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Depuis le mois d’octobre, l’est de la République démocratique du Congo (RDC), connaît un regain de violences. L'aggravation du conflit intervient au moment le pays se prépare à d’importantes élections le 20 décembre prochain. Comment les combats peuvent-ils évoluer ? Qui sont les acteurs sur le terrain ? Analyse de Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l’Université de Liège et spécialiste de la RDC.
Des Casques bleus de la MONUSCO sont déployés près de Kibumba, au nord de Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo, le 28 janvier 2022.
C'est un conflit qui n'en finit pas. Le 30 octobre dernier l'ONU annonçait le chiffre de 6,9 millions de personnes déplacés à l’intérieur de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis début octobre, les combats entre le M23 (Mouvement du 23 mars ndlr), les Forces armée de la République démocratique du Congo (FARDC) et les groupes armés dit "patriotes" se sont intensifiés.
Ce conflit contre le M23 n'est qu'un épisode de plus dans la longue série de combats qui ont ensanglanté l'est de la RDC dans les régions de l'Ituri, du Nord-Kivu et le Sud-Kivu depuis la première guerre du Congo en 1996. Les estimations et les chiffres varient mais l'ONG International Rescue Committee avance le chiffre de 5,4 millions de morts sur la seule période 1997-2008. L'historien belge David van Reybrouck, auteur de l'ouvrage de référence, Congo, une histoire, avance lui le chiffre de six millions de morts sur cette période.
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Aujourd'hui le conflit implique des dizaines d’acteurs, entre groupes militaires locaux, forces armées régionales et casques bleus et les répercussions sur le pays en terme de sécurité, de besoins humanitaires et de politique sont nombreuses.
C’est justement la politique qui est derrière le regain de violence qui agite la région depuis le mois d’octobre. Dans une tentative de parfaire le bilan de son premier mandat, et à quelques semaines du début de la campagne pour la présidentielle, le président sortant, Félix Tshisekedi, a voulu éteindre une bonne fois pour toute la rébellion du M23. “Tshisekedi avait promis que les élections auraient lieu sur toute l’étendue de la RDC, qu’il n’y aurait pas d’endroit où on ne pourrait pas se rendre aux élections”, explique Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l’Université de Liège et spécialiste de la RDC. “Il avait aussi affirmé que s’il ne parvenait pas à sécuriser l’est du pays, il considérerait son mandat comme un échec”.
Après avoir réorganisé son armée avec l’aide d'hommes employés de sociétés privés de sécurité et mobilisé des groupes armés locaux, le président Tshisekedi a profité de la relative accalmie observée ces derniers mois et lancé une opération militaire pour en terminer, une bonne fois pour toutes, avec le M23.
“Contrairement à ses prévisions, son armée a subi de nombreux revers et le M23 en a profité pour reprendre tous les endroits qu’il avait laissé aux forces régionales des États d’Afrique de l’Est (EASF, ndlr)”, poursuit le professeur Bob Kabamba. En essayant d’éteindre la rébellion, le président a soufflé sur les braises encore chaudes d’un conflit vieux de trente ans. Là où se cachait une potentielle victoire politique considérable, c’est en fait un profond écueil qui attendait Félix Tshisekedi, dont le pays doit maintenant faire face à une reprise des violences dans l’est du pays, où la multitude de belligérants rend la situation sécuritaire totalement insoluble.
“C’est une véritable bouillabaisse” ironise Bob Kabamba. “Il y a d’une part l'armée congolaise qui fait face au M23. À côté de ça, on a les milices d’autodéfense, qu’on appelle wazalendo, qui sont essentiellement des groupes locaux organisés par tribu pour protéger leur territoire mais aussi pour combattre le Rwanda. Il y a des groupes armés étrangers, dont les ADF ougandais, les FNL burundais et les FPR rwandais. On a également des forces rwandaises et ougandaises qui appuient le M23 et à côté de tout ça, il y a l’intervention de la Monusco”, énumère le professeur de sciences politiques. Le Rwanda accusé d'être derrière la montée en puissance du M23 nie toute ingérence dans l'est du pays.
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“Felix Tshisekedi a aussi fait appel aux forces régionales des pays d’Afrique de l’est dont le Kenya a pris la tête, avec les forces ougandaises, sud soudanaises et burundaises pour faire tampon entre le M23 et les militaires congolais. Mais ce n’est pas terminé ! Le Congo a signé des accords bilatéraux avec l'Ouganda et le Burundi pour avoir des opérations militaires des armées ougandaises et burundaises sur le territoire congolais. Et enfin nous avons des mercenaires qui sont sur place”.
Dans une interview accordée à RFI et France 24 le 16 novembre dernier, le président Tshisekedi a en effet admis la présence d'hommes armés employés de deux compagnies de sécurité privée. "Ce sont des experts dont la mission est de renforcer sur le terrain les forces de défense. Ils sont à peu près un millier", précisait même le président de la RDC.
"Il s'agit d'“une violation grave de la Constitution du Congo, qui interdit de faire appel au mercenariat” , souligne Bob Kabamba. Pour contrer l’avancée du M23, la Monusco et les FARDC ont lancé le 3 novembre une opération conjointe baptisée Springbok, et dont le but est d’empêcher la prise de la ville de Goma, la capitale du Nord-Kivu. Mais la force de l’ONU, très impopulaire en RDC, n’est qu’un acteur de plus sur un terrain surchargé : “Dans cette myriade de mouvements armés, c’est évidemment toujours la population qui est la première victime” rappelle Bob Kabamba.
De nombreux groupes armés s’affrontent dans l’est de la RDC, notamment pour mettre la main sur les minerai comme le cobalt et le coltan, dont regorge la région. Parmi eux on compte quatre groupes particulièrement actifs.
Le M23 : le Mouvement du 23 mars est né du groupe rebelle du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Ce dernier avait déposé les armes le 23 mars 2009, à la suite d’un accord de paix promettant que ses hommes, appartenant à la minorité tutsi, seraient intégrés à la police et à l’armée congolaises. On leur avait promis que la branche politique du CNDP deviendrait un parti politique à part entière. En 2012, estimant que l’accord du 23 mars n’est pas respecté une faction du CNDP forme un nouveau groupe rebelle et fonde le M23.
Le FNL burundais : à l’origine, les Forces nationales de libération (FNL) sont un groupe armé hutu actif d’abord pendant la guerre civile qui a agité le Burundi entre 1993 et 2005. Le FNL présent aujourd’hui dans l’est de la RDC est une branche rebelle qui a suivi son chef historique, Agathon Rwasa (aujourd'hui le principal opposant politique au Burundi), dans sa contestation de la présidentielle de 2010. Composé de plusieurs centaines d'hommes, le FNL est installé depuis de nombreuses années dans le territoire de Mwenga, dans la province congolaise du Sud-Kivu.
Le FPR rwandais : le Front patriotique rwandais est un parti politique qui a vu le jour au Rwanda à la fin des années 80. Fondé par des exilés tutsi, c’est le parti de l’actuel président rwandais, Paul Kagame. Des hommes du FPR seraient aujourd’hui présents en RDC selon le gouvernement congolais, bien que Kigali continue de nier toute implication.
Les ADF ougandais : les Forces démocratiques alliées sont une coalition de groupes armés ougandais, dont le plus important était composé de musulmans, opposés au président Yoweri Museveni (président de la république d'Ouganda depuis 1986).
Alliés de l