Présidentielle au Sénégal : avec ou sans Sonko, quelle stratégie pour le Pastef ?

C’est peut-être l'épilogue d’un marathon judiciaire qui aura duré 2 ans. Le Conseil constitutionnel a rejeté vendredi 5 janvier 2024 la candidature d’Ousmane Sonko à l’élection présidentielle sénégalaise. Candidat du Pastef et favori de l’opposition, quelle est la stratégie de son parti dans cette course électorale ?

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Ousmane Sonko

Le chef de l'opposition sénégalaise, Ousmane Sonko, s'adresse aux journalistes après avoir été libéré de sa garde à vue à Dakar, au Sénégal, le 8 mars 2021.

AP Photo/Sylvain Cherkaoui
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Face au rejet attendu de la candidature d’Ousmane Sonko le 5 janvier 2024 par le Conseil constitutionnel, le parti Patriotes africains pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef-Les Patriotes) ne peut plus, dans les faits, concourir avec son président-fondateur. La raison de ce camouflet à l'élection présidentielle : un dossier incomplet.

Cela s’ajoute à la confirmation par la Cour suprême jeudi 4 janvier de sa condamnation à six mois de prison avec sursis et 200 millions de francs CFA (300 000 euros) de dommages et intérêts pour diffamation dans l'affaire qui l'oppose au ministre du Tourise Mame Mbaye Niang. Une peine qui le rend a priori inéligible.

“Il y a une conjonction de facteurs qui font que d’une manière ou d’une autre, il est acquis qu’Ousmane Sonko sera écarté de la course à la présidence”, explique Vincent Hugeux, journaliste spécialiste de l’Afrique. En revanche pour Gilles Yabi, fondateur du think tank Citoyen de l’Afrique de l’Ouest Wathi : "nous ne sommes pas à l’épilogue de cette histoire, il faudra attendre le 20 janvier [ndlr, date à laquelle le Conseil constitutionnel rend public la liste officielle des candidats] pour affirmer qu’il ne pourra pas être candidat, même si tout indique qu’on va dans cette direction".

Vers de nouveaux recours déposés par les avocats de Sonko

Les avocats d'Ousmane Sonko ont annoncé samedi 6 janvier, en conférence de presse, qu'ils n'en resteraient pas là. Ils préparent des recours devant la Cour suprême et le Conseil constitutionnel. Maitre Cheikh Ahmadou Bamba Fall précise que leur client "reste encore éligible parce qu'il a retrouvé l'intégralité de ses droits civiques et politiques. S’agissant du Conseil constitutionnel, un recours est projeté contre le refus non fondé sur un texte d’examination de dossier. Le Conseil constitutionnel sera saisi sitôt que la notification des causes du refus sera fait".

Mi-décembre, le camp de Sonko avait retrouvé l'espoir en une candidature de leur chef de file après qu'un juge a ordonné sa réinscription sur les listes électorales. Cela confirmait une décision rendue en octobre par le tribunal de Ziguinchor qui avait été cassée par la Cour suprême. 

Pour ne pas être hors-jeu, le parti d’opposition avait envisagé la possibilité d'un autre candidat : le secrétaire général du Pastef Bassirou Diomaye Faye.

Le plan B : Bassirou Diomaye Faye

“Voici venu le moment de passer à la phase 2 de notre plan”, annonce le 19 novembre dans un communiqué le Pastef-Les Patriotes. Bassirou Diomaye Faye est annoncé comme plan B pour l’élection présidentielle 2024. Cofondateur du parti, il bénéficie directement d'un slogan à son nom pour le début de la collecte des parrainages citoyens : “Parrainer Diomaye, c'est parrainer Sonko".

"Parrainer Diomaye, c'est parrainer Sonko"

Sur Facebook, le Pastef diffuse ces bannières pour encourager le parrainage en faveur du candidat Bassirou Diomaye Faye.

Ce choix intervient après qu’Ousmane Sonko ait vu casser par la Cour suprême le 17 novembre, le jugement du tribunal de Ziguinchor pour sa réintégration sur les listes électorales, ce qui lui aurait permis de revenir dans la course. Mais le choix de Bassirou Diomaye Faye interroge. Il est lui aussi en détention, mais pas encore jugé. Le politique de 43 ans, inspecteur des impôts comme Ousmane Sonko, est poursuivi pour outrage à magistrat et risque de voir le Conseil constitutionnel invalider sa candidature. "Rien ne s'oppose à sa candidature, que ce soit du point de vu de la loi, du droit et de la politique", nuance le cadre du Pastef Ousseynou Ly.

Le dossier judiciaire n'étant pas encore ouverts, Bassirou Diomaye Faye possède toujours ses droits civiques. Les délais sont désormais trop courts pour monter une instruction contre lui.

"L'autre Ousmane Sonko"
Diplômé de l'Université Cheikh Anta Diop et de l'École nationale d'administration (ENA) de Dakar, Bassirou Diomaye Faye opte pour une carrière dans l’administration fiscale. C'est là qu'il fait la connaissance d'Ousmane Sonko. Les deux hommes, au parcours académique similaire, se lient d'amitié. Ils montent ensemble le premier syndicat des agents des impôts et domaines. Depuis 2018, Bassirou Diomaye Faye est le secrétaire général de ce syndicat.

"Si ce n'est pas Ousmane, ce sera Diomaye. Si ce n'est pas Diomaye, ce sera un autre", note El Malick Ndiaye, responsable national de la communication du Pastef.

Le choix du plan C : Habib Sy

“Par la grâce de Dieu, j'ai réussi le contrôle de parrainage pour l'élection présidentielle de 2024”, annonce Habib Sy sur le réseau social X. L’ancien ministre sous la présidence d’Abdoulaye Wade, et membre du camp d'Ousmane Sonko, a été parrainé par onze députés du Pastef-Les Patriotes et deux de la coalition Libérer le peuple (YAW). L’objectif de ce choix : maximiser les chances du parti d’avoir, en lice, au moins un candidat idéologiquement proche.

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Cette décision s’est faite à la place d’autres alternatives du parti, comme les députés Guy Marius Sagna et Birame Soulève Diop. Habib Sy assure toutefois qu’il retirera sa candidature si celles d’Ousmane Sonko ou de Bassirou Diomaye Faye sont validées par le Conseil constitutionnel.

Le technocrate
Diplômé de l'ENA de Dakar, Habib Sy devient commissaire aux enquêtes économiques principales. Proche d'Abdoulaye Wade, il est d'abord son directeur de cabinet avant d'ensuite occuper le poste de ministre d’État sous sa présidence, de 2004 à 2009. Pendant cette période, il travaille notamment 3 ans dans le gouvernement Macky Sall.

“Il y a plusieurs cartes en jeu”, constate Gilles Yabi. Le fondateur du think tank explique que le candidat qui bénéficiera publiquement du soutien d’Ousmane Sonko “sera celui qui aura le plus de chance de porter les voix de cette opposition de rupture du système porté par le président actuel Macky Sall”. De ce fait, cet analyste pense que le soutien des députés à Habib Sy est en réalité le résultat d’un mot d’ordre du chef du Pastef-Les Patriotes.

Ousseynou Ly tempère : "si nous reconnaissons que Habib Sy ait reçu le parrainage de certains députés du Pastef, parrainer un candidat ne veut pas dire qu’il est le notre". Le cadre du Pastef ajoute : "notre ligne est celle établie depuis le début. Nous avons déposé deux candidatures : celle d'Ousmane Sonko parrainée par les parlementaires et celle de Bassirou Diomaye Faye parrainée par les citoyens".