Fil d'Ariane
La guerre civile, la troisième en une vingtaine d'années dans ce pays parmi les plus pauvres du monde, avait éclaté en 2013 quand une coalition de groupes armés à dominante musulmane, la Séléka, avait chassé M. Bozizé du pouvoir. Depuis son exil, ce dernier était accusé, notamment par l'ONU, d'avoir organisé une contre-insurrection menée par des milices essentiellement chrétiennes et animistes, les anti-balaka. Les combats entre groupes armés, issus ou non de ces deux mouvances, ont baissé d'intensité depuis 2018, mais les milices continuent de perpétrer des crimes contre les civils malgré un accord de paix signé en 2019 et la présence de Casques bleus de l'ONU.
"Considérant que le candidat fait l'objet d'un mandat d'arrêt international" de la justice centrafricaine depuis mars 2013, après sa fuite du pays, "pour assassinats, arrestations, séquestrations, détentions arbitraires et tortures", la Cour constitutionnelle a invalidé jeudi la candidature de M. Bozizé à la présidentielle dont le premier tour est prévu, en même temps que les législatives, le 27 décembre.
"Le candidat fait l'objet de sanctions" de l'ONU datant de 2014 et renouvelées en 2020, et "il déroge au critère de bonne moralité inscrit dans le code électoral", poursuit la juridiction suprême. En 2014, les Nations unies avaient fait geler ses avoirs à l'étranger et lui avaient interdit de voyager, au motif qu'il avait "soutenu" depuis son exil des milices coupables, selon l'ONU, de "crimes de guerre et crimes contre l'Humanité".
"Ni le mandat d'arrêt ni les sanctions ne constituent des condamnations et il continue de bénéficier de la présomption d'innocence", a réagi pour l'AFP Christian Guenebem, directeur de campagne de M. Bozizé, ajoutant que "viendra le temps de la réaction".
M. Bozizé, un général cinq étoiles, était revenu d'exil il y a un an en catimini à Bangui où il vivait depuis au vu et au su de tous sans être inquiété. Il avait annoncé sa candidature en juillet 2020. Jeudi, au moment de l'annonce de son invalidation, il se trouvait près de Kaga Bandoro, dans le centre du pays, sur le territoire d'un chef de milice qui lui est fidèle, selon plusieurs sources humanitaires.
La Cour a également invalidé quatre autres candidats. Il en reste donc 17, dont M. Touadéra, pour un scrutin qui s'annonce sous haute tension. Nombre de Centrafricains mais aussi d'humanitaires et de diplomates, redoutent que M. Bozizé, déjà auteur de plusieurs tentatives de putsch depuis près de 40 ans, n'essaie de reprendre le pouvoir par la force.
M. Bozizé écarté de la course, l'opposition se présente en ordre dispersé pour le 27 décembre et les plus connus, comme Anicet-Georges Dologuélé, Martin Ziguélé, Karim Meckassoua, Nicolas Tiangaye, et Catherine Samba Panza, présidente de transition entre 2014 et 2016, n'ont qu'une très faible assise électorale hors de leurs fiefs locaux.
L'opposition dénonce notamment la "corruption" qui gangrène le régime de M. Touadéra. Elle accuse l'organe supervisant les scrutins du 27 décembre mais aussi la Cour constitutionnelle d'être inféodés au régime. Et menaçait, il y a peu, le gouvernement de "conséquences désastreuses" en cas de fraude électorale.
"Bozizé a manœuvré politiquement et militairement pour son retour au pouvoir, par les urnes ou par la violence", estime Nathalia Dukhan, de l'ONG américaine The Sentry.
Certains chefs des groupes armés sont ceux qui l'ont hissé au pouvoir en 2003. Issu de l'ethnie Gbaya, l'une des plus importantes du pays, M. Bozizé jouit d'une solide base populaire et compte encore de nombreux fidèles dans l'armée.
"Il serait assez mal inspiré de tenter quelque chose avant les élections, car il aura toute la communauté internationale sur le dos", tempère Thierry Vircoulon, directeur pour l'Afrique centrale à l'Institut français des relations internationales (IFRI). D'autant que M. Touadéra est solidement installé au palais de la Renaissance, sous bonne garde des Casques bleus rwandais et de paramilitaires du groupe russe de sécurité privé Wagner.
François Bozizé traîne une réputation sulfureuse: putschiste récidiviste devenu président, puis président renversé par un putsch, son nom est aussi associé aux pires heures de la guerre civile qui sévit depuis sept ans.
Il est notamment accusé par les Nations unies d'avoir sinon fondé du moins soutenu des milices coupables, selon l'ONU, de crimes de guerre et de crimes contre l'Humanité en 2013 et 2014. Le conflit perdure, les groupes armés rebelles contrôlant encore deux tiers du territoire, même si les combats et les crimes contre les civils ont baissé d'intensité depuis 2018.
Renversé en 2013 par une coalition de groupes armés dominée par les musulmans, la Séléka, François Bozizé Yangouvonda est accusé notamment par les Nations unies d'avoir organisé une contre-insurrection sanglante depuis son exil, celle des milices anti-balaka majoritairement chrétiennes et animistes. Malgré des sanctions de l'ONU, il est resté populaire pour une frange importante de la population.
Depuis son retour en catimini à Bangui en décembre 2019, ce militaire de carrière --et seul général cinq étoiles du pays--, protestant né au Gabon, était devenu le rival à abattre pour le candidat Touadéra.
En matière de coups de force, celui qui fut promu général et aide de camp par l'empereur Jean-Bedel Bokassa --despote fantasque qui régna de 1966 à 1979 et le chargea notamment de réprimer dans le sang une manifestation de lycéens en 1979-- affiche un CV chargé. En 1983, ministre de l'Information, Bozizé tente en vain de renverser le président André Kolingba. Réfugié au Bénin, il en est extradé en 1989. Emprisonné deux ans, il réchappe d'une tentative d'assassinat dans sa cellule en 1990. Le général devient en 1997 chef d'état-major du président Ange Félix Patassé. En 2001, il rate encore un coup d'Etat, quitte Bangui pour le Tchad, puis la France, avant de revenir lancer la rébellion des "libérateurs" et prendre le pouvoir en 2003. Putsch gagnant cette fois. Son régime, miné par la guerre civile et la corruption, n'a jamais tenu ses promesses, l'insécurité empêchant tout décollage économique. L’appétit du clan présidentiel pour les diamants du nord-est lui mettra finalement à dos les grandes familles musulmanes de collecteurs, premiers soutiens de la Séléka qui déferle sur Bangui en 2013 et le contraint à l'exil.
Depuis le Gabon puis l'Ouganda, il est accusé de soutenir les anti-balaka, coupables de terribles exactions. En 2014, les Nations unies le placent sous sanctions pour "soutien" aux anti-balaka et l'accusent d'"avoir demandé à ses milices de poursuivre les atrocités" contre les musulmans. Depuis son retour il y a un an, Bozizé se présente en "homme de paix". "Il n'est plus le même après sept ans d'exil et de solitude, il a à cœur de laisser une autre image", argue Christian Guenebem, secrétaire adjoint de son parti, le Kwa Na Kwa (KNK).