Quelque 60 millions d'électeurs, sur près de 100 millions d'habitants du pays le plus peuplé du monde arabe, sont appelés aux urnes les 26, 27 et 28 mars. Ils ont le choix entre le président sortant Sissi, 63 ans et archi-favori, et un homme méconnu du grand public, Moussa Mostafa Moussa, 65 ans.
Ce dernier, l'un des plus fervents supporters du président, s'est lancé dans la course pour lui éviter d'avoir à se présenter seul.
Les villes, en particulier Le Caire, sont inondées de portraits du chef de l'Etat, objet d'un véritable culte de la personnalité. Rares sont les affiches représentant M. Mostafa Moussa. Nombre d'Egyptiens, notamment les commerçants, ont pris l'initiative d'acheter et afficher des portraits de M. Sissi. Beaucoup estiment qu'il est l'artisan du retour au calme dans le pays après le chaos qui a suivi la révolution de 2011 ayant renversé le président Hosni Moubarak.
Sur le marché de bétail d'Abou Choucha, ils sont peu nombreux à s'occuper du scrutin. Pour la plupart, le choix est déjà fait : leur bulletin ira à Abdel Fatah Al-Sissi.
"On est en sécurité seulement depuis l'arrivée de Sissi. Avant, on n'avait aucune sorte de sécurité, les femmes ne pouvaient même pas sortir pour aller chez le docteur. Maintenant c'est sûr", confie Tarek Mohamed Hafez, marchand de bétail.
A part Sissi, personne d'autre ne conviendra, surtout quand on voit l'effondrement des pays autour de nous.Tarek Mohamed Hafez, marchand de bétail
La stabilité retrouvée...
Ici, la région a retrouvé sa sérénité, après le chaos du printemps arabe et des années Morsi. L'ombre de la Libye et de la Syrie voisines, de l'instabilité et de la guerre civile, plane toujours. Si l'Egypte a retrouvé une forme de stabilité politique, le pays, qui a été frappé par plusieurs attentats jihadistes sanglants ces dernières années, reste confronté à des enjeux de sécurité majeurs.
En novembre dernier, le président Abdel Fattah al-Sissi avait notamment donné trois mois à son chef d'état-major et son ministre de l'Intérieur pour rétablir la sécurité dans le nord de la péninsule du Sinaï, où sévit une branche locale du groupe jihadiste Etat islamique (EI). A ce jour, la campagne, qui a fait plus de 100 morts parmi les jihadistes mais aussi au moins 20 au sein de l'armée, se poursuit.
Alors pour beaucoup d'Egyptiens, il n'est pas question de prendre des risques, même si la crise économique perdure...
Je me demande s'il peut rendre les prix plus abordables? La viande est chère, les pesticides et le sel aussi. Tout est très cher et les travailleurs n'ont pas assez pour vivre.Adib Haleem Beksamos, habitant d'Abou Choucha
Crise économique et austérité
Le président a promis dès le début de son premier mandat de ramener la stabilité dans le pays, y compris économique. Un ambitieux programme de réformes a été entrepris en 2016 en vue de l'obtention d'un prêt du Fonds monétaire international (FMI) de 12 milliards de dollars. Parmi les réformes figure la décision en novembre 2016 de laisser flotter la monnaie nationale, ce qui a entraîné une flambée des prix affectant durement les ménages égyptiens.
Dévaluation, hausse des prix et des taxes, baisses des subventions. Une politique d'austérité qui frappe la population de plein fouet. Des sacrifices nécessaires, selon Maher.
"On le veut pour un, deux, trois ou quatre mandats, car il veut construire notre pays. On voit les projets qu'il fait, et oui les prix sont un peu élevés, mais on peut le tolérer... il faut rester soudés et notre pays et nos enfants grandiront", espère Maher Beshai, commerçant.
Aucun concurrent sérieux
Abdel Fatah al-Sissi incarne pour certains l'espoir d'une grande Egypte. A Sohag, dans le sud du pays, son visage s'affiche un peu partout. Son adversaire lui reste absent. Sur les banderoles et dans les esprits.
On ne connait pas l'autre candidat, et de toutes façons, lui-même a dit qu'il voterait pour Sissi.Hussein Hafez, retraité du ministère de l'éducation
Moussa Mostafa Moussa, l'unique concurrent d'al-Sissi, est aussi l'un de ses fervents soutiens. Alors le président sortant a toutes les chances d'être reconduit. En 2014, Abdel Fatah al-Sissi faisait déjà face à un unique concurrent: Hamdeen Sabbahi, vieille figure de la gauche, jouissant d'une plus grande notoriété que M. Mostafa Moussa, qui dirige le parti libéral Al-Ghad. L'ex-maréchal Sissi l'avait emporté par le score sans appel de 96,9% des voix.
"Moussa Mostafa Moussa a peu de chance de remporter un nombre significatif de voix (...). Beaucoup de gens ne savent même pas qu'il se présente", estime Mostafa Kamal el Sayed, professeur de sciences politiques à l'Université du Caire. Dans une interview à la télévision cette semaine, le président a estimé que l'absence de concurrents sérieux n'était pas de sa responsabilité. "
J'aurais aimé que soient présents un, deux, trois ou 10 des meilleurs" candidats, a-t-il assuré.
Dans ce contexte, la seule donnée à revêtir de l'importance dans le scrutin de 2018 pourrait être le taux de participation. Lors de la dernière présidentielle, ce taux avait atteint 37% après deux jours de scrutin. Les autorités avaient alors décidé de le prolonger d'une journée pour atteindre 47,5%.
Absence totale de contestation
Mais face aux grosses difficultés économiques et à la persistance de ces troubles sécuritaires, aucune contestation sérieuse n'est apparue car M. Sissi, cinquième président égyptien issu des rangs de l'armée depuis 1952, gouverne d'une main de fer depuis la destitution en 2013 de son prédécesseur islamiste Mohamed Morsi.
Premier président civil élu démocratiquement, M. Morsi issu de la confrérie des Frères musulmans, avait succédé en 2012 à M. Moubarak. Un an après, à la faveur de manifestations de masse, M. Morsi, qui s'était vite rendu impopulaire, a été déposé par M. Sissi alors chef de l'armée. Depuis 2014, M. Sissi a engagé une répression implacable contre l'opposition islamiste, mais aussi libérale.
Plusieurs milliers de partisans de l'ex-président islamiste ont été tués ou emprisonnés, et des centaines, dont M. Morsi lui-même, ont été condamnés dans des procès de masse expéditifs vivement dénoncés par l'ONU. Selon Reporter sans frontières (RSF), 30 journalistes sont actuellement emprisonnés en Egypte, et près de 500 sites internet sont bloqués.