"Présidence à vie en Afrique" 5/10 : le mot « démocratie » n’est pas un mot magique, estime l’écrivaine ivoirienne Tanella Boni

A la suite de la publication sur le site change.org du manifeste « Halte à la présidence à vie en Afrique !» par l’Ivoirienne Véronique Tadjo, le Camerounais Eugène Ebodé et le Guinéen Tierno Monénembo, nous avons souhaité ouvrir un débat sur cette thématique en donnant la parole aux écrivains du continent et de la diaspora. Ecrivaine, philosophe et professeure à l'Université Félix Houphouet-Boigny à Abidjan, en Côte d'Ivoire, Tanella Boni évoque pour nous la complexité et la diversité des situations sur le continent. Entretien. Une série proposée par Christian Eboulé.  
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L'écrivaine et philosophe ivoirienne Tanella Boni, lors du salon du livre de Genève en 2012.
 
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TV5MONDE : Jusqu’à présent, la plupart des pays francophones d’Afrique de l’Ouest se distinguaient par leur volonté de consolider les processus démocratiques initiés dans les années 1990. Les récentes candidatures à un troisième mandat consécutif des présidents Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire et Alpha Condé en Guinée semblent inverser cette tendance. Faut-il mettre un terme à ce phénomène comme l’exigent les signataires du manifeste « Halte à la présidence à vie en Afrique ! » ?
 

Tanella Boni : Les pays francophones d'Afrique de l'Ouest sont indépendants depuis 1960, pourquoi tenir compte uniquement de la période qui commence à partir de 1990 ? Allons plus loin. L’histoire de chaque pays est longue et complexe. Il faut tenir compte de cette complexité et de la diversité des situations. Je pense que la Côte d’Ivoire n’est ni la Guinée, ni le Cameroun, ni le Mali, ni aucun autre pays africain : la Côte d’Ivoire c’est la Côte d’Ivoire, avec ses spécificités et son histoire…

Je me demande si les processus dont vous parlez ont été une réussite. Qu’avons-nous gagné, qu’avons-nous perdu ? Ne faisons pas l’économie de ces questions qui me semblent importantes. Et n’oublions pas, en Côte d’Ivoire, l’exacerbation des haines « tribales », un phénomène qui n’a pas disparu, qui est plus que jamais à l’ordre du jour.

A mon avis, le mot « démocratie » n'est pas un mot magique. Il ne signifie nullement un vote mécanique tous les cinq ans. Donnons donc un contenu à ce mot. Une démocratie se construit sur le long terme. Et la « démocratie » dans un pays n’est pas celle d’un autre pays. Heureux celles et ceux qui ont tout compris à ce qu'est la « démocratie » dans un pays africain et en Côte d'Ivoire en particulier ! 

(Re)voir : "Il n'y a pas plus contagieux que la dictature" pour Tierno Monénembo

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Personnellement, je cherche encore.  En tant qu'écrivaine et philosophe, j'ai envie d'aller à l'essentiel. Quels sont nos projets de société ? Comment maintenir la paix sociale et la paix dans les familles ? La question du bien-être et du bien-vivre est incontournable. Nous vivons dans un monde global qui bouge. Comment s’adapter aux changements dans notre monde local ? Que valent nos savoirs et savoir-faire? 

Dans quelle situation se trouvent nos maisons d’édition ? Qu'apportons-nous à nous-mêmes et au reste du monde ? Quelles sont nos innovations à tous points de vue ? Nos systèmes éducatifs sont-ils performants ? Nos forêts ne sont-elles pas déboisées à outrance ?  

(Re)voir : "Migrants : un calvaire selon un rapport du HCR"

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Et le désert qui avance alors que nos pays sont des « réservoirs » de matières premières pour d'autres. La pollution de l'air, de la terre et de l'eau est un vrai problème.  Et pourquoi le phénomène migratoire prend-il de l’ampleur ? Et ce n'est que le sommet de l'iceberg... Je ne parle même pas de la pauvreté ni de cet autre problème qu'est le  « radicalisme » religieux qui menace toute paix sociale...

TV5MONDE : Avec l’exil en France de l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne Guillaume Soro, comme de nombreux partisans de l’ex-président Laurent Gbagbo, la campagne électorale pour la présidentielle d’octobre s’est déportée dans l’Hexagone. Que vous inspire ce phénomène ?

Tanella Boni : Ce qui ne cesse de m'étonner, c'est que nous clamons que nous sommes des pays indépendants depuis 1960, que nos Etats sont souverains et, dans le même temps, nous attendons que le président Macron ait son mot à dire concernant les affaires ivoiriennes ! On lui demande de prendre position, on lui écrit même des lettres ouvertes. Il me semble que certaines contradictions ne choquent pas celles et ceux qui auraient pu être choqués ! 

TV5MONDE : La démocratie est-elle un préalable pour le développement en Afrique ?

Tanella Boni : Je ne sais pas à quoi correspondent les mots « démocratie » et « développement » qui, à mon avis, sont très loin d'être des recettes toutes faites à appliquer à tout moment, sans même réfléchir... Quel est le contenu qu'on donne à ces mots ? Quels sont les projets de société que nous construisons ? Voilà les questions incontournables.