Présidentielle au Congo : "Nous avons affaire à une autocratie qui marginalise par nature l'opposition"

Image
Vote Sassou
Le président congolais Denis Sassou Nguesso dans un bureau de vote, à Brazzaville, lors du scrutin présidentiel du 20 mars 2016.
© AP Photo/John Bompengo
Partager9 minutes de lecture
Le 21 mars prochain, le président Denis Sassou Nguesso, 77 ans, dont 36 années cumulées à la tête du Congo-Brazzaville, sera candidat à sa propre succession. Les dossiers de six autres personnalités ont été validées par la Cour constitutionnelle congolaise le 17 février dernier. Pourquoi ce scrutin suscite-t-il des doutes au sein des collectifs citoyens et des craintes dans l’épiscopat local ? Comment expliquer qu’un pays aussi riche en ressources comme le pétrole, soit empêtré depuis des années dans une crise économique et sociale désormais chronique ? Francis Laloupo, journaliste indépendant et professeur de géopolitique à l’Institut Pratique de Journalisme (IPJ-Paris Dauphine), répond à nos questions.

TV5MONDE : Pierre Ngolo député et ancien secrétaire général du parti au pouvoir, le PCT, Parti Congolais du Travail, a déclaré à propos de la candidature de Denis Sassou Nguesso qu’il s’agissait d’un choix du changement dans la continuité, du choix de la stabilité et de la paix. Vous partagez ce point de vue ?

Francis Laloupo
Francis Laloupo, journaliste indépendant et professeur de géopolitique à l'Institut Pratique de Journalisme (IPJ-Paris Dauphine).
© D.R.

Francis Laloupo : Le président Denis Sassou Nguesso est revenu au pouvoir en 1997. Avant cette date, il avait dirigé la République populaire du Congo de 1979 à 1992 [Il a ensuite perdu la première élection pluraliste organisée dans le pays en 1992, et remportée par feu le président Pascal Lissouba. Ce dernier est évincé en 1997 par Sassou Nguesso, au terme d'une guerre civile meurtrière. Et depuis 2002, le président Denis Sassou Nguesso a remporté tous les scrutins présidentiels. NDLR]  

Je me souviens qu’en 2002, il s’était porté candidat à la présidentielle avec un projet intitulé La nouvelle espérance. Sept ans plus tard, en 2009, c’était encore un autre projet : Les chemins d’avenir. Aujourd’hui, les thuriféraires du PCT estiment que le choix de Denis Sassou Nguesso est le seul en mesure de satisfaire toutes les attentes des Congolais. La question est de savoir le bilan sur lequel se fonde à nouveau cette candidature. Je parle de bilan économique, social, éducationnel et aussi sanitaire, eu égard à la pandémie mondiale du nouveau coronavirus. 

La question est aussi de savoir si cette élection est un rendez-vous pour évaluer ce bilan de plus en plus attendu par les Congolais, étant donné qu’autant d’années accumulées aux commandes de l’Etat auraient dû, en principe, produire des réponses concrètes aux promesses énoncées par ce régime depuis la fin des années 90. Alors, sur quoi se fonde cette candidature ? C’est la question au cœur de ce nouveau processus électoral qui se présente quand même sous des auspices tout à fait singuliers.

(Re)voir : Congo-Brazzaville : lancement de la campagne présidentielle

(Re)voir : "Au Congo, réouverture de la ligne de chemin de fer Brazzaville - Pointe-Noire" (29/11/2018)

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

En effet, il n’y aura pas réellement de compétition électorale, puisque les principaux adversaires de Denis Sassou Nguesso se sont épuisés au fil des années. Certains se sont retrouvés en prison depuis la dernière élection présidentielle de 2016. Le général Jean-Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa, candidats en 2016, puis condamnés à 20 ans d’emprisonnement après ce scrutin contesté, sont des figures emblématiques d’une répression systématique de l’opposition.  

A défaut de compétition électorale à proprement parler, il semble que Denis Sassou Nguesso soit aujourd’hui le seul candidat à sa propre succession. En tout cas, si l’on prend en compte les critères démocratiques d’un processus électoral ordinaire, il s’agira de ce que j’appellerais un formalisme électoral, davantage qu’une compétition digne de ce nom. Autrement dit, une élection sans le moindre enjeu.

TV5MONDE : L’un des 7 candidats à cette présidentielle, Albert Oniangué, colonel à la retraite, ancien aide de camp du président Sassou Nguesso, aujourd’hui pasteur, dit vouloir sauver le Congo d’un naufrage collectif. Comment peut-on l’expliquer pour un pays qui aurait pu devenir une sorte d’émirat pétrolier ?
 
 Francis Laloupo : C’est une question récurrente. D’ailleurs, quand on parle d’émirat pétrolier, le terme est un peu abusif. Pays pétrolier certes, émirat peut-être pas. On se serait peut-être attendu à ce que le Congo devienne un émirat. Quand on observe les émirats, singulièrement ceux du Golfe persique, il y a une redistribution de la rente pétrolière. Ce qui se vérifie par exemple à travers le droit à l’éducation gratuite, à la santé ou encore au logement.

Lire aussi : "Présidentielle au Congo : sept candidatures validées, un opposant recalé"

Il s’agit d’un mode de redistribution qui garantit la paix sociale et qui peut, de manière visible, apporter des réponses sur l’utilisation de la rente pétrolière. Or, dans le cas du Congo, si cette rente existe réellement, la question est de savoir quel en est le degré de redistribution. Et surtout, à qui profite cette rente ? Il y a quelques années, la question de la diversification des ressources s’est posée pour le Congo, comme pour de nombreux autres pays d’Afrique. Car, le Congo n’a pas comme seule ressource le pétrole. Il recèle de nombreuses autres ressources. Par endroits, c’est un pays béni des dieux.

Et puis, cette velléité énoncée de diversifier les ressources du pays s’est heurtée à l’absence de volonté et de détermination politiques. Aujourd’hui, le pétrole reste la principale ressource, et la gestion économique du pays s’apparente à la structure d’un comptoir colonial. Ici, le pétrole permet de tenir quelques piliers de ce qui peut être considéré comme un Etat, dans un espace où la plus grande partie de la population est confrontée depuis des années à des difficultés économiques et sociales récurrentes, permanentes, comme une forme de fatalité…

(Re)voir : "142 étudiants congolais expulsés ou rapatriés de Cuba" (09/05/2019)

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

S’agissant de la crise financière à laquelle le pays est confronté depuis bientôt dix ans, il faut avant tout s’interroger sur sa source et ses auteurs. Si la mauvaise gouvernance ou encore la corruption en sont les principales causes, une nouvelle candidature de Denis Sassou Nguesso à la présidentielle, et un nouveau mandat plus que prévisible, peuvent-ils permettre de résoudre définitivement cette crise ? Tout est devenu urgent dans ce pays, et c’est la capacité de ce pouvoir à le remettre sur les rails du progrès social et économique qui est au centre des attentes des populations.

Car, plusieurs pans de la société sont très douloureusement affectés par cette crise. Une crise aux racines anciennes, mais qui s’est aggravée au cours des dernières années. Je pense notamment aux retraités qui ne touchent plus leurs pensions, aux étudiants parfois oubliés dans les pays étrangers et qui ne perçoivent plus leurs bourses. Certains ont été rapatriés de Cuba dans des conditions lamentables. Les Congolais ne peuvent pas indéfiniment demeurer les spectateurs d’un tel délabrement des pans entiers de la société. Et c’est en cela que ce régime peut être fortement interrogé.

TV5MONDE : La nouvelle Constitution, adoptée par référendum en 2015, permet au président Sassou Nguesso de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2031. Que pensez-vous d’une telle longévité au pouvoir ?

Francis Laloupo : Le Congo Brazzaville est confronté depuis plusieurs années maintenant à une crise économique particulièrement aigüe. Ce qui a d’ailleurs conduit le FMI à freiner des quatre fers, avant de lui accorder la reconduction d’un contrat d’aide et d’assistance assorti de multiples conditionnalités. Jusqu’à présent, le régime n’a pas produit les solutions nécessaires à la résolution de cette crise devenue chronique. Et c’est sur ce constat extrêmement préoccupant que repose la nouvelle candidature de Denis Sassou Nguesso.

Qu’est-ce qui peut justifier une telle longévité au pouvoir, si les dirigeants d’un pays ne sont pas en capacité de souscrire à une obligation de résultat vis-à-vis de leurs concitoyens ? La question confine évidemment à l’absurde. Sur quels critères les électeurs vont-ils fonder leur choix lors de cette prochaine présidentielle ? Nous sommes effectivement face à une situation particulière, qui nous interroge sur la nature de certains régimes et sur la destination même de l’exercice du pouvoir.

TV5MONDE : L’UPADS, l’Union panafricaine pour la démocratie sociale, le parti fondé par feu le président Pascal Lissouba, et aujourd’hui principale formation d’opposition, ne participera pas à la prochaine élection présidentielle. L’UPADS propose une transition et un scrutin en 2023, sans le président Sassou Nguesso. Ce choix vous paraît-il pertinent ?

Francis Laloupo : Oui, c’est un choix qui peut être intéressant. Mais son expression se limite à une manière de participer au débat politique sans trop d’espoir. Ce sont vraiment des demandes désespérées de la part d’une opposition qui a épuisé ses ressources et ses ressorts depuis plusieurs années. On assiste aujourd’hui à une grande fatigue de la population congolaise, qui affiche une terrible indifférence à l’égard de l’action politique. Ajoutez à cela un épuisement visible des forces militantes.

Sassou Brazza 1997
Le président Denis Sassou Nguesso devant ses partisans, à Brazzaville, en octobre 1997, après avoir chassé du pouvoir son prédécesseur Pascal Lissouba, au terme d'une guerre civile meurtrière.
© AP Photo/David Guttenfelder

Alors, à chaque veille d’élection, certaines revendications, comme celles de l’UPADS, sont émises, tel un service minimum, pour tenter de continuer à animer la vie politique, sans grand espoir d’être entendu par les tenants du pouvoir d’Etat. Ce sont les mêmes demandes qui sont formulées à chaque élection présidentielle depuis dix ans. Face à cela, nous avons un régime qui continue à dérouler un agenda exclusif. Existe-t-il encore un jeu démocratique au Congo avec des interactions utiles entre pouvoir et opposition ? Il y a surtout un régime adossé à ce qu’on peut considérer comme un parti-Etat, le PCT, avec en face, ce que l’on désigne comme une opposition, et qui se trouve réduite pour l’essentiel à un rôle d’animateur un peu contraint de la vie politique.

TV5MONDE : Dans un message publié en janvier dernier, les évêques congolais ont notamment émis de sérieuses réserves pour le futur scrutin présidentiel. Tout en soulignant que « les Congolais ont de moins en moins foi au système électoral actuel », ils disent craindre « que les résultats de ces élections soient de nouveau contestés et que ces contestations servent de prétexte aux marchands d’illusion et aux trouble-fêtes. » Ces craintes sont-elles justifiées ?

Francis Laloupo : Ces craintes étaient déjà justifiées en 2016, à la veille d’une présidentielle consécutive à une  crise politique extrêmement grave, provoquée par une modification fortement contestée de la Constitution. A l’époque déjà, le clergé avait émis de très vives alertes. Et ce sont les mêmes alertes qu’il émet aujourd’hui. D’ailleurs, le pouvoir lui a déjà apporté une réponse, en considérant que le clergé doit rester à sa place et ne pas se mêler des affaires politiques. Ce à quoi le clergé a répondu qu’il est aussi constitué de citoyens ayant le droit et le devoir d’apporter leur voix au débat public, ne serait-ce que par obligation civique.

(Re)voir : "République du Congo : des doutes sur la future présidentielle ?"

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Bien entendu, en tant qu’autorité morale, le clergé peut se prévaloir de ce droit. Cette voix est utile. Le propos des évêques est pertinent. Mais il faut bien reconnaître que le contexte politique n’autorise pas un débat parfaitement articulé entre les différents acteurs de la société. Le système politique en place demeure réfractaire à l’expression démocratique. Sous le prétexte fallacieux d’un multipartisme, nous avons bien affaire à une autocratie qui marginalise par nature l’opposition et toutes les forces qui pourraient constituer des contrepouvoirs.