Fil d'Ariane
La construction pourrait être achevée en octobre 2015, selon Dhafer Néji, le conseiller en communication du Premier ministre tunisien : d'ici trois mois, un mur de sable, constitué de dunes et de côtes infranchissables par les véhicules, devrait ainsi longer 168 des 450 kilomètres de la frontière entre la Tunisie et la Libye.
C'est le Premier ministre tunisien, Habib Essid, qui en a fait l'annonce lors d'une allocution télévisée consacrée à l'instauration de l'état d'urgence dans le pays, le 7 juillet. Le but : « endiguer la menace terroriste » après les attentats de Sousse et du musée du Bardo à Tunis, qui ont causé une soixantaine de victimes en à peine plus de trois mois. Leurs auteurs ont tous été entraînés dans des camps djihadistes en Libye.
> Pour aller plus loin : lire notre article "Tunisie : le péril djihadiste"
Mais ce projet n'est pas du goût du gouvernement de Tripoli, soutenu par la coalition de milices islamistes Fajr Libya (non reconnu par la communauté internationale). Le 14 juillet, il a fait savoir dans un communiqué que « toute mesure destinée à sécuriser la frontière entre les deux pays doit faire l'objet de consultations bilatérales car aucune décision unilatérale ne peut garantir la sécurité » de la Tunisie.
Pourquoi le gouvernement tunisien a-t-il pris une telle décision ?
Le gouvernement tunisien est dans une situation d'échec, même si cela ne veut pas dire qu'il en est responsable. Le pays connaît une saison touristique compromise, un gouvernement qui paraît incapable de trouver les réponses adéquates face à la montée du terrorisme, un attentat dans un musée, une police démissionnaire, une ville touristique qui aurait dû en principe être hyper-sécurisée... Surtout, le gouvernement tunisien avait dit prendre les mesures qui s'imposent après l'attentat contre le musée du Bardo. C'est un double échec qui a poussé le gouvernement à prendre cette décision précipitée.
Ce mur peut-il pour autant être une solution efficace contre le terrorisme ?
La décision en elle-même est une fuite en avant : elle est loin de répondre à une réponse globale pour endiguer le terrorisme. Non seulement elle sera contre-productive dans la mesure où d'autres points de passages resteront perméables à la venue de terroristes. Mais la Libye n'est pas le seul "exportateur", lieu d'entraînement ou point de passage pour les terroristes. La Tunisie elle-même est le pays qui envoie le plus gros nombre de candidats au djihad au Moyen-Orient. Sans réellement se préoccuper des conditions locales, d'ordre économique et social, voire politique, qui poussent des enfants de la Tunisie à se dresser contre leur pays, à porter des armes et à vouloir mourir, ce n'est pas avec un mur de sable que la parade contre ce fléau sera trouvée.
Pourquoi s'en prendre à la frontière avec la Libye ?
Les enquêtes de la police - ce qui laisse penser qu'il s'agit d'une décision sécuritaire et non pas politique - montrent que ces éléments (les auteurs des attentats de Sousse et du Bardo, ndlr) venaient de Libye, ou y ont acquis une certaine expérience. Plusieurs chefs recherchés par la police tunisienne sont d'ailleurs réfugiés en Libye.
Par ailleurs, la scission de la Libye est un petit peu compliquée pour la Tunisie : elle ne reconnaît que le gouvernement qui est à l'Est, c'est-à-dire à Tobrouk. Le gouvernement de Tripoli n'est pas reconnu par la communauté internationale. Ce mur risque non seulement de ne pas endiguer le terrorisme, mais aussi de créer de nouvelles difficultés avec ce gouvernement qui, même s'il n'est pas reconnu, contrôle une partie du territoire libyen.
Le gouvernement de Tripoli a réagi contre ce projet de mur. Pourquoi ?
La décision a été immédiate et brutale. Le gouvernement de Tripoli a même menacé la Tunisie de prendre les mesures qui s'imposent contre la construction de ce mur, ce qui a d'ailleurs été perçu par certains politiques et médias tunisiens comme une déclaration de guerre. Il va de soi que le gouvernement de Tripoli ne pouvait que réagir ainsi : vouloir construire un mur alors que ce gouvernement est boycotté par la communauté internationale et fermer le seul accès terrestre important qu'il a avec un pays étranger, cela signifie asphyxier ce territoire et ce gouvernement.
Cela a amené le gouvernement tunisien à modérer ses propos, indiquant que ce mur n'est que provisoire et qu'il sera enlevé une fois le problème du terrorisme résolu. Cela relève un petit peu de la fiction : personne n'est en mesure de dire que le problème du terrorisme sera réglé d'une manière définitive. La région est appelée à connaître des secousses sécuritaires. Ce mur a été construit plutôt pour rester, et pas pour être enlevé de si tôt. Cela sans oublier le coût exorbitant pour le Trésor tunisien, qui est déjà en difficulté financière. Il s'élève à environ 60 millions d'euros.
Cela va-t-il encore augmenter les tensions entre les deux gouvernement ?
Les relations entre Tripoli et Tunis sont en dents de scie. Tripoli reproche au gouvernement tunisien de favoriser le gouvernement de Tobrouk. Les Tunisiens reprochent à la Libye les problèmes survenus récemment pour les journalistes ou les sections diplomatiques (victimes d'enlèvements au cours des derniers mois, ndlr), dont on ne connaît pas exactement les responsables. Ce projet de mur s'inscrit dans un feuilleton de quiproquo et de malentendus entre les deux capitales.
Mais ce qui est important dans cette question, c'est que ce mur est une très mauvaise nouvelle pour le Maghreb, de manière générale. Le Maroc construit un mur à la frontière avec l'Algérie, et maintenant la Tunisie veut en construire un également. Au final, que reste-t-il du Maghreb ? C'est un Maghreb des murs... alors qu'il connaissait une dynamique d'intégration régionale. Le mur entre la Tunisie et la Libye va assommer et enterrer le projet même d'intégration régionale entre les pays du Maghreb.