes et de coopération des services de renseignement.
Face à une hostilité des pays du Maghreb, arabes et musulmans, solidaires des Palestiniens, Israël veut mettre une barrière. C'est pourquoi l’intégration au sein de l’UA est motivée par des intérêts stratégiques, notamment en Afrique de l’Est. “L’Éthiopie a toujours été considérée comme un allié stratégique par Israël. L’idée, c’est de créer une ceinture d’États alliés en-dessous des États hostiles à Israël”, explique Anne-Sophie Sebban Bécache. “L’Éthiopie, c’est une fenêtre ouverte sur la Mer Rouge, un lieu de passage stratégique pour Israël au niveau commercial et sécuritaire”, poursuit la chercheuse.
La présence d’une communauté juive en Éthiopie a favorisé les liens avec Israël. La dynastie salomonide qui a régné sur le pays pendant huit siècles se réclamait d’ailleurs du roi hébreu Salomon et de la reine de Saba d'Éthiopie, qui est de surcroît le seul pays chrétien de la région. “Cela joue dans l’imaginaire israélien. Israël, comme l’Éthiopie, sont attachés à l’Ancien Testament. Cela crée des relations culturelles et sociologiques importantes”, explique Anne-Sophie Sebban-Bécache.
Malgré ces avancées diplomatiques, le statut d’observateur accordé à Israël par l’UA continue de faire débat au sein des pays membres, notamment à cause de la question palestinienne.
L’Afrique du Sud compte parmi les pays historiquement opposés à la présence d’Israël au sein de l’Union africaine. Depuis la fin de l’Apartheid, les dirigeants politiques sud-africains reprochent régulièrement au gouvernement israélien de mener une politique similaire à celle de l’Apartheid envers les Palestiniens. “Notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens”, avait déclaré Nelson Mandela, héros de la lutte contre l’Apartheid et soutien indéfectible du leader palestinien Yasser Arafat.
Cet argument est repris par les représentants palestiniens, qui bénéficient eux aussi d'un statut d'observateur au sein de l'Union africaine depuis 2013. Samedi, le premier ministre palestinien, Mohammed Shtayyeh, a dénoncé le statut dont bénéficie Israël. “Nous appelons au retrait et à l'objection du statut d'observateur israélien auprès de l'Union africaine”, a-t-il déclaré en qualifiant l’accréditation d’Israël de “récompense imméritée” pour les abus commis selon lui par le gouvernement israélien contre les Palestiniens.
"Israël ne devrait jamais être récompensé pour ses violations et pour le régime d'apartheid qu'il impose au peuple palestinien", a ajouté Mohammed Shtayyeh, citant notamment un rapport d'Amnesty International publié cette semaine.
De son côté, l’Algérie voit d’un très mauvais œil tout rapprochement avec Tel-Aviv. “L’Algérie considère que la Palestine est occupée. Tant que la Palestine est occupée, la question de la reconnaissance d'Israël ne se pose pas. Cela fait partie des piliers de la diplomatie algérienne”, explique Benjamin Augé, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
À ce titre, le rapprochement entre le Maroc et Israël constitue un affront diplomatique pour l’Algérie, qui soutient les redevendications des indépendantistes du Front Polisario au Sahara Occidental.
(Re)voir - Sahara occidental : jusqu'où peuvent aller les tensions entre l'Algérie et le Maroc ?
Les soutiens de la présence israélienne au sein de l'UA peinent à se faire entendre, peut-être par manque de poids diplomatique. "Je ne peux pas ne pas être d’accord avec la décision que le président a prise conformément aux textes de l’Union africaine”, a affirmé Azali Assoumani, le président des Comores, à TV5MONDE.
Interrogé par TV5MONDE en marge du sommet, le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, a dénoncé "une minorité de pays" qui "croient que l'organisation [l'Union africaine, NDLR] est leur chasse gardée et pensent qu'ils peuvent engager une surenchère nationale et venir au sein de l'Union africaine pour l'imposer".
Malgré ces quelques soutiens, selon Benjamin Augé, la diplomatie israélienne en Afrique montre ses limites, notamment parce que les acteurs économiques les plus importants restent opposés à l’État hébreu. “Certaines puissances africaines militent pour avoir une relation conditionnelle avec Israël, comme le Nigeria dont une partie des diplomates font de la question palestinienne un dogme. Certaines locomotives du continent, comme l'Afrique du Sud poussée par l'ANC [le parti au pouvoir, NDLR], ne veulent pas que la question palestinienne soit oubliée”, explique-t-il.
Les soutiens dont bénéficie Israël sur le continent serait, eux, à relativiser. "L'Éthiopie apporte bien peu en matière d'influence diplomatique en Afrique pour Israël", ajoute Benjamin Augé, qui estime qu'il en va de même pour le Cameroun, le Rwanda, la Côte d'Ivoire et le Togo.
Pour de nombreux observateurs, les succès diplomatiques obtenus par Benyamin Netanyahou en Afrique restent à confirmer. “Le problème est que le reprise des relations diplomatiques avec un grand nombre de pays africains ne s'est pas accompagnée d'une politique africaine structurée. Netanyahou a affaibli l’administration israélienne, en particulier le ministère des Affaires étrangères, et a tout voulu gérer depuis la primature sans avoir les moyens de donner du contenu à la relation avec le continent africain", décrypte Benjamin Augé. “Les échanges économiques entre l’Afrique et Israël sont extrêmement peu riches.”