Fil d'Ariane
La scène se passe à Abidjan en décembre 2020. Le président ivoirien Alassane Ouattara reçoit homologues africains et personnalités politiques amies à l’issue de la cérémonie d’investiture marquant le début de son très contesté troisième mandat. Le journal français Libération relate l’épisode. Ouattara s’amuse à dévoiler les surnoms qu’il attribue aux différents chefs d’État du continent. Le Ghanéen Nana Akufo-Addo est “Double Excellence”, le Togolais Faure Gnassingbe, “Jeune doyen”. Mais l’un des surnoms va déclencher les applaudissements de l’assistance : Denis Sassou Nguesso est “l’Empereur”. Libération raconte que “derrière son masque anti-Covid, l'intéressé semble autant surpris que ravi”. Le lendemain, Alpha Condé le Guinéen prête serment à son tour pour un troisième mandat très contesté et, à son tour, “le Professeur” surnomme Denis Sassou Nguesso “L’Empereur”. L’indéboulonnable président de la République du Congo ne regrettera pas son déplacement en Afrique de l’Ouest.
Dans les faits, “l’empire” de Denis Sassou Nguesso se limite bien aux frontières du Congo, mais son poids politique, son influence et -surtout- sa capacité à se maintenir au pouvoir, en dépit des critiques internationales en termes de mauvaise gouvernance et de non-respect des droits, lui confèrent un statut à part. “En Afrique francophone, c’est lui qui a appris à tout le monde comment conserver le pouvoir ! Couper Internet, assiéger les opposants à leur domicile pour les empêcher de faire des meetings… Il est un mentor très respecté !”, ironise Roch Euloge N’Zobo, le coordonnateur du Cercle des droits de l’homme et de développement (CDHD).
Le parcours de “Sassou”, surnom plus communément admis, débute en 1943 à Edou dans le centre du Congo sur les rives de l’Alima, au cœur de ce qui est à l’époque l’Afrique équatoriale française. Son père Julien Nguesso est une personnalité locale, “un très grand chasseur et un très grand guerrier”, raconte le président congolais dans un documentaire hagiographique réalisé en 2016 par le directeur de Jeune Afrique, François Soudan. Il est le plus jeune de la fratrie. S’il apprend à lire et à écrire dans la petite école du village, le jeune Denis Sassou Nguesso doit rapidement partir poursuivre ses études à Owando, à une centaine de kilomètres d’Edou. Un déchirement pour sa mère, Emilienne, à laquelle il est très attaché, selon le récit qu’il fait de ce départ.
S’il raconte avoir d’abord souhaité devenir instituteur, le futur président se tourne vers l’armée dès le début des années 60 avec l’ambition de devenir officier de réserve.
Sa préparation militaire va le conduire à Bouar en République centrafricaine, puis Cherchell en Algérie. De retour au Congo en 1962, il intègre l’armée. Trois années plus tard, sorti de l’Ecole des officiers de Saint-Maixent dans le centre de la France, il est promu lieutenant dans les parachutistes et rencontre l’histoire du Congo, toute jeune nation indépendante depuis cinq années seulement.
Denis Sassou Nguesso est sous les ordres d’un jeune capitaine ambitieux et progressiste, Marien Ngouabi. Originaires de la même région, La Cuvette, les deux hommes sont très remontés contre le président Alphonse Massamba-Débat. Ce dernier progressivement poussé vers la sortie, Marien Ngouabi se trouve propulsé à la tête d’un conseil national de la révolution (CNR) puis, à ce titre, président du Congo en 1968. Membre également du CNR, Denis Sassou Nguesso commande désormais la sécurité d’Etat. Il a à peine plus de 25 ans. Dans la foulée, les nouveaux dirigeants fondent le PCT, Parti congolais du travail. D’obédience marxiste-léniniste, il sera le parti unique de la République populaire du Congo proclamée fin 1969 et ceci jusqu’au début des années 90, lorsque les cartes seront rebattues par la chute de l’Union soviétique. Sous la présidence du “camarade président” Marien Ngouabi, “son frère, son ami, son compagnon”, Denis Sassou Nguesso gravit les échelons. Ministre de la Défense, il est le numéro deux du régime.
Joachim Yhombi-Opango est installé à la tête du pays. Denis Sassou Nguesso est ministre de la Défense. Mais les relations se dégradent au sein du Comité militaire du parti (CMP) et, le 5 février 1979 il est dissous par le parti. Yhombi-Opango est démis. Denis Sassou Nguesso prend la tête de la République populaire du Congo, il a à peine 35 ans.
D’un point de vue diplomatique, alors que le monde est encore coupé en deux par la Guerre froide, Denis Sassou Nguesso parvient à entretenir de bonnes relations aussi bien à Cuba et Moscou qu’à Paris et Washington. Le point d’orgue de son action diplomatique intervient à la toute fin de la décennie. Le 13 décembre 1988 est signé “le protocole de Brazzaville pour la paix en Afrique australe”. A l’occasion des 25 ans de cet accord -célébrés en grandes pompes en février 2014- le journal suisse Le Temps résume : “Dix jours après (sa signature), l’accord est accepté par les Nations unies. A partir de ce moment, par une cascade de petits miracles, la longue guerre civile en Angola, qui avait duré vingt-cinq ans, prit fin. Le champ était libre alors en 1990 pour le retrait sud-africain de Namibie et pour son indépendance après trente et un ans de colonisation allemande et 70 ans de colonisation sud-africaine. Mandela est libéré, des élections ont lieu et il devient le premier président noir d’Afrique du Sud en 1994”.
