Présidentielle en Côte d'Ivoire : l'ex-chef de la diplomatie, Amon Tanoh, craint "un conflit post-électoral"

L'ex-ministre ivoirien des Affaires étrangères Marcel Amon Tanoh, dont la candidature a été rejetée, craint que la présidentielle du 31 octobre en Côte d'Ivoire ne débouche sur une crise post-électorale comme en 2010-2011 et revient sur son passé commun avec Alassane Ouattara.

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Marcel Amon Tanoh
L'ex-chef de la diplomatie ivoirien, Marcel Amon Tanoh, (au centre), prenant la parole lors d'une réunion avec son homologue chinois Wang Yi au ministère des Affaires étrangères à Beijing, le mardi 28 août 2018.
©How Hwee Young/Pool Photo via AP
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"Les élections, si elles sont lieu dans ces conditions-là, j'ai bien peur que nous allions vers un conflit post-électoral à nouveau en Côte d'Ivoire", a-t-il estimé dans cet entretien à l'Agence France-Presse.

"Il faut tout faire pour contraindre M. Ouattara à s'asseoir autour d'une table pour discuter, dialoguer, négocier. C'est la seule façon de résoudre cette crise post-électorale qui se dessine à l'horizon", a précisé M. Amon Tanoh, qui a longtemps été le directeur de cabinet de M. Ouattara. Devenu ensuite ministre des Affaires étrangères, il a quitté le gouvernement en mars.

"Aujourd'hui nous sommes déjà dans une crise pré-électorale qui est beaucoup plus exacerbée que les tensions pré-électorales de 2010. En 2010 avant l'élection, il n'y avait pas eu des morts. Là, on a déjà des morts, alors vous pouvez imaginer ce que sera l'après 2020 avec les tensions actuelles", a-t-il ajouté.

La crainte de violences meurtrières est forte dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, dix ans après la crise née de la présidentielle de 2010 qui avait fait 3.000 morts.
 

Retour des "vieux démons" 

Cette année, une quinzaine de personnes sont mortes en août dans des violences survenues après l'annonce de la candidature controversée du président Ouattara à un troisième mandat, violences qui avaient aussi souvent un caractère communautaire.

"Ca veut dire que le problème de la réconciliation reste un chantier important, que les problèmes communautaires ressurgissent très vite. Il faut régler ces problèmes-là. Je crains qu'on ait un dérapage et que les vieux démons ressurgissent", a souligné M. Amon Tanoh.

Comme toute l'opposition, il demande une réforme de la Commission électorale indépendante (CEI) et du Conseil constitutionnel, ainsi qu'un audit des listes électorales.

"Si la CEI et le Conseil constitutionnel n'ont pas rendu compte de la véracité des parrainages, ils ne rendront pas compte de la véracité des urnes. Cette élection ne sera pas crédible", craint-il.

L'ancien ministre des Affaires étrangères, dont la candidature a été rejetée pour une insuffisance de parrainages qu'il conteste, assure avoir agi sur le plan diplomatique et demande que la communauté internationale "exerce des pressions" sur le président Ouattara.

Repousser le scrutin 

"Si on se rend compte qu'on ne peut pas régler les problèmes pour que cette élection soit crédible, apaisée et inclusive, il faut repousser la date. Compte tenu des risques que cette élection fait courir aux Ivoiriens, si on ne peut pas résoudre les problèmes, il faut reporter", a-t-il jugé.

Elu en 2010, réélu en 2015, M. Ouattara, 78 ans, avait annoncé en mars qu'il renonçait à briguer un troisième mandat, avant de changer d'avis en août après le décès de son dauphin désigné, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly.

La loi ivoirienne prévoit un maximum de deux mandats, mais le Conseil constitutionnel a estimé qu'avec la nouvelle Constitution de 2016, le compteur des mandats de M. Ouattara a été remis à zéro, ce que conteste farouchement l'opposition.

"Je ne sais pas pourquoi il (Ouattara) pense qu'en dehors de lui et d'Amadou Gon Coulibaly - paix a son âme - personne d'autre ne peut diriger la Côte d'Ivoire", ironise Marcel Amon Tanoh. "La tentation (du troisième mandat), je l'ai sentie naitre quand il a fait sauter le plafond de l'âge".

La Constitution de 2016 ne limite pas l'âge, à l'inverse de la précédente (75 ans).

Celui qui a travaillé dès les années 1990 avec M. Ouattara qui était alors Premier ministre, est revenu sur son engagement: "J'ai cru déceler chez lui des valeurs. Il avait l'air d'être démocrate, attaché aux libertés, préoccupé par l'avenir de notre pays, d'avoir une vision, d'être soucieux de la justice... Petit à petit, je me suis aperçu qu'on s'écartait de ces valeurs (...). Pendant peut-être trop longtemps, j'ai accordé le bénéfice du doute", a-t-il détaillé. 

"Les dérives ont connu une très grande accélération ces derniers mois".