Facebook a annoncé avoir mis en œuvre de nouvelles mesures pour contrer la propagande et la désinformation en ligne en Côte d'Ivoire. Ce problème — désormais mondial — a pris des proportions inédites pour l'élection présidentielle ivoirienne qui se tiendra ce 31 octobre 2020 dans un climat de grandes tensions. Explications.
La Côte d'Ivoire n'échappe pas au phénomène d'influences basées sur des fausses informations ou des publicités politiques mensongères qui se déchaînent sur les plateformes web. Le réseau social Facebook, les groupes WhatsApp ou l'application Instagram en sont les principales victimes depuis le début de la campagne présidentielle. Ce constat, très inquiétant — qui touche également la présidentielle américaine —, a fait réagir Facebook qui déclare avoir pris des mesures fortes pour contrer ces phénomènes. Mais est-il vraiment possible pour cette entreprise privée américaine d'endiguer la désinformation et l'influence à visée électorale en Côte d'Ivoire ?
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L'entreprise de Mark Zuckerberg explique dans un mémorandum de 3 pages publié il y a quelques jours et intitulé "
Comment Facebook contribue à protéger l’élection présidentielle 2020 en Côte d'Ivoire", comment elle entend aider à "prévenir l’ingérence électorale, lutter contre la désinformation et la dissuasion d’aller voter et accroître la transparence en matière de publicités politiques."
Le réseau social rappelle qu'il investit massivement dans le monde pour garantir la sécurité de ses utilisateurs, grâce à l'embauche d'experts, d'ingénieurs et de modérateurs de contenus pour "identifier et retirer au plus vite des contenus nuisibles". La lutte contre la désinformation est un sujet central pour Facebook, qui indique comment elle tente d'endiguer ce fléau qui déstabilise de nombreux pays comme la Côte d'Ivoire :
L'entreprise américaine veut lutter aussi contre ce qu'elle nomme des "interférences", qui sont la plupart du temps des activités en ligne de groupes de personnes, d'entreprises d'influence ou de membres de partis politiques qui génèrent des débats artificiels, perturbent les discussions, en ligne, créent de toutes pièces des problèmes visant à indigner certaines parties de la population. Facebook estime ces activités comme étant des "opérations de comportements inauthentiques coordonnés", composés de "réseaux sophistiqués de pages, groupes et comptes Facebook", qu'elle désactive. En Côte d'Ivoire, comme ailleurs dans le monde, le réseau social cible "des groupes d’utilisateurs utilisant de faux profils pour œuvrer ensemble afin de manipuler le débat public" estimant "qu'il peut s’agir de campagnes nationales ou de campagnes orchestrées par des entités étrangères, y compris des gouvernements étrangers."
Viralité et bouche-à-oreille
Il n'y a pas de spécificité ivoirienne dans la pratique de l'influence électorale par les réseaux sociaux, selon le journaliste de l'agence de presse africaine Ecofin, Servan Ahougnon, spécialisé sur ces sujets. "
Les méthodes employées sont globalement partout les mêmes en Afrique de l'Ouest. On trouve par exemple souvent des fausses pages Facebook, affiliées à des organisations qui ne mentionnent pas qu'elles sont affiliées et qui vont faire proliférer des informations dans le but d'influencer les décisions de la population", explique le journaliste. Cette fabrique incessante d'informations fantaisistes, fausses, orientées, circule très vite sur les plateformes et fait le "buzz", jusqu'à qu'un journal vienne pratiquer un "fact checking", une vérification des faits, en expliquant pourquoi l'information était mensongère.
Le journal ivoirien abidjan.net a sa rubrique "fake news" :
Sur l'incendie du péage à Abidjan, une vidéo qui a beaucoup circulé sur WhatsApp, elle provenait en réalité du Nigéria. Pour la décalaration du président Ouattara qui prétendait faire revenir Gbagbo s'il était élu, le journal explique : "
Des propos ont été attribués au Président Alassane Ouattara qui entamait, ce mercredi 9 septembre 2020, une visite d'Etat dans le Moronou: "si je suis élu je m'engage à faire revenir Gbagbo". Fake news. Le Président Ouattara n'a jamais fait une telle déclaration."
Ces procédés de vérification des faits pour pointer les fausses informations sont indispensables, mais ils ont des limites importantes, selon Servan Ahougnon : "
Si la fausse information arrive à toucher beaucoup de monde, les fact checking, les démentis des journaux en ligne ont bien moins d'impact. Il faut savoir qu'en Afrique, sur plus de 800 millions de personnes qui accèdent à Internet, seules 12% d'entre elles sont sur les réseaux sociaux. Et comme nous sommes des pays avec une forte tradition orale, c'est le bouche-à-oreille qui fonctionne le plus, donc la fausse information va très vite se répandre, non plus par les réseaux sociaux, mais entre personnes, oralement." La vitesse de propagation de la fausse information est si importante que les dementis à postériori, bien moins lus, peu relayés, n'ont en réalité pas beaucoup d'effet. Quand le mal est fait, il est trop tard, pourrait-on dire.
Quelles solutions ?
Face à la "viralité" des fausses informations en Côte d'Ivoire, des solutions techniques ont été mises en place par Facebook. Sur ses plateformes WhatsApp et Messenger, l'entreprise a par exemple décidé de limiter l'envoi en masse de messages :
Cette limitation des partages d'information semble une bonne solution, pour forcer l'utilisateur à faire des choix et l'empêcher de transférer "tout et n'importe quoi à tout le monde", comme le sociologue et spécialiste de l'économie de l'attention Dominique Boullier le propose. Bizarrement, le réseau social Facebook n'est lui pas concerné par ces limitations, alors que sa capacité de viralité par les partages, repartages et les "j'aime" est pourtant connue. La responsable communication pour l'Afrique francophone de Facebook, explique cette différence entre autres par l'impossibilité de lire les contenus sur les plateformes de messageries : "WhatsApp est une messagerie privée. Nous savons que les fausses informations se caractérisent par des comportements type, dont notamment la viralité, et c'est pour cela que nous avons réduit la limite du nombre de partages pour agir sur ce phénomène. Sur Facebook, nous continuons à investir dans la lutte contre la désinformation. Lorsqu'un article est évalué comme faux par un organisme certifié de fact-checking, nous le rétrogradons sur le fil d'actualité ce qui permet de réduire sa visibilité de plus de 80% et par conséquent entrave sa viralité."
Mais pour Servan Ahougnon, le problème ne peut de toute manière pas se régler aussi simplement, en limitant le nombre de partages ou même en supprimant des contenus. Selon le journaliste, "les 12% de personnes sur les réseaux sociaux en Afrique ont tendance à partager ces fausses informations, qu'elles qu'elles soient. Elle les partagent avec les personnes avec qui elles vivent, qui sont autour d'elles, et c'est quelque chose qui se déroule comme ça dans tous les pays d'Afrique de l'Ouest. Facebook ne peut pas contrer seule la désinformation sur les réseaux sociaux. Ce qu'ils ont mis en place, avec la surveillance et la suppression des contenus, la limitation de partages, les suppressions de comptes, tout ça n'arrive pas à freiner la désinformation et pose en plus des problèmes de liberté d'expression."
Les réponses "anti-viralité" de Facebook ne semblent pas suffisantes pour enrayer la machine propagandiste de désinformation en Côte d'Ivoire. Servan Ahougnon pense malgré tout qu'il y aurait des choses à faire, comme par exemple activer des algorithmes de contre-propagande : "Il est possible d'agir sur les réseaux sociaux en donnant la même exposition au démenti, au décryptage de "fake news", qu'aux fausses informations. Facebook pourrait le faire, en augmentant massivement la visibilité des démentis ou en automatisant le partage de ces démentis auprès de ceux qui ont été touchés par des fausses informations." Facebook a commencé ce type de démarche en Côte d'Ivoire, en réduisant le flux d'actualité, mais avec une efficacité très relative jusqu'à aujourd'hui :
Les contenus évalués comme « faux » ou « partiellement faux » font l’objet d’une distribution réduite dans le fil d’actualité de Facebook, afin que les utilisateurs soient moins susceptibles de les voir. Nous publions des articles connexes et qui émanent de fact-checkers pour plus de contexte et nous notifions les utilisateurs si un article qu’ils ont partagé est évalué comme étant faux. (extrait du mémorandum "Comment Facebook contribue à protéger l’élection présidentielle 2020 en Côte d’Ivoire (Mesures), publié sur abidjan.net ce 20 octobre 2020)
Les manipulations politiques par les réseaux sociaux sont un problème massif sur le continent africain, rappelle le journaliste d'Ecofin : "Il y a l'influence numérique extérieure et l'influence intérieure. Dans ce second cas, ce sont majoritairement des dirigeants qui souhaitent se maintenir au pouvoir mais aussi leurs adversaires qui souhaitent les faire partir, qui sont à la manœuvre. Il y a l'exemple au Bénin, en 2016, où les deux camps avaient fait une campagne sur les réseaux sociaux et avaient utilisé — à dessein ou non — des Fake news. Je pense qu'en Afrique, le pôle extérieur, d'influences purement étrangères, n'est pas très actif. Mais il y a de plus en plus de gouvernements africains qui payent des agences étrangères pour pratiquer de l'influence en ligne à leur avantage, comme on l'a vu cette année avec l'agence tunisienne Ureputation qui influençait par Facebook, en Côte d'Ivoire, notamment."
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La démocratie ivoirienne semble fortement mise à mal par le détournement des plateformes d'échanges en ligne à des fins partisanes. Facebook montre une volonté d'atténuer les effets négatifs de ses réseaux, par des mesures techniques, mais ses mesures ne suffisent visiblement pas. Au final, la victime centrale de ces procédés d'influence est pourtant connue : la vérité. Et quand la vérité n'existe plus, c'est en général la liberté et l'autonomie des citoyens à se déterminer en toute indépendance qui sont mises à mal…