Cet important succès diplomatique n’empêchera pourtant pas Denis Sassou N’Guesso de connaître une parenthèse dans sa présidence. Cinq années de traversée du désert marquées notamment par deux ans d’exil doré dans sa résidence du Vésinet, une banlieue cossue à l'ouest de Paris.
Au début des années 90, les cartes du monde sont remises à plat par la chute de l’Union soviétique. Sur le continent africain, l’aspiration démocratique se concrétise par les Conférences nationales et la revendication d’une ouverture au multipartisme. Mais au Congo, l’exercice vire au camouflet pour Denis Sassou Nguesso. Pendant trois mois, début 1991, au Palais des congrès de Brazzaville, l’exercice tourne au procès du système. “Climat insurrectionnel”, “intolérance”, Denis Sassou Nguesso n’a pas de mots assez durs aujourd’hui pour qualifier cet épisode de la vie politique congolaise qui se conclut par une réduction drastique de ses prérogatives, puis surtout, un an plus tard, par des élections législatives perdues par l’ancien parti unique, puis une présidentielle remportée par son vieux rival Pascal Lissouba, en août 1992.
La parenthèse durera cinq ans. Mais, en 1997, à peine Denis Sassou Nguesso est-il revenu de son exil en France que le Congo s’enfonce dans une guerre civile.
Le climat était déjà délétère et depuis de longs mois, les combats entre partisans de Pascal Lissouba, du maire de Brazzaville Bernard Kolélas et de Denis Sassou Nguesso avaient déjà fait de nombreuses victimes. Mais en juin 1997, le siège de la résidence de Sassou par l’armée et les miliciens de Pascal Lissouba fait basculer le pays dans la guerre. Elle durera trois mois, opposant les Zoulous de Lissouba, les Ninjas de Kolelas et les Cobras de Sassou. Bilan, plusieurs centaines de milliers de morts et de déplacés entre juin et octobre 1997. Il faudra le soutien déterminant de l’Angola voisin pour faire basculer la conflit en faveur de Denis Sassou Nguesso qui, le 24 octobre 1997, se proclame président du Congo alors que Pascal Lissouba est contraint de s’exiler.
Si Sassou a été officiellement soutenu par Luanda, d’autres coups de main officieux lui ont aussi été apportés. En premier lieu celui de la France, ravie de se débarrasser d’un Lissouba faisant planer un chantage au pétrole jugé inacceptable. Dans un article relatant le retour au pouvoir de Sassou à Brazzaville, le quotidien français Le Figaro cite un “consultant” français proche du dossier : “On préfère discuter avec ce général aux idées structurées plutôt qu'avec Pascal Lissouba, le fumeux professeur en génétique aux réactions imprévisibles”. Jeune Afrique, pour sa part, dans un éditorial “ce que je crois” de son directeur historique Béchir Ben Yahmed écrit : “La victoire acquise, que voit-on ? Un homme qui procède avec circonspection, dit les mots et fait les gestes que l'on attend d'un chef, évite (presque tous) les excès, se comporte comme l'homme d'État qu'il semble être devenu. Dommage que pour en arriver là, le Congo, pays de violence, ait dû en passer par cinq mois de folie...”
Dès lors, Denis Sassou Nguesso est à la tête du Congo et rien ne semble pouvoir le déboulonner. Sa mise en cause par la justice française dans l’affaire des “biens mal acquis” ? Elle n’a toujours pas débouché sur quoique ce soit. Les accusations à son encontre dans l’affaire des “disparus du Beach” en 1999 (des dizaines de proches de Bernard Kolélas autorisés à rentrer à Brazzaville disparus corps et biens) ? Elle donne lieu à une enquête en France, également enlisée.
Denis Sassou Nguesso est élu président du Congo en 2002, cinq ans après son accession au pouvoir. Mais le scrutin est largement contesté, son seul rival sérieux ayant même jeté l’éponge à deux jours du vote. Sept ans plus tard, en 2009, il est élu dès le premier tour, là encore à l’issue d’un scrutin contesté par l’opposition et laissant songeurs les observateurs. En 2016, c’est une modification constitutionnelle qui lui permet de briguer un 3e mandat. Ses deux principaux rivaux, le général Mokoko et André Okombi-Salissa seront condamnés à vingt ans de prison dans les mois qui suivent une présidentielle remportée haut la main, dont le résultat est annoncé au milieu de la nuit, dans un Congo coupé du monde.
A 77 ans, dont 36 années passées au pouvoir, rien ne devrait empêcher “l’Empereur” de se maintenir au pouvoir cette année. L’ancien marxiste qui se qualifie désormais de “socialiste hybride” a malgré tout fait campagne. L’exercice a été plus compliqué pour ses adversaires, leur avion restant cloué à Brazzaville pendant que le président battait campagne, mettant en avant la jeunesse de son pays où la moitié de la population a moins de 19 ans et lui expliquant être le garant de la stabilité et de la sécurité. Une "promesse" qu'il peut -en théorie- tenir jusqu'en 2031. Il aura alors 88 ans.