Présidentielle en Algérie : "Cette élection n'est qu'une formalité administrative"

Le président sortant Abdelmadjid Tebboune a été réélu pour un deuxième mandat avec près de 95% des voix en Algérie lors de la présidentielle du 7 septembre. Analyse de ce scrutin avec Adlene Mohammedi, chercheur en géopolitique et spécialiste du monde arabe.

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Bannières électorales avec les candidats

Un homme passe devant les bannières électorales des candidats à la présidence, dont le président Abdelmadjid Tebboune, au centre, mardi 27 août 2024, à Alger, en Algérie.

AP Photo/Fateh Guidoum
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TV5MONDE : Comment analyser le taux de participation ?

Adlene Mohammedi, chercheur en géopolitique et spécialiste du monde arabe : Le taux de participation officiel annoncé initialement par l'autorité électorale en Algérie (Anie) est peu crédible et ambigu. Le chiffre de 48 %, qui dépasse celui de la présidentielle de 2019 (39,88 %), est largement incompréhensible : il est question d'un taux "moyen" (en fonction de wilayas [préfectures] inégalement peuplées, si on comprend bien), ce qui n'a pas grand sens, mais permet de faire circuler l'impression d'un niveau de participation "correct". Bien sûr, la majorité - abstentionniste - n'est pas dupe. Gonfler les chiffres permet de s’offrir un semblant de légitimité. L’enjeu des élections n’était pas le résultat, connu d'avance, mais le taux de participation. C’était donc le seul paramètre à manipuler. Le taux réel pourrait être autour de 20-25 %. Dans les grandes villes, dont Alger, il est bien plus faible encore, ce qui reflète une espèce de défiance passive.

(Re)voir Algérie : l'enjeu majeur de la participation électorale

TV5MONDE : Est-ce que le régime sort renforcé de ce scrutin ? 

Adlene Mohammedi : Le régime ne peut pas sortir renforcé du scrutin. Il est dans l'autosuggestion, il se légitime lui-même. Si nous considérons que pour être renforcé, il faut une assise populaire, alors c'est non. Mais si se renforcer, c'est se raconter une histoire, créer une réalité parallèle, alors il le fait très bien. Une minorité croit au récit. Même si la propagande n’est pas crédible, elle peut finir par fonctionner dans certains cas. L’objectif des dirigeants actuels, c’est de pouvoir gouverner à l’abri des Algériens le plus longtemps possible. La principale boussole du pouvoir est sa propre survie. Si, pour rester cinq ans de plus, il faut manipuler un scrutin, il ne se gêne pas pour le faire. Certains vont critiquer, certains se feront réprimer, mais l’objectif est de passer rapidement à autre chose. De poursuivre un fonctionnement que je qualifie de cryptocratique (opaque et illisible) afin d'échapper aussi longtemps que possible à une réelle souveraineté populaire. Et le principal risque aujourd'hui est l'indifférence à l'égard des victimes de cette politique, notamment les prisonniers d'opinion. 

(Re)voir : Moins de 50% de participation à l'élection présidentielle algérienne

TV5MONDE : Est-ce que cela aura un impact au niveau international ? 
 
Adlene Mohammedi : Le résultat de l'élection ne va rien changer sur la scène internationale. Les puissances étrangères conservent une certaine complaisance. La voix de l’Algérie est marginalisée aujourd’hui, notamment à l’échelle régionale. L'idée sera de conserver l'appui des puissances, qu'il s'agisse de Moscou, de Pékin ou de Washington, indépendamment de considérations idéologiques. Pour ce qui est de la France, les tensions commodes (à des fins de politique intérieure, en Algérie comme en France) pourront se poursuivre, mais on veillera probablement à ne pas aller trop loin. Cette élection n'est qu'une formalité administrative. Cela n’a pas été l’occasion d’un grand débat ou d'un quelconque arbitrage entre différentes orientations. 
 
Les puissances ferment les yeux parce que le pouvoir algérien n’est pas gênant, il est même plutôt conciliant. Et parce que l'esprit contre-révolutionnaire, qui succède à l'esprit révolutionnaire du Printemps arabe en 2011, s'est installé, les gouvernements sont persuadés que le système autoritaire est une source de stabilité, et que la démocratie, la liberté, les droits de l’homme, sont secondaires. Si les puissances s’accommodent de régimes autoritaires partout, ce n’est pas le régime algérien qui va les perturber ; il n’affiche rien de subversif.