À quelques jours de l'élection présidentielle au Burkina Faso, le 22 novembre, le président sortant Roch Marc Christian Kaboré a évoqué la question du retour de Blaise Compaoré. Le président déchu est exilé depuis 2014 en Côte d'Ivoire. Le dirigeant actuel estime qu'il "faut qu’on prépare les choses pour que tout soit clair pour tout le monde avant qu’il ne revienne dans son pays." Entretien avec l'analyste Windata Zongo.
Windata Zongo est chercheur au Centre Africain d'Analyses et de Recherches Diplomatiques et Stratégiques.
TV5MONDE : L'actuel président Kaboré estime qu'il faut "préparer" le retour de Blaise Compaoré, avant de l'envisager. Pourquoi cette nécessité ?Windata Zongo : Blaise Compaoré étant un des fils du pays, la tradition burkinabé veut que ce retour soit possible. Ce sont des pratiques institutionnalisées et je ne crois pas qu'il y ait des gens fondamentalement opposés à son retour. Cela ne pose pas un problème de sécurité global.
Une partie de la population souhaite son retour dans le cadre du dialogue national mais la justice demande l'inculpation de l'ancien président. J'imagine qu'il faut que des dispositions sécuritaires et juridiques soient prises pour lui éviter la case de l'incarcération. Cela peut se traduire par une résidence surveillée, par exemple, mais de mon point de vue, la case justice ne sera pas évitée.
D'ailleurs, je crois que l'ancien président a lui-même envie de venir s'expliquer sur ce qu'on dit de lui, notamment dans son rôle sur
l'assassinat du président Thomas Sankara (NDLR : en 1987).Voir aussi : un mémorial sur les traces de Thomas Sankara
Quel est l'enjeu de ce retour ?L'enjeu, c'est la réconciliation. Dans le cadre du dialogue national prôné par le conseil des Sages, l'opposition réclame le retour effectif de Blaise Compaoré et c'est aussi une demande d'une partie de la population, qui se réclame de lui. L'actuel président a indiqué qu'il allait travailler à ce que cela se matérialise.
Il faut voir quand même que le discours sur la réconciliation est un enjeu brandi par les partis d'opposition. Mais le Burkina Faso n'est pas dans une situation similaire à la Côte d'Ivoire, post-élections 2010. Ici, les populations vivent en parfaite harmonie et je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire d'apaiser une situation qui l'est déjà.
Il est plutôt question de permettre à un ancien président qui souhaite retourner dans son pays, de pouvoir le faire dans des conditions dignes, qui respectent son rang.
Que reste-t-il aujourd'hui des 27 années de pouvoir de Blaise Compaoré ?On ne peut pas faire table rase d'une gouvernance qui aura duré si longtemps après seulement cinq ans. Sur le plan politique, son legs tient au fait que son parti, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès), existe toujours, même s'il est fracturé.
Sur le plan diplomatique, Blaise Compaoré avait réussi à faire du Burkina Faso un pôle diplomatique dans la sous-région. Et cet héritage, non seulement il existe toujours mais il a été consolidé par le président Kaboré, qui s'affirme comme héritier légitime d'une tradition diplomatique née au Burkina Faso en 1960 et que Compaoré avait restaurée.
Il en a résulté par exemple la création du G5 Sahel et la tenue de la conférence de Pau où le président Kaboré a fait preuve d'une intelligence diplomatique qu'on reconnaît au Burkina. L'art de la diplomatie, de la discrétion, c'est reconnu comme une tradition burkinabé que Kaboré a essayé de perpétuer.
Autre enjeu de cette élection présidentielle, la lutte contre le terrorisme. Est-ce qu'il y a eu un changement de stratégie entre l'ère Compaoré et la présidence Kaboré ?Je ne parlerais pas de changement de stratégie. Il y a eu effectivement la disparition du RSP, le Régiment de Sécurité Présidentielle, qui existait sous le régime de Blaise Compaoré. Certaines de ses unités s'occupaient du renseignement, de la lutte contre le terrorisme. Il a été dissous pendant la transition entre les deux régimes
(NDLR : en 2015).Mais les ressources qui étaient utilisées par le RSP ont été redéployées dans toutes les autres unités de l'armée et ont déjà été mises à contribution.
Est-ce que le RSP aurait été capable d'endiguer un phénomène géopolitique régionale ? Pour lutter contre le terrorisme, il faut associer les autres pays. Le Burkina Faso partage ses frontières avec six pays, dont certaines sont poreuses. L'armée burkinabé s'est finalement adaptée à la nouvelle donne et, ces deux dernières années, il y a une reprise en main du terrain même si cela occasionne encore des attaques, comme celle qu'on a vue le 11 novembre dernier avec 14 décès de nos forces de sécurité.
D'une manière globale, le tir est en train d'être rectifié. Je ne crois pas que le RSP aurait fait les choses différemment.