Présidentielle en Algérie : cinq candidats contestés pour une élection largement rejetée

Coûte que coûte, le pouvoir algérien tient à organiser une élection présidentielle ce jeudi 12 décembre. Mais à la veille du scrutin, le Hirak, le mouvement de contestation, ne veut toujours pas en entendre parler. Il rejette cette élection organisée par un "système" qu'il rejette en bloc. Un rejet d'autant plus massif que les cinq candidats sont tous liés à l'ancien président Abdelaziz Bouteflika.
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Algerie les cinq candidats à la présidentielle
De gauche à droite, Azzedine Mihoubi, Abdelmajid Tebboune, Abdelkader Bengrina, Ali Benflis et Abdelaziz Belaïd, les cinq candidats à la présidentielle contestée du 12 décembre 2019 en Algérie.
© AP Photo/Fateh Guidoum
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De cette présidentielle, les manifestants du Hirak ne veulent toujours pas. Hors de question de participer à un scrutin organisé par un système qu’ils rejettent de la cave au grenier.
Le premier rassemblement de masse en février 2019 visait à dissuader le président sortant Abdelaziz Bouteflika de se présenter à un cinquième mandat. Bouteflika “empêché” un mois plus tard sur demande de l’armée, le mouvement ne s’est pas arrêté.
Annulée la présidentielle d’avril. Annulée la présidentielle de juillet. L’armée est cette fois persuadée que le scrutin du 12 décembre se tiendra et devrait marquer la fin de la contestation. 
Mais il suffit de regarder la liste des cinq candidats retenus pour comprendre que les choses ne seront pas si simples. “Vous voulez un changement radical ? Nous allons vous donner une continuité radicale”, résume Slimane Zeghidour, éditorialiste à TV5MONDE à propos de l’état du dialogue entre l’état-major de l’armée et la rue algérienne qui gronde depuis dix mois.

Le 12 décembre ils seront donc cinq. Tous ont été étroitement liés de près ou de loin au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, en clair des figures d'un système aujourd’hui honni. Et le Hirak s’est chargé de le leur rappeler au cours de la campagne électorale.

Ali Benflis, un ancien Premier ministre devenu "opposant"

Le plus célèbre de tous, Ali Benflis, 75 ans, s'efforce depuis quinze ans de revenir aux affaires après avoir été mis sur la touche. Ce magistrat de formation s’est déjà présenté à deux reprises contre Bouteflika en 2003 puis en 2014, arrivant à chaque fois en deuxième position. Mais il a beau marteler qu’il incarne l’opposition, cela ne convainc pas le Hirak. Il en a fait les frais dès les premières heures de sa campagne. 

Ali Benflis à Blida
L'ancien Premier ministre Ali Benflis en réunion publique à Blida le 19 novembre 2019.
© AP Photo/Fateh Guidoum

En 2014, lors de la campagne électorale, Benflis déclarait pourtant dans un entretien à l’hebdomadaire français L’Express : “J’incarne une autre forme de protestation contre un système corrompu, vieillissant et finissant”. Ces mots sonnent comme ceux que l’on entend dans les grandes villes algériennes depuis février dernier. Mais le Hirak n’y croit pas quand ils sont prononcés par Benflis.
Les manifestants n’ont pas oublié que l’homme a été Premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika en 2000 après avoir dirigé sa campagne électorale. Cette année-là, Bouteflika entamait son premier mandat dans un pays meurtri par une décennie de guerre civile et à l’issue d’une présidentielle finalement boycottée par les six autres candidats qui redoutaient les tentatives de fraudes.

Abdelmadjid Tebboune, un ancien Premier ministre devenu "indépendant"

En face d’Ali Benflis, un autre ancien Premier ministre de Bouteflika : Abdelmadjid Tebboune. Si Benflis prétend incarner l’opposition, Tebboune se présente lui comme “indépendant”. Indépendant ? A 73 ans, il a été haut fonctionnaire, puis plusieurs fois wali, c’est à dire un préfet, autant dire un homme du sérail. En 1999, quand Bouteflika parvient au pouvoir, Tebboune est nommé ministre de la Communication.

Abdelamjid Tebboune
Abdelmadjid Tebboune, le 24 novembre 2019 à Alger.
© AP Photo/Fateh Guidoum

Tout au long de la décennie 2000, il fera des allers-retours au gouvernement, mais ne s’éloignera jamais beaucoup du président qu’il représentera dans plusieurs missions à l’étranger. Point d’orgue de sa carrière gouvernementale, en mai 2017 il prend les rênes du gouvernement. Il restera trois mois à ce poste avant d’être limogé abruptement sur fond de lutte des clans. Une opération mains propres initiée par son gouvernement sera interprétée comme du harcèlement à l’encontre d’un certain nombre de grands patrons et lui vaudra même, fait inhabituel, un recadrage brutal de la part du président.

Mihoubi, Bengrina, Belaïd, trois autres anciens proches de Bouteflika

 

Si Benflis et Tebboune font figure de favoris, trois autres personnalités viennent compléter la liste des candidats validée par l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), elle aussi contestée par le Hirak.
Les trois hommes ont aussi été liés à l'ère Bouteflika.

Azzedine Mihoubi
Azzedine Mihoubi en campagne à Beni Slimane le 19 novembre 2019.
© AP Photo/Fateh Guidoum

Azzedine Mihoubi, 60 ans, dirige depuis quelques mois le Rassemblement national démocratique (RND), pilier de la coalition ayant soutenu Bouteflika au cours de sa présidence et dont le président, l'ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia est en prison pour corruption. Azzedine Mihoubi aura été, jusqu'en mars 2019, le dernier ministre de la Culture du président déchu.

​Risée des réseaux sociaux, en raison notamment de son acharnement à vouloir se présenter comme le candidat officiel du Hirak, Abdelkader Bengrina se présente pour sa part sous les couleurs d’El-Bina, un parti membre d’une coalition islamiste dont est issu l’actuel président de l’Assemblée nationale, Slimane Chenine.

Abdelkader Bengrina
Abdelkader Bengrina à Alger le 17 octobre 2019.
© AP Photo/Fateh Guidoum

Entre 1997 et 1999, sous la présidence de Liamine Zéroual, Abdelkader Bengrina a été ministre du Tourisme. Son parti a constamment soutenu Abdelaziz Bouteflika. Les meetings de Bengrina sont presque systématiquement perturbés par des manifestants du Hirak quand ils ne sont pas purement et simplement empêchés comme le vendredi 29 novembre en Petite-Kabylie.  

Au même moment, le 5e candidat, Abdelaziz Belaïd, était à une soixantaine de kilomètres de là, près de Sétif, également en meeting. Il y a été accueilli aux cris, notamment, de “Belaïd dégage”.

Abdelaziz Belaïd
Abdelaziz Belaïd le 17 octobre 2019 à Alger.
© AP Photo/Fateh Guidoum

Ancien cadre du FLN, au pouvoir depuis l’indépendance en 1962, Abdelaziz Belaïd a fondé son parti, le Front El-Moustaqbel, une formation satellite du pouvoir. Par le passé, il a aussi appartenu à des associations de jeunes soutenant Abdelaziz Bouteflika.