Présidentielle aux Comores : face aux violences post-électorales, l'ONU appelle au respect des droits et libertés

Au lendemain de l'annonce des résultats de la présidentielle comorienne donnant vainqueur le président sortant, des heurts se sont multipliés dans la capitale Moroni de l'archipel des Comores. L'opposition dénonce une "grossière fraude" et demande l'annulation du scrutin. L'ONU appelle au calme et au respect des droits et libertés.

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moroni maison

La maison d'un ministre comorien a été incendiée lors de violences post-électorales dans la capitale Moroni, 17 janvier 2024.

Ibrahim YOUSSOUF / AFPTV / AFP
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Une personne a été tuée et cinq blessées aux Comores dans des heurts qui ont suivi l'annonce de la victoire, contestée par l'opposition, du sortant Azali Assoumani à la présidentielle, a indiqué jeudi 18 janvier à l'AFP le chef des urgences de l'hôpital de la capitale Moroni.

La personne décédée, "très probablement par balle", était âgée de 21 ans, a précisé le Dr Djabir Ibrahim, ajoutant qu'un des cinq blessés souffre d'"un traumatisme thoracique grave avec pronostic vital engagé". 

L'ONU a lancé mercredi un appel "au calme" aux Comores. Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme exhorte les autorités à protéger le droit de manifester. Le même jour, le gouvernement comorien a lui annoncé un couvre-feu nocturne sur tout l'archipel. 

Dans un communiqué, le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk, demande également aux autorités de protéger les "principes démocratiques" et appelle les manifestants à éviter le recours à la violence.

L'ONU pour le respect du droit de manifester pacifiquement

"Alors que le fait de s'en prendre aux biens publics n'est pas acceptable, les autorités doivent veiller à ce que les personnes qui manifestent pacifiquement puissent continuer à le faire librement et en toute sécurité - comme c'est leur droit", a déclaré Volker Türk, Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme.

"Alors que les tensions post-électorales montent, il est absolument nécessaire que les autorités garantissent un climat sûr, où tous les Comoriens et Comoriennes, y compris les membres de l'opposition, puissent exprimer librement leurs opinions et exercer leur droit à manifester pacifiquement", a ajouté M. Türk.

Le porte-parole du gouvernement a dénoncé auprès de l'AFP des "troubles publics". La contestation est souvent rapidement étouffée dans ce pays tenu d'une main de fer.

"C'est organisé par ceux qui n'avalent pas la défaite", a affirmé Houmed Msaidie, évoquant des arrestations sans donner de chiffre. 

La veille, il avait mis en garde: "Ils ont été vaincus (...) Qu'ils ne tentent pas d'être en colère, nous ne laisserons pas faire". 

La capitale bouclée par les forces de l'ordre

Dans les rues de Moroni, des barrages de fortune faits de bouts de bitume, de pierres et d'appareils électroménagers ont été dressés sur la chaussée. De nombreux commerces ont fermé. 

Plusieurs carcasses de voitures calcinées sur les bas-côtés et des restes de pneus brûlés donnaient à la capitale des allures de ville en proie à une guérilla urbaine. 

Plusieurs bâtiments ont été incendiés, dont la maison du ministre des Transports Bianrifi Tarmidhi, ont constaté des journalistes de l'AFP.  

Le centre de la capitale, qui compte quelque 100.000 habitants, a été bouclé par les forces de l'ordre. Police, gendarmerie et armée sont déployés en nombre depuis le début de la matinée. 

La route menant au principal aéroport de l'archipel de l'océan Indien, composé des îles Grande-Comore, Anjouan et Mohéli, est bloquée. Les vols intérieurs sont suspendus "pour mauvais temps", selon Air Comores. 

Dans les ruelles du quartier populaire de la Coulée (nord), des groupes de jeunes ont lancé des pierres en direction des forces de l'ordre, qui ont répliqué systématiquement par des jets de gaz lacrymogène. 

Dans l'après-midi, des détonations de tirs de gaz ont continué à retentir régulièrement dans plusieurs quartiers. 

"Tout le monde est parti. Je pars aussi, j'ai été aspergée de gaz", dit à l'AFP Amina, vendeuse du grand marché de Volo-Volo. L'endroit - habituellement animé - est désert, les étals vides.

Dans certaines écoles, élèves et personnels sont restés cloîtrés. Selon un témoin, un dépôt de riz, aliment de base dans l'archipel, a été vandalisé et pillé. 

L'opposition dénonce une "grossière fraude"

Azali Assoumani, ancien militaire putschiste de 65 ans, a remporté 62,97% des voix, selon les résultats provisoires. Il doit ainsi rempiler pour un troisième mandat consécutif qui devrait le maintenir au pouvoir jusqu'en 2029.

L'opposition, qui avait appelé "le peuple comorien" à "faire respecter la volonté et le choix électoral du peuple", a réclamé mercredi l'"annulation" des élections de dimanche. 

L'opposition avait par ailleurs affirmé, dès dimanche, avoir constaté de nombreuses irrégularités pendant le vote et notamment des "bourrages d'urnes"

Selon plusieurs opposants candidats, "des militaires ont interrompu le vote" en s'emparant des urnes dans plusieurs localités favorables aux adversaires du président sortant.

Le scrutin présidentiel a enregistré une participation exceptionnellement faible de 16,30%, selon la commission électorale (Ceni), contrastant avec une première estimation publiée dimanche soir à plus de 60%.

"Incontestablement, ces scrutins (...) ne sont pas valides. Nous les dénonçons et demandons leur annulation pure et simple", ont déclaré dans un communiqué commun les cinq candidats rivaux d'Azali. 

Selon eux, les chiffres officiels de participation montrent qu'environ 2/3 des votants se sont prononcés pour élire leurs gouverneurs mais pas pour choisir leur président, ce qui "porte un sérieux coup à la véracité des différentes proclamations de résultats". 

Sur quelque 340.000 électeurs, 189.497 votants ont voté pour leurs gouverneurs, mais seulement 55.258 au scrutin présidentiel, selon les chiffres officiels : un tel écart de participation est "impossible", estime l'opposition, et "une grossière fraude est ainsi établie".

Répression et absence de pluralisme aux Comores

M. Türk a fait part de son inquiétude concernant les informations faisant état d'arrestations et de l'utilisation de gaz lacrymogènes contre des manifestants pacifiques.

Le communiqué souligne que l'élection présidentielle a eu lieu à la suite d'un "rétrécissement de l'espace civique et démocratique pendant des semaines, avec des rapports faisant état de détentions arbitraires, de disparitions forcées présumées de détenus et d'une interdiction de facto des manifestations pacifiques et des rassemblements politiques publics depuis 2019".

"Je suis préoccupé par la poursuite de la répression et l'absence de pluralisme aux Comores depuis plusieurs années", a fait part M. Türk. 

Il exhorte les autorités à libérer les prisonniers politiques, à mener des enquêtes approfondies sur les violations des droits civils et politiques pendant la période préélectorale et à traduire les auteurs en justice.

"Un nouveau chapitre doit s'ouvrir pour tous les Comoriens et Comoriennes; un chapitre fondé sur le pluralisme, la liberté d'expression, la justice et la responsabilité", a-t-il ajouté, concluant: "Autrement, la démocratie ne se réalisera jamais".

Les résultats du scrutin doivent encore être validés par la Cour suprême, plus haute juridiction du pays de 870.000 habitants, dont 45% vivent sous le seuil de pauvreté.