Présidentielle en Ouganda : Museveni contre Wine, "le Sage" face à la jeune garde

L'Ouganda vote ce jeudi 14 janvier 2020. Elections législatives et présidentielle. Pour cette dernière, le président sortant Yoweri Museveni brigue un 6e mandat. Au pouvoir depuis 35 ans, il aura pour principal adversaire le chanteur Bobi Wine, 38 ans, qui a su mobiliser la jeunesse et fédérer une bonne partie de l'opposition. Museveni contre Wine, un bras de fer tendu entre deux visages de l'Ouganda.
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Montage photos Museveni / Wine Ouganda présidentielle
Bobi Wine, 38 ans, sera cette année le principal adversaire de Yoweri Museveni, 76 ans, candidat à un 6e mandat.
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"President forever", "un président pour toujours". Il y a cinq ans, au moment de briguer un cinquième mandat, Yoweri Museveni a choisi un slogan qui a le mérite de la clarté.
Promesse tenue. Deux ans plus tard, en 2017, il modifie la Constitution et fait tomber la limite d'âge de 75 ans. Douze ans auparavant, via une première modification constitutionnelle, il avait déjà fait sauter le verrou du nombre de mandat. Dès lors, Museveni peut sans complexe, en effet, se revendiquer "président pour toujours".

A 76 ans, Yoweri Museveni incarne à lui-seul un pan de l'histoire de son continent.
Son combat politique, il l'entame dans la clandestinité du combat anticolonial au Mozambique.
Né en 1944 dans le sud-ouest d'un Ouganda sous protectorat britannique, on le retrouve très jeune combattant au sein du FRELIMO, le Front de libération du Mozambique, la guérilla indépendantiste d'obédience marxiste qui se bat contre le colon portugais. Une façon très concrète de se battre pour des opinions forgées auparavant, à Dar es Salaam. A l'université de la capitale tanzanienne d'alors, il a appris l'économie et les sciences politiques. Sous l'impulsion du président tanzanien Julius Nyerere, figure du panafricanisme, l'université de Dar es Salaam est à l'époque l'un des hauts lieux du socialisme africain et l'étudiant Yoweri Museveni signe au début des années 70 une thèse sur la théorie de Frantz Fanon sur la violence et contre l'aliénation, appliquée à l'exemple mozambicain.
 

Coups d'Etat

Son retour en Ouganda sera de courte durée. Ayant tout juste intégré les services de renseignements de Milton Obote, autoritaire père de la Nation ougandaise, Museveni fuit le pays lors du coup d'Etat d'Idi Amin Dada au tout début de l'année 1971. Exil en Tanzanie où il fonde le FRONASA, un Front pour le salut national très inspiré du FRELIMO mozambicain. Ce FRONASA, aux côtés de la Tanzanie, fera tomber Amin Dada  huit ans plus tard.

Mais pour Museveni, la chute du "Dernier roi d'Ecosse" (l'un des surnoms d'Idi Amin Dada qui inspirera en 2006 le titre d'un film britannique avec Forrest Whitaker dans le rôle du dictateur) ne signifie pas accession au pouvoir.
Après une période transition, en 1979, au cours de laquelle Museveni est ministre de la Défense, c'est Milton Obote qui reprend les rênes de l'Ouganda et Museveni retrouve sa tenue d'opposant.
Pendant six ans, il va patiemment préparer son accession au pouvoir. Il fonde un nouveau mouvement, l’Armée de résistance nationale (ANR) et, comme le rapport le quotidien français La Croix dans un portrait réalisé en 2016, il s'allie alors "avec de jeunes Tutsis rwandais, dont les parents avaient trouvé refuge en Ouganda au début des années 1960. Il leur promet de les aider à reprendre pied au Rwanda en échange de leur soutien dans sa conquête du pouvoir. Parmi ces jeunes recrues, Paul Kagame, le futur chef du front patriotique rwandais, et futur président du Rwanda". Côte à côte, les deux hommes -dont les relations sont aujourd'hui très dégradées- mèneront la guerre du bush, la guerre civile ougandaise, pendant toute la première moitié des années 80.

Revirement économique

En 1986, l’ANR chasse Milton Obote et installe Yoweri Museveni au pouvoir. Le début d'un règne que le président compte prolonger aujourd'hui.
Pragmatique, le "Machiavel africain", comme le surnomme le journaliste Thomas Hofnung en 2006 dans les colonnes de Libération, va rapidement rassurer les grandes puissances anglosaxonnes que sont les Etats-Unis et l'ancienne puissance coloniale britannique à qui il donne "l'illusion (...) qu'il est leur créature dans les Grands Lacs". Au prix notamment d'un revirement spectaculaire dans ses convictions en matière d'économie. L'ancien guerillero marxiste s'aligne sur la doxa en vogue à Washington sous l'ère Reagan. Ses privatisations font de lui un "bon élève" aux yeux des institutions internationales.

Yoweri Museveni et Ronald Reagan
Yoweri Museveni reçu par Ronald Reagan à Washington en octobre 1987. L'ancien guerillero marxiste est alors devenu le chouchou des institutions monétaires internationales.
© Libre de droits

Comment expliquer une telle volte-face idéologique ? "Son ancrage à gauche était très profond et je pense qu'il était sincère, explique Florence Brisset-Foucault, chercheuse à l’Institut des mondes africains à Paris, et cet ancrage se ressent encore aujourd'hui dans certaines de ses prises de position. Mais c'est un choix pragmatique car le soutien de la Banque mondiale était un moyen, de soutenir la reconstruction du pays qui était dans un état désastreux après la guerre civile. Cela s'est soldé par un ressaisissement économique spectaculaire".

2021 : un climat politique tendu

La campagne électorale a donné lieu à des violences et intimidations. Outre les manifestations meurtrières qui ont suivi l'arrestation de Bobi Wine aux premières heures de sa campagne en novembre, Florence Brisset-Foucault souligne que "l'opposition et les organisations de défense des droits de l'Homme ont été prises pour cibles". Le célèbre avocat et défenseur des droits humains, Nicholas Opiyo, qui défend notamment Bobi Wine, a ainsi été arrêté mardi 22 décembre en raison d’accusations de blanchiment... Nicholas Opiyo est le fondateur de l’ONG Chapter Four, très active en Ouganda dans la défense des libertés civiles. Ennuyés également, les journalistes à qui il a été demandé de s'accréditer spécifiquement pour la couverture des élections. Une lourdeur administrative destinée à décourager la presse de s'intéresser à l'événement.

Un autre bon connaisseur du dossier ougandais s'inquiète, lui, des conditions du vote, le 14 janvier. Ce spécialiste, qui a souhaité rester anonyme, nous rappelle qu'en 2016 le matériel électoral est souvent arrivé en retard dans les bureaux et que l'accès aux urnes n'a pas toujours été possible pour les électeurs.
La composition de la Commission électorale pose également question. Ses membres ont été désignés par l'Assemblée nationale dont les députés sont très largement issus du parti au pouvoir.

Démocratie sans partis

Marxiste converti au libéralisme, Museveni reste en revanche fidèle politiquement à la philosophie de Julius Nyerere en appliquant le modèle de la démocratie sans partis. De quoi s'agit-il ? "Le principe, déjà évoqué à la chute d'Idi Amin Dada, consistait à mettre en place un système politique non-sectariste qui empêcherait les élections sur la base des appartenances partisanes, explique Florence Brisset-Foucault. L'idée est que les gens doivent alors être élus sur la base de leur mérite individuel".  Le système, qui bénéficie d'un large consensus au sein de la classe politique ougandaise, est destiné à empêcher cristallisations et violences. ll se concrétise par exemple par une démocratie participative très active et structurée, toujours de mise aujourd'hui, malgré l'instauration du multipartisme au début des années 2000.

Mais,  35 ans après l'arrivée de Museveni au pouvoir, et alors que le Mzee (le sage en Swahili) brigue son 6e mandat, force est de constater que le sytème a été quelque peu dévoyé.
Yoweri Museveni peut se targuer d'avoir vaincu il y a une quinzaine d'années la redoutable LRA, l'Armée de résistance du seigneur de Joseph Kony. Il a aussi à son crédit une relative bonne santé économique de l'Ouganda, même si le pays a beaucoup souffert des restrictions liées à la pandémie de Covid-19.
Mais, Yoweri Museveni a surtout face à lui une jeunesse urbaine extrêmement remontée et qui a trouvé son porte-étendard en la personne de Bobi Wine. L'opposant historique Kizza Besigye ayant décidé de ne pas se présenter, c'est ce chanteur de 38 ans sera cette année le principal rival du vieux président.


De son vrai nom Robert Kyagulanyi Ssentamu, Bobi Wine est né en 1982 à Nkozi dans le Centre de l'Ouganda dans une famille très pauvre et est scolarisé très tardivement.
Sa carrière musicale commence au début des années 2000 et sa musique entre Reggae et Afrobeat connaît rapidement un succès énorme à travers l'Afrique de l'Est. Auteur de plus de 70 chansons en quinze années de carrière, l'un de ses titres figure même dans la bande originale d'un film Disney, "La Dame de Katwe" (Queen of Katwe).

Bobi Wine, qui apparaît également à l'occasion au cinéma, se lance en politique en 2017. "Il a tout de même su, estime Florence Brisset-Foucault, se mouler dans les codes en étant élu au Parlement dès 2018 et en se débarassant de l'image de fumeur de Marijuana !"
L'un des talents de Bobi Wine, avoir su fédérer un certain nombre de poids lourds bien installés dans l'opposition politique ougandaise. Savoir aussi mettre des mots sur cette colère de plus en plus grande à l'encontre du phénomène de sous-emploi. Si la scolarisation, y compris au niveau des études supérieures, a connu un essor important sous Museveni, l'Ouganda est confronté à un chômage des jeunes très importants : entre 7 et 8 jeunes Ougandais sur dix n'ont pas d'emploi ! A cela s'ajoute une grande partie de la jeunesse avec un emploi qui ne correspond pas à son niveau de formation. Bobi Wine a su saisir "ce sentiment d'injustice très partagé".

Bête noire du régime

Aussi depuis trois ans, Bobi Wine est-il la bête noire du régime Museveni. En août 2018, il est passé à tabac après des manifestations à Kampala. Accusé de détention d'armes et d'incitation à la violence, il est traduit en justice et torturé. Bobi Wine sera finalement autorisé à partir se faire soigner aux Etats-Unis.

Bobi Wine 2018
Bobi Wine à Kampala le 20 septembre 2018. Le chanteur vient alors de rentrer des Etats-Unis où il a été soigné après avoir été passé à tabac lors de manifestations contre Yoweri Museveni.
© AP Photo/Ronald Kabuubi

En avril 2019, Bobi Wine est à nouveau arrêté. On lui reproche d'avoir, quelques mois plus tôt, participé aux manifestations contre la taxe sur les réseaux sociaux décidée par le gouvernement.

Sa campagne électorale a aussi été la cible d'intimidations et de violences. Le 20 novembre 2020, alors qu'il tient son premier rally (ainsi appelle-t-on les meetings de campagne en Ouganda), Bobi Wine est arrêté sous le prétexte de la lutte contre la propagation du Covid-19. Son interpellation provoque des manifestations qui se soldent par la mort d'une cinquantaine de personnes et l'arrestation de 350 de ses partisans. Pas de quoi le décourager. Le 3 janvier, il appelle à nouveau à manifester "en cas de fraude à la présidentielle" et quatre jours plus tard, il affirme même souhaiter que Museveni soit traduit devant la Cour pénale internationale (CPI).

Neuf autres candidats

Le bras de fer entre Museveni et Wine occulte les neuf autres candidats de cette présidentielle.
Trois d'entre eux attirent l'attention de Florence Brisset-Foucault, même si elle reconnaît qu'ils devraient réaliser "de petits scores, tant leur électorat s'est tourné vers Bobi Wine".

Patrick Obot Amuriat, tout d'abord. Il est le candidat du Forum pour le changement démocratique (FDC), le parti fondé en 2004 par des déçus du Mouvement de résistance nationale (NRM) de Yoweri Museveni, au premier rang desquels Kizza Bessigyie. Patrick Amuriat est "un candidat de l'Est, une région très peu représentée au sein du champ politique", mais "la planche lui a été largement savonnée par la candidature de Bobi Wine", explique la chercheuse.
Le choix du FDC de désigner Amuriat a généré une autre candidature. Mugisha Muntu a claqué la porte du parti pour créer sa propre formation, l'Alliance pour la transformation nationale (ANT). Cet ancien haut-gradé "bénéficie de réseaux et d'un certain capital sympathie au sein de l'armée".
Signalons aussi Norbert Mao, candidat du Parti démocrate (DP), un parti historique fondé en 1954 et qui "brasse un peu partout à travers le pays".

Les six autres candidats se présentent "sans étiquette" :
► John Katumba
► Willy Mayambala
► Fred Mwesigye
► Henry Tumukunde
► Joseph Kabuleta
► Nancy Kalembe