Fil d'Ariane
“Ce sera un test avant la présidentielle et les législatives”. Dans la majorité sortante et dans l’opposition, chacun partageait cette analyse du président sortant Mahamadou Issoufou. Ce dimanche 13 décembre 2020, les électeurs nigériens votaient pour renouveler leurs équipes municipales et régionales.
Mais le test a pris une tournure sanglante à Toumour, dans la région de Diffa, non loin de la frontière avec le Nigeria. Quelques heures avant l’ouverture des bureaux de vote, Toumour a été attaquée.
Dans la soirée de samedi, des dizaines d’assaillants ont surgi. Pendant trois heures, ils ont scrupuleusement pillé, brûlé et tué. 60% de la localité aurait été incendiée, d’après un responsable cité par l’Agence France-Presse. Le marché a été détruit. Lundi matin, le bilan était de 27 morts. Un chiffre sans doute provisoire car des habitants ont été enlevés.
Les assaillants étaient arrivés “à pied après avoir traversé les eaux du Lac Tchad à la nage”, rapporte l’AFP. Les autorités locales ont attribué l’attaque de Toumour "à Boko Haram". Nous sommes en effet dans le sud-est du Niger, près de la frontière avec le Nigeria. Et le bassin du Lac Tchad reste sous la coupe de l’organisation djihadiste née au Nigeria en 2009, même si l’on sait aujourd’hui qu’elle s’est scindée en deux voilà quatre ans. Une branche est restée fidèle à Abubakar Shekau, le chef historique du groupe. Une autre faction, Iswap (Islamic State West Africa province), est affiliée à l’Etat islamique et, selon l’ONU, elle compte entre trois et cinq milles combattants. Mais pour les autorités nigériennes, il n'y a aucune distinction. Le martyre de Toumour est le fait de Boko Haram.
Cette région du Lac Tchad est l'une des zones dangereuses du territoire nigérien. A l'extrémité opposée, le pays fait face à un autre défi sécuritaire. Dans l'ouest se trouve la zone dite "des trois frontières", aux confins du Niger, du Mali et du Burkina Faso. Il s'agit aujourd'hui de l'épicentre de la guerre menée contre les groupes djihadistes au Sahel.
"La sécurité s'est dégradée au cours des dix dernières années au Niger", reconnaît le journaliste Seidik Abba. Ce très fin connaisseur de la vie nigérienne, qui a lui-même grandi à Diffa, n'hésite pas à inscrire la question sécuritaire parmi les points négatifs du bilan de Mahamadou Issoufou : "Jamais le pays n'a connu autant de pertes au sein de ses forces armées. Aujourd'hui, trois régions sur sept sont sous état d'urgence".
Concernant l'éducation, le bilan n'est pas bon non plus : "Avec un taux de réussite de 33% au Brevet et moins de 30% au Baccalauréat, l'école connaît de grosses difficultés", estime Seidik Abba, concédant toutefois que la tâche du président sortant n'a pas été facilitée par des résultats économiques fragilisées par la baisse du prix de matières premières dont regorge le Niger, l'uranium et le pétrole.
La sécurité et l'éducation seront, à n'en pas douter, parmi les principaux défis du futur président nigérien. Auxquels il faut ajouter, mais tout cela est lié, le défi démographique. Le Niger compte actuellement autour de 21 millions d'habitants, mais connaît toujours le taux de fécondité le plus élevé au monde : plus de sept enfants par femme en moyenne. A ce rythme, sa population avoisinera les 30 millions à la fin de cette décennie. "Mahamadou Issoufou n'a pas réussi davantage que ses prédécesseurs sur ce point", reconnaît Seidik Abba.
Le journaliste le concède toutefois, les dix années de présidence de Mahamadou Issoufou ont été un succès sur le plan des infrastructures tout d'abord. Avec "des échangeurs, des hôtels, centres de conférences, mais aussi un aéroport international digne de ce nom et un troisième pont sur le fleuve Niger", la capitale Niamey a changé de visage.
Autre point positif, la diplomatie. Après une période de marginalisation après le coup d'Etat de février 2010, le Niger a repris une place sur la scène africaine, mais aussi internationale avec un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l'ONU pour la période 2020-2021, mais aussi un sommet de l'Union africaine organisé en juillet 2019 dans un Palais des congrès totalement rénové. Ce sommet avait été consacré à la future Zone de libre échange africaine (ZLEC). Pour ce qui est de la diplomatie, "il y a un bilan", concède Seidik Abba.
Le 11 décembre dernier, Amnesty International a publié un manifeste adressé aux 30 candidats à la présidentielle nigérienne. Dans ce texte, l'ONG appelle à "renverser la tendance en matière de droits humains". Amnesty juge que "l’année 2021 doit marquer la fin d’une période entachée par les restrictions des libertés publiques, des discriminations et l'impunité. Le prochain président doit placer la protection des droits humains au centre de ses priorités". L'organisation pointe en particulier certaines mesures législatives prises en terme de cybersurveillance ainsi que "des allégations de violations des droits humains dans le cadre des opérations militaires menées contre les groupes armés, notamment dans la région de Diffa".