Présidentielle 2022 au Kenya : Raila Odinga, l'inusable vétéran de la politique kényane

Candidat pour la cinquième fois à la présidence du Kenya, Raila Odinga est une figure historique de la politique kényane, qui a incarné durant des décennies l'opposition avant de se rapprocher ces dernières années du pouvoir.
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Raila Odinga
Le candidat à la présidence Raila Odinga lors d'une conférence de presse avec des journalistes de la presse internationale à Nairobi, le 18 juillet 2022.
© AP Photo/Brian Inganga
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La présidentielle du 9 août constitue probablement la dernière chance d'entrer à "State House", le palais présidentiel, pour ce vétéran de la politique, âgé de 77 ans. Son ambition et sa détermination sont au cœur de l'histoire récente du Kenya.

Engagé dès le début des années 80 contre le régime de parti unique, Raila Amolo Odinga a connu la détention, et un bref exil en Norvège, avant d'entrer au Parlement lors des premières élections multipartites de 1992.

C'est lors des scrutins présidentiels de 1997, 2007, 2013 et 2017 que ce leader de la communauté Luo s'impose comme un acteur politique incontournable, toujours candidat opposé au pouvoir.

En 2007, sa contestation de la victoire de Mwai Kibaki dégénère en sanglantes violences ethniques, faisant plus de 1.100 morts et des centaines de milliers de déplacés.

Son rival, Ruto a d’ailleurs été accusé de crimes contre l’humanité pour le rôle joué lors de ces violences.

La crise se résoudra par un accord de partage du pouvoir, avec Odinga Premier ministre (2008-2013). Durant cette période, il est un des artisans de la Constitution de 2010, considérée comme une des plus progressistes du continent.

"Président du peuple"

En 2013 et 2017, il a pour adversaire Uhuru Kenyatta, avec qui la rivalité est historique.

Son père, Jaramogi Oginga Odinga, fut le grand perdant de la lutte pour le pouvoir après l'indépendance du Kenya en 1963, au profit du premier président Jomo Kenyatta... père d'Uhuru.

En 2017, Raila Odinga fait invalider le scrutin par la Cour Suprême, une première en Afrique, à la fureur d'Uhuru Kenyatta, arrivé en tête. Ce dernier sera réélu quelques semaines plus tard lors d'un nouveau vote boycotté par Odinga.

(RE)lire : A Washington, Raila Odinga demande une nouvelle présidentielle

Contestant la légitimité du chef de l'État, "RAO" se fait symboliquement investir "président du peuple".

Mais aujourd'hui, pour de nombreux Kényans, Odinga n'est plus un challenger du pouvoir. Son image d'éternel opposant a été écornée par son rapprochement avec Uhuru Kenyatta depuis quatre ans.

Après les violences post-électorales en 2017 qui ont fait des dizaines de morts, les deux rivaux ont, à la surprise générale, décidé d'une trêve, symbolisée en mars 2018 par une poignée de main restée célèbre.

"Pas un larbin"

Certains ont vu dans ce rapprochement avec Kenyatta - qui ne peut briguer un troisième mandat et soutient Odinga pour le scrutin du 9 août - un ralliement opportuniste pour enfin accéder au pouvoir.

Il a choisi comme co-listier une femme, Martah Karua, l’ancienne ministre de la Justice. S’il est élu, elle deviendrait la première femme à occuper la fonction de vice-présidente au Kenya.
 
Martha Karua
Martha Karua, au centre, qui est la candidate à la vice-présidence d'Olinga, lors d'une conférence de presse à Nairobi le 18 juillet 2022.
© AP Photo/Brian Inganga, File
Martha Karua a retenu l’attention de l'électorat féminin dans un pays qui est loin d’avoir atteint un quota suffisant de femmes dans les instances représentatives de l’État comme le Parlement et où les femmes sont très souvent victimes de harcèlement, selon Associated Press.

Odinga assure avoir agi pour éviter une fracture profonde dans le pays. Les Kényans "savent que je suis une personne indépendante, une personne de conscience avec de très fortes convictions", a-t-il répété devant la presse en juillet: "Je ne peux pas être le larbin ou le candidat de quelqu'un".

"Raila est tout à fait conscient qu'une grande partie du soutien dont il bénéficie vient du fait qu'il est une figure anti-establishment depuis si longtemps. La 'poignée de main' a sapé ce récit", explique à l'AFP Gabrielle Lynch, professeure à l'Université de Warwick (Grande-Bretagne).

Foot et reggae

Surnommé "Agwambo" ("le mystérieux" en langue luo), Raila Odinga est un homme de contradictions.

Ses plus fidèles partisans le considèrent toujours comme un combattant de la démocratie et un réformateur social indispensable dans un pays profondément inégalitaire. Ses détracteurs décrivent un agitateur populiste, prompt à jouer des rivalités ethniques pour assouvir son ambition.

Ces derniers l'ont également souvent épinglé comme "socialiste". S'il a certes suivi des études d'ingénieur à Leipzig, en Allemagne de l'Est communiste (ex-RDA) et prénommé Fidel son fils aîné - décédé en 2015 - en hommage à Fidel Castro, ce riche homme d'affaires est à la tête d'un solide patrimoine économique, notamment dans le secteur de l'éthanol et du pétrole.

Réputé pour ses talents d'orateur, il a vu son charisme s'éteindre quelque peu avec l'âge. Lors de la campagne, ce grand-père de cinq petits-enfants est apparu vieillissant, bredouillant, l'élocution parfois confuse.

Mais il ne se départit pas de sa passion pour le club d'Arsenal et surtout pour le reggae.

Depuis plusieurs années, il a fait sienne la chanson de Lucky Dube, dont il martèle le titre comme une devise: "Nobody can stop reggae" ("Personne ne peut arrêter le reggae").