Fil d'Ariane
"La stratégie de l'opposition est indéchiffrable". Sur le plateau du Journal Afrique de TV5MONDE, samedi 31 octobre, au soir du premier tour de la présidentielle, le journaliste indépendant Vincent Hugeux dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. "Quand vous voulez saper la légitimité d'un sortant, non seulement vous prônez le boycott, mais en plus vous retirez votre candidature pour qu'il soit seul dans l'arène !", estime le grand reporter.
En appelant au "boycott actif" tout en laissant leur nom et leur visage sur les bulletins de vote, Pascal Affi N'Guessan et Henri Konan Bédié ont-ils choisi la bonne méthode ? Ont-ils pris le risque de légitimer l'élection d'Alassane Ouattara pour un 3e mandat à la tête de la Côte d'Ivoire ?
Quand on leur pose la question, les représentants des deux candidats de "l'opposition significative" (par opposition à Kouadio Konan Bertin, candidat indépendant ayant refusé le boycott) ne parlent que d'une seule voix. "C'était la meilleure stratégie, c'était la plus fine", considère Georges Aka, Secrétaire général adjoint du Front populaire ivoirien (FPI) en Europe, "c'est parce que Affi N'Guessan et Bédié sont dans le processus qu'ils sont fondés à demander des modifications dans ce processus". “Depuis le début, je trouve que c’est la meilleure stratégie”, estime pour sa part Diomandé Youdé Adama, représentant à Paris du PDCI-RDA. “En déposant sa candidature, Henri Konan Bédié estimait que cela laissait trois mois pour mettre à jour la Commission électorale”, dont l’opposition conteste la composition, tant au niveau national qu’au niveau de ses représentations locales.
En clair, jouer le jeu des institutions de la République et essayer de les influencer, plutôt que de leur tourner le dos ? Pour Fahiraman Rodrigue Koné, sociologue et chercheur à l'African Security Sector Network, “l’action de l’opposition a eu une faible emprise sur le processus électoral. Elle n’a commencé à s’unir qu’après la proclamation des candidatures et n’a pas eu le temps d’influencer ce processus. Elle a donc voulu mobiliser la rue comme ressource pour reconfigurer les rapports de force et, je pense, contraindre le pouvoir à discuter. Mais il y a un risque de basculement dans la violence qui remet en cause cette stratégie d’influence”.
Du côté du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, Diomandé Youdé Adama explique que c’est précisément pour éviter ce basculement dans la violence que l’opposition a annoncé dimanche sa volonté d’installer “une transition civile”. Quelle image d’union ! Depuis la résidence de Henri Konan Bédié, le message a été lu par Pascal Affi N’Guessan. Au bas de cet appel à la transition figure aussi -notamment- la signature de Guillaume Soro, ancien très proche d’Alassane Ouattara tombé en disgrâce et contraint à l’exil. “Parce cette élection et les résultats qui vont en sortir sont pour nous un non-événement, estime le représentant du PDCI, nous voulons nous asseoir autour d’une même table et organiser de nouvelles élections dans les meilleurs délais”. Le RHDP d’Alassane Ouattara serait-il exclu de cette transition ? “Non ! Ce que nous voulons juste c’est qu’elle se passe sans Alassane Ouattara à la tête du pays”. “Une transition, cela ne se décrète pas tout seul dans son coin, reconnaît Georges Aka. Il faut le soutien des institutions comme l’armée ou la société civile, le soutien de la Communauté internationale, etc… Une fois que nous aurons réuni ces soutiens, la transition pourra d’autorité prendre les décisions pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise”.
L’opposition chercherait-elle à rejouer l’épisode de la crise de 2010-2011 avec Alassane Ouattara dans le rôle de Laurent Gbagbo ? “Oui, on va vers cela, reconnaît le représentant du FPI, car Ouattara n’a pas l’intention de lâcher. On le voit très bien avec les résultats à la soviétique qu’est en train de donner sa Commission électorale indépendante, qui n’en est pas une. On va donc se retrouver, en effet, dans la configuration d’il y a dix ans avec Ouattara qui veut se maintenir par la force et avec un gouvernement fantoche”. “Alassane Ouattara va se retrouver exactement dans la même situation que celle qui l’a amené au pouvoir, prévoit aussi le représentant à Paris du PDCI, avec un homme qui se prétend président de la République et un autre homme qui, lui, sera le choix du peuple ivoirien”.
Fahiraman Rodrigue Koné relativise cette perspective. Pour le sociologue, “dans la rue,on sent très bien la tension et la psychose, mais sur le long terme, cette posture de l’opposition va-t-elle payer ? Nous allons arriver au moment où les populations doivent retourner au travail, et il y a peu de chance que les mots d’ordre de désobéissance aient un impact réel. Cette stratégie a ses limites, mais elle a le mérite de renseigner sur la nature de la crise politique et d’attirer l’attention sur le fait qu’il faut un dialogue”.
Dans ces conditions, l’alliance de l’opposition dite “significative” peut-elle tenir ? “S’il y a une chose que Ouattara a réussie, c’est l’union de tous les partis politiques ivoiriens contre lui ! C’est sa seule prouesse ! ironise Georges Aka, et quelle que soit l’amplitude de cette plateforme, nous sommes tous unanimes pour estimer que Ouattara doit partir. Pas question d’être divisés sur cette question-là”.
Fahiraman Rodrigue Koné est plus prudent sur la viabilité de cette stratégie. “C’est une opposition qui a ratissé assez large avec des leaders ayant chacun son agenda. La cohérence d’un bloc monolithique parlant d’une seule voix sans dévoyer la stratégie pourrait, à long terme, se fissurer. L’endurance du groupe pourrait ne pas résister au temps. En d’autres mots, l’opposition est aujourd’hui face au défi de l’union”.
Et nul doute qu'Alassane Ouattara saura scruter de près les moindres signes d'essoufflement.