Présidentielle en Algérie : l'islam politique hors-jeu ?

Depuis début 2019, l'Algérie, dont le nouveau président Abdelmajid Tebboune a été élu au terme d'une présidentuelle controversée, est secouée par une contestation inédite du système politique et de ses institutions. Fait notable, aucun parti islamiste n'est parvenu à profiter de cette crise politique comme avait pu le faire le Front islamique du salut il y a trente ans. Pourquoi ? Nous avons croisé les analyses de Dalia Ghanem, chercheuse au Centre Carnegie et Slimane Zeghidour, éditorialiste à TV5MONDE.
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Manifestation à Alger , 13 décembre 2019
Manifestation à Alger après l'annonce de l'élection du nouveau président, Abdelmajid Tebboune, le vendredi 13 décembre 2019.
© AP Photo/Toufik Doudou
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Parmi les cinq candidats à la présidentielle de ce jeudi 12 décembre, un seul se revendique comme proche de la mouvance islamiste. A 57 ans, Abdelkader Bengrina, ancien ministre du Tourisme également auto-proclamé candidat du Hirak a surtout recueilli jusqu'à présent un flot de railleries sur les réseaux sociaux en raison de certaines manifestations de piété ostentatoires.
Mais, note Slimane Zeghidour, éditorialiste à TV5MONDE,  "Bengrina se garde bien de faire une quelconque allusion religieuse à l’Etat tel qu’il le conçoit. Il s’agit plus de conservatisme social sur les moeurs mais pas sur les institutions politiques".
Trente ans après la percée du Front islamique du salut, faut-il comprendre que l'islam politique n'a plus sa place en Algérie ? "Force est de constater qu'il ne reste plus rien du Front Islamique du Salut (FIS), hormis les mauvais souvenirs de ce que cette période a engendré, explique Dalia Ghanem, chercheuse à l'Institut Carnegie de Beyrouth. Le Mouvement pour la société et la paix (MSP), vu à une certaine époque par les déçus du FIS comme le successeur, est en plein déclin et n'a plus de capacité de mobilisation". Le MSP était le parti de l'islamiste Mahfoud Nahnah, décédé en 2003, auquel a longtemps adhéré Bengrina.

La religion sera toujours une question importante dans la société algérienne.

Dalia Ghanem, chercheuse

Comment expliquer ce déclin de l'islam politique ? Si Dalia Ghanem évoque "les mauvais souvenirs", cela ne signifie pas pour autant, estime-t-elle, que la religion soit devenu un sujet secondaire : "La religion sera toujours une question importante dans la société algérienne mais aujourd'hui les Algériens ont une meilleure prise en compte du danger de l'extrémisme religieux". Slimane Zeghidour confirme : "Les questions religieuses sont très présentes dans les discussions de café mais pas dans le débat politique actuel uniquement centré sur l’opposition entre régime militaire et Etat civil".
Cette opposition est au coeur de la crise politique qui secoue l'Algérie cette année. Si le Hirak est né d'un refus de voir Abdelaziz Bouteflika se présenter à un 5e mandat, le débat s'est cristallisé sur le rôle de l'armée dès lors que celle-ci a "démissionné" le vieux président malade et pris en charge l'organisation du processus électoral aujourd'hui contesté.

Nous sommes aujourd’hui dans une sécularisation indéniable.

Slimane Zeghidour

Pourquoi les Islamistes qui, il y a trente ans, incarnaient l'alternance, n'ont-ils pas réussi à s'immiscer dans cette colère contre un régime finissant ? "Il y a certainement des gens de sensibilité islamique ou islamiste parmi les manifestants. Des gens qui se reconnaissent dans le rejet unanime exprimé par les manifestants à l’encontre du régime, explique Slimane Zeghidour. Mais il n’y a pas de revendications de type islamiste. Le paradigme est totalement aux antipodes de la revendication islamiste qui ne revendiquait pas la démilitarisation de l’Etat mais son islamisation. On a aujourd’hui le sentiment que la question religieuse ne doit plus relever que de la conscience individuelle que la Constitution doit protéger. Nous sommes aujourd’hui dans une sécularisation indéniable". Dalia Ghanem précise pour sa part que "ce qui semble urgent et important pour le Hirak en ce moment c'est le vote, la question de la libération des détenus d'opinion et aussi une durée plus longue pour une véritable transition."

Algérie Abassi Madani
12 juin 1990, Abassi Madani, leader du Front islamique du salut, vote pour les élections locales. Son parti remportera haut la main ce premier scrutin pluraliste de l'histoire de l'Algérie.
© AP Photo/Remy De La Mauviniere


Dalia Ghanem et Slimane Zeghidour en conviennent, cette absence de l'islam politique trouve son origine dans le traumatisme de la guerre civile des années 90. "Les Algériens ont encore les souvenirs de la décennie noire et donc du FIS en 1990, explique la chercheuse. Ils ne veulent plus du scénario de 1990. Aujourd'hui, un parti islamiste capable de galvaniser les foules comme l'a fait le FIS il y a trente ans n'existe pas. Je dirais qu'il y a une vaccination contre l'islamisme". Pour Slimane Zeghidour, "les Algériens ont lourdement payé l’addition de ce qui s’est passé dans les années 90. Entre 200 et 250 000 morts, des années de couvre-feu, un pays mis en quarantaine internationale pendant sept ans ! C’était une horreur !". Avant de conclure sur une image éloquente : "Parler aux Algériens d'instauration d’un Etat islamique c’est comme parler de corde dans la maison d’un pendu".