Présidentielle du 24 mars au Sénégal : comment le report a été partiellement mis en échec

Le Sénégal vient de connaitre une crise politique sans précédent, déclenchée par le report de la présidentielle annoncé le 3 février dernier par le président Macky Sall. La décision, annulée par le Conseil constitutionnel, a entraîné une forte mobilisation de la jeunesse et de la société civile sénégalaise. Au bout du compte : le premier tour de la présidentielle est fixé au 24 mars. 

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Photo d'archive. Un drapeau sénégalais flotte en arrière plan des mains d'un manifestant qui participe à une manifsestation anti gouvernementale. Place de l'Indépendance, centre de Dakar, Sénégal - mardi 21 février 2012.

AP/Rebecca Blackwell
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Après un mois de crise politique, les électeurs sénégalais s'apprêtent à aller aux urnes. Dimanche 24 mars, ils devront élire leur futur président. Le cinquième depuis l’indépendance du pays, décrétée le 20 juin 1960.

Initialement prévue le 25 février, la présidentielle a été reportée à la dernière minute le 3 février par le président sortant, Macky Sall. Au cours d’une allocution télévisée, il assurait alors vouloir attendre “les résultats de la commission d'enquête parlementaire visant à clarifier les conditions dans lesquelles certaines candidatures ont été déclarées irrecevables”, indique la présidence sénégalaise dans un communiqué. 

Jeudi 7 mars, après un mois d’incertitudes, le Conseil constitutionnel a choisi de s’aligner sur la date plébiscitée par le chef d’État sénégalais, celle du 24 mars, pour le premier tour de la présidentielle. Une date consensuelle, qui respecte la fin effective du mandat du président au 2 avril, comme le prévoit la Constitution. Les Sages avaient, un premier temps, proposé celle du 31 mars.

“Maintenant, la campagne électorale démarre”, analyse d’entrée Aliou Ndiaye, journaliste et politiste sénégalais. “Mais le combat ne porte plus sur les principes fondamentaux de la démocratie. C'est un combat partisan qui va s'installer. La ligne de fracture qu'il y a dans le pays est facilement lisible.

Sénégal : les chiffres et les dates clé d’une campagne éclair 

- Début de la campagne électorale : 9 mars 2024 
-  Fin de la campagne électorale : 22 mars 2024
- Durée de la campagne électorale : 17 jours
- 18 millions d’habitants, dont 7 millions d’électeurs.
- 19 candidats sont en lice cette année, contre 5 lors de la dernière élection présidentielle.
-  Lors de la présidentielle de 2019, le taux de participation était alors de 66,26 %. 
- En 2019, Macky Sall avait été réélu dès le premier tour, avec 58,27% des suffrages exprimés. 

La jeunesse sénégalaise affirme sa citoyenneté

Mais au delà de la tenue du scrutin, les conséquences de cette crise politique majeure, inédite au Sénégal, sont nombreuses. Premièrement : le poids prépondérant de la mobilisation d’une grande partie de la jeunesse sénégalaise. Dès l'annonce du report de la présidentielle, la population sénégalaise est descendue dans la rue, notamment des jeunes. 

“Cette crise a permis l'approfondissement de la démocratie et la citoyenneté chez la jeunesse sénégalaise”, analyse à ce propos Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé en sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. “Comme à chaque fois qu'on a eu des tensions politiques, des crises politiques, des contradictions dans le champ politique, la jeunesse s'est particulièrement mobilisée pour permettre de revenir aux fondamentaux de la démocratie”, poursuit-il. 

Il y a beaucoup de jeunes qui ne sont pas inscrits sur le fichier électoral ou qui n’ont pas pu retirer leur carte.
Maurice Soudieck Dione, professeur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis

Au Sénégal, 50% de la population est âgée de 18 ans ou moins, indique l'Agence nationale de la statistique et de la démographie. Mais les plus de 40 ans sont plus nombreux sur les listes électorales. “Il est vrai que les jeunes sont sous-représentés dans le fichier électoral. Il y a beaucoup de jeunes qui ne sont pas inscrits sur le fichier électoral ou qui n’ont pas pu retirer leur carte”, indique aussi Maurice Soudieck Dione. “Et ça, ça pose un problème… D'autant plus que rien n’est vraiment fait pour faciliter ou favoriser l'inscription des jeunes sur les listes électorales. Peut-être parce que les jeunes ne sont pas, ou ne seraient pas, favorables au pouvoir en place”, interroge cet observateur. 

Le Conseil constitutionnel confirme sa légitimité 

Durant toute la période de troubles du mois de février, le Conseil constitutionnel s'est fermement opposé au pouvoir exécutif et législatif. Le 15 février, les Sages ont jugé anticonstitutionnelle la loi prévoyant le report au 15 décembre de la présidentielle, initialement prévue le 25 février, annulant par la même occasion le décret présidentiel d’abrogation du 3 février. 

Le Conseil constitutionnel a joué un rôle déterminant, un rôle décisif pour sortir le pays de cette impasse
Maurice Soudieck Dione

“Le Conseil constitutionnel a ainsi élaboré une jurisprudence prétorienne, d'abord en acceptant de vérifier par rapport à la Constitution la validité d'une loi dans sa décision du 15 février”. C’est à cette date que les Sages sénégélais ont invalidé le report de la présidentielle. Plus récemment, le 6 mars, l’instance a rejeté la proposition d’une révision de la liste des 19 candidats, en lice pour la présidentielle. 

“Le Conseil constitutionnel a joué un rôle déterminant, un rôle décisif pour sortir le pays de cette impasse”, remarque le professeur Maurice Soudieck Dione. Même constat pour Aliou Ndiaye. Le journaliste l’assure : “On a vu des juges du Conseil constitutionnel qui ont pris sur eux, devant l'Histoire, devant la nation sénégalaise, d'assumer leur mission au service du peuple”

Forte mobilisation de la société civile sénégalaise

Pour Aliou Ndiaye, journaliste et analyste politique sénégalais, “il y a une prise de conscience plus en plus forte du peuple sénégalais de sa souveraineté”. Pour preuve : la mobilisation de plusieurs couches de la société, farouchement opposées au report de la présidentielle. Symbole de cette opposition : la création du collectif Aar Sunu Election, pour “préservons notre élection” en wolof, qui réunit des dizaines d’organisations issues de la société civile.

Selon Maurice Soudieck Dione, “la société civile a joué son rôle”. “Elle est montée au créneau pour dénoncer ce coup d'état constitutionnel et cette décision illégale, illégitime, du président Sall, qui a décidé d’arrêter brusquement le processus électoral à dix heures de l’ouverture de la campagne”, résume le professeur. 

Selon lui, en dépit de l’annonce de la tenue de la présidentielle le 24 mars, “la société civile va continuer à se mobiliser, mais différemment. Elle va maintenant se mobiliser certainement pour assurer la transparence du scrutin.” Une des missions essentielles de la société civile au Sénégal est de “veiller à la transparence et à la fiabilité du processus électoral”. “Elle est impliquée dans toutes les phases du processus, depuis des décennies maintenant”, rappelle encore Maurice Soudieck Dione. Il assure qu’il en sera de même jusqu’au scrutin du 24 mars.