En République démocratique du Congo, alors que le dépouillement des bulletins de vote se poursuit, l'accès àIinternet et l'usage des SMS a été suspendu depuis lundi sur décision du gouvernement. Pour Julie Owono, directrice exécutive de l'ONG "Internet sans frontières", couper l'accès à Internet n'a que des inconvénients et n'a jamais résolu aucun problème. Malheureusement, les gouvernements africains y ont souvent recours.
TV5Monde : Quelle est votre réaction à cette coupure d’Internet en RDC ? Julie Owono, Internet sans frontières : Malheureusement, elle ne nous a pas surpris. Beaucoup de signes indiquaient que le gouvernement prendrait le chemin de la censure. Nous sommes très inquiets parce que l’expérience a démontré que les coupures qui interviennent autour d’un épisode électoral sont annonciatrices d’irrégularités ou de manipulation des résultats.
Pour justifier cette coupure, le gouvernement parle de diffusion de faux résultats, de prérogatives de la CENI…On ne lutte pas contre les fausses informations ou l’insécurité en coupant internet. Ça ne fait qu’augmenter les risques. Je peux donner plusieurs exemples : en 2017, le Cameroun a coupé Internet dans les régions anglophones pour « rétablir l’ordre public » et on voit que, deux ans plus tard, l’ordre public n’est pas revenu.
En Ethiopie, ces deux dernières années, l’Etat l’a coupé régulièrement dans les régions Oromo pour lutter contre des « risques pour la sécurité nationale ». En réalité, il s’agissait des contestations de cette minorité Oromo, mais ça n’a pas réglé le problème. Aujourd’hui il est en passe d’être réglé, mais depuis récemment, depuis que le gouvernement a décidé d’octroyer plus de liberté.
En ce qui concerne la RDC, en quoi le gouvernement lutte-t-il contre les fausses nouvelles en coupant de surcroît le signal d’une radio crédible -je parle de RFI- ? Il faut avant tout de la transparence et qu’elle émane des autorités elles-mêmes. On ne peut pas se prévaloir de sa propre turpitude, le gouvernement n’ayant pas fait preuve de transparence, il ne peut pas venir dire « nous ne voulons pas que les gens diffusent des fausses informations ».
Néanmoins, la pénétration d’Internet est très faible en RDC, donc sa coupure a-t-elle une grande importance ? Bien sûr que c’est important. Certes il n’y a que 4 à 6 % des Congolais qui ont accès à Internet mais cela représente des millions de citoyens qui ont envie de s’informer, des entrepreneurs qui veulent travailler, des banques qui veulent fonctionner ou des personnes qui veulent échanger avec leur famille à l’étranger…
Concrètement, qu’est-ce que cette coupure Internet va empêcher ? De nombreuses organisations de la société civile ont mis en place des systèmes d’observation citoyens. Généralement, elles utilisent les moyens numériques pour partager ce qu’elles observent, en particulier sur les réseaux sociaux, et souvent en postant des images. Ce travail-là aujourd’hui est difficile et d’ailleurs on apprend que le gouvernement a demandé aux opérateurs d’empêcher ou de rendre difficile spécifiquement l’accès aux images.
Par ailleurs, cette question de la transmission et de la compilation se pose au sein même de la commission électorale. Comment peut-elle faire son travail sur un territoire aussi vaste que la RDC si les moyens de communications sont coupés ? Tout ça ne peut que renforcer la perception qu’il s’agit de masquer des tentatives de manipulation, dont certaines avaient commencé à être relevées par les observateurs.
Que faire pour lutter contre cette tendance récurrente à « couper Internet » qui frappe beaucoup de gouvernements africains ? Il faut faire de la sensibilisation auprès des opinions publiques nationales et internationales. Dans le cas du Cameroun, depuis deux ans nous faisons campagne avec un hashtag #bringbackourinternet.
Ensuite, il faut sensibiliser les gouvernements eux-mêmes. En 2018, en prévision des élections de l’automne au Cameroun, ISF a organisé une série de rencontre entre le gouvernement, les organisations de la société civile locale et les opérateurs privés. On ne peut pas nier qu’il y a un problème de diffusion de fausses nouvelles et même de la haine, mais dire que « couper Internet » c’est la solution, c’est « se mettre un doigt dans l’œil » (se tromper lourdement NDLR). Il y a d’autres solutions. On peut favoriser l’éducation des masses, on peut communiquer avec les plateformes de contenus comme Facebook… Mais il faut anticiper.
Couper Internet ne résout rien. Ça fait perdre de l’argent aux Etats et fait perdre la confiance des investisseurs. Ça donne une très mauvaise image des gouvernements. Regardez la RDC, on aurait dû en parler comme « une première transition démocratique », et non, depuis quelques jours, c’est « un pays qui musèle son opinion publique ». C’est vraiment négatif sur tous les plans.
Les médias sous pression
La censure ne touche pas seulement Internet, mais aussi d'autres médias : le signal de Canal Congo Television, ou CCTV, a été coupé par les autorités, qui reprochent à la chaîne d'avoir publié les résultats des élections de dimanche dernier. Même sanction, pour la radio RFI : le signal a été bloqué en RDC et l'accréditation de sa correspondante, retirée.
Face à ces coupures en série, l'ONG Reporters sans frontières dénonce un "usage systématique de la censure" dans le pays. Explications en images :