Présidentielle en Côte d’Ivoire : retour sur 25 ans de boycott, violences et crises politiques

A l’approche de l’élection présidentielle du 31 octobre en Côte d’Ivoire, les tensions s’exacerbent dans le pays, malgré les appels au calme des Nations unies et de la Cédéao, la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest. La situation s’est aggravée depuis le "boycott actif" du scrutin, lancé par Henri Konan Bédié, le chef de file du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et Pascal Affi N’Guessan, à la tête de la frange du Front Populaire Ivoirien (FPI) reconnu par les autorités. Retour sur l’histoire récente des présidentielles ivoiriennes et leur lot de boycott, violences et crises politiques.
 
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Manifestants
Manifestation contre un troisième mandat consécutif du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara, à Abidjan, le 13 août 2020. 
© AP Photo/Diomande Ble Blonde
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Depuis un quart de siècle en Côte d’Ivoire, les principaux acteurs des scrutins présidentiels sont les mêmes, et ceux-ci se suivent et se ressemblent à peu de choses près. A quelques jours de la prochaine échéance, le pays connaît à nouveau une flambée de violences. En août dernier déjà, plusieurs personnes sont mortes après l’annonce de la candidature du président Alassane Dramane Ouattara à un troisième mandat consécutif.

Les troubles actuels succèdent à l’appel au boycott du processus électoral lancé le 15 octobre dernier par les deux principaux candidats d’opposition, Pascal Affi N’Guessan, ancien premier ministre de Laurent Gbagbo, et l’ancien président Henri Konan Bédié. Les deux hommes entendent ainsi « faire barrage à un coup d’Etat électoral » du président sortant. Ils ont donc invité leurs militants à "mettre en application le mot d’ordre du boycott actif par tous les moyens légaux à leur disposition".

Ouattara
Le président Alassane D. Ouattara lors de son investiture, en novembre 2015, à Abidjan, en Côte d'Ivoire.
© AP Photo/Sevi Herve Gbekide

Selon nos confrères de l’Agence France-Presse, blocages de routes et affrontements intercommunautaires ont eu lieu à Bongouanou, localité située à 200 kilomètres au nord d’Abidjan, entre autochtones du groupe agni et des membres de la communauté dioula, venus du nord du pays et réputés proches du pouvoir.

Dans ce fief du candidat Affi N’Guessan, la maison de ce dernier aurait été incendiée et deux victimes sont à déplorer. D’après les autorités ivoiriennes, des scènes similaires auraient été observées dans le centre, l’ouest et le sud-est du pays.
 

(Re)voir : "Côte d'Ivoire : échauffourées en marge de plusieurs manifestations"

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Face à cette situation, le gouvernement a tenté de réagir en conviant les partis d’opposition à des discussions « sur le cadre d’organisation du scrutin ». Il s’est toutefois vu opposer une fin de non-recevoir par le PDCI de Henri Konan Bédié, le FPI- reconnu par le pouvoir - de Pascal Affi N’Guessan, et la plateforme EDS, Ensemble pour la Démocratie et la Souveraineté, qui soutient Laurent Gbagbo. L’ex-président est d'ailleurs toujours en attente de l’examen de l’appel de la procureure de la Cour Pénale Internationale Fatou Bensouda.

Coup d’État militaire et rébellion

1995. Le boycott actuel rappelle celui lancé lors de la présidentielle de 1995 par Laurent Gbagbo, alors à la tête du FPI, et Alassane Dramane Ouattara, leader du RDR, le Rassemblement des Républicains. A l’époque, dans un contexte marqué par le débat autour de l’ivoirité, les deux hommes forment le Front républicain et protestent notamment contre le code électoral qui exclut Alassane D. Ouattara, présenté comme citoyen burkinabé. Finalement, Henri Konan Bédié, successeur constitutionnel de feu Félix Houphouet-Boigny est élu avec plus de 96% des voix, après des troubles et des violences sur l’ensemble du territoire.

2000. Après le coup d’Etat militaire de 1999 contre le régime de Henri Konan Bédié, qui porte à la tête du pays le général Robert Gueï, la présidentielle de 2000 voit ressurgir le débat sur l’ivoirité avec à la clé l’invalidation, par la Cour suprême, de plusieurs candidatures dont celles d’Alassane Ouattara et de Henri Konan Bédié.

Cette année-là, l’appel au boycott est lancé notamment par le RDR d’Alassane Ouattara et le PDCI de Bédié, alors en exil en France. Et c’est dans un contexte de grande insécurité doublé d’une psychose autour de fraudes éventuelles que Laurent Gbagbo est élu au détriment du général Gueï.

Soro et les forces nouvelles
L'ancien leader des Forces Nouvelles Guillaume K. Soro, lors d'un meeting à Ferkessedougou, près de Korhogo, dans le nord de la Côte d'Ivoire, en avril 2004.
© AP Photo/Ben Curtis

2002-2010. Deux ans plus tard, la Côte d’Ivoire plonge dans une grave crise politique. Le territoire national est divisé en deux, avec principalement au nord les rebelles des « Forces Nouvelles » de Guillaume Soro, et au sud les « Forces armées de Côte d’Ivoire » du président élu Laurent Gbagbo.

Durant huit longues années, le pays connaît une quasi-guerre civile, l’intervention des troupes onusiennes et d’importantes médiations internationales. Cette instabilité culmine avec la crise post-électorale de 2010-2011. Après de nombreux reports, la présidentielle de 2005 se tient en novembre 2010. Elle oppose au second tour Laurent Gbagbo, président sortant, à Alassane Ouattara, alors à la tête du RDR.

(Re)voir : "Laurent Gbagbo libéré de son assignation à résidence, la liesse en Côte d'Ivoire"

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A l’issue du scrutin, pouvoir et opposition se lancent dans une bataille rangée au sein de la CEI, la Commission électorale indépendante, qui finit par déclarer Ouattara vainqueur mais hors du délai légal, tandis que le Conseil constitutionnel donne la victoire à Laurent Gbagbo.

Voir aussi : en 2010, dispute de la présidence entre Ouattara et Gbagbo [LeMémo]
 

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Les violences qui s’ensuivent font plus de trois mille morts en cinq mois. A la demande de l’ONU, les militaires de l’opération française Licorne neutralisent les derniers bastions du pouvoir de Laurent Gbagbo. Ce dernier sera embastillé, puis envoyé à la CPI, tandis que Alassane Ouattara accède à la magistrature suprême.

Un climat politique tendu

2015. Avec l’appui du RHDP, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Paix et le Développement, qui regroupe cinq partis de la majorité présidentielle, dont le PDCI de Henri Konan Bédié, le président Ouattara est réélu en 2015 dès le premier tour avec plus de 83% des voix.

Situation presque inédite, le contexte de cette élection est le plus apaisé que le pays ait connu en vingt ans. Néanmoins, des appels au boycott avaient été lancés notamment par Charles Konan Banny et Amara Essy. Ces caciques du PDCI avaient rejeté l’appel à soutenir le président sortant, mais aussi la frange du FPI réunie autour de feu Aboudramane Sangaré, compagnon de route de l’ex-président Laurent Gbagbo.

Bedie
L'ancien président ivoirien Henri Konan Bédié, lors d'un meeting, à Yamoussoukro, en Côte d'Ivoire, le 12 septembre 2020
© AP / Diomande Ble Blonde

2018. Dans la perspective de la présidentielle de 2020, le PDCI décide en août 2018 de mettre fin à son alliance avec la majorité présidentielle et quitte le RHDP. Dès lors, les appétits s’aiguisent et le climat politique se tend de jour en jour. L’attente du procès en appel de Laurent Gbagbo, dont les partisans espéraient le retour en Côte d’Ivoire, mais aussi l’exil et la condamnation pour détournement de fonds de l’ancien président de l’Assemblée Nationale Guillaume K. Soro, contribuent à accroître les tensions.

L’annonce de la candidature du président Ouattara pour un troisième mandat, en lieu et place de son premier ministre Amadou Gon Coulibaly, n’arrange en rien la situation. Ces tensions s’exacerbent en septembre dernier avec l’invalidation des candidatures de Laurent Gbagbo et Guillaume Soro. Les appels à la désobéissance civile de Henri Konan Bédié, puis au boycott dde ce dernier, allié cette fois à Pascal Affi N’Guessan, n’ont fait qu’attiser les braises. Depuis, malgré les appels au calme des Nations unies et de la Cédéao, le climat politique reste très tendu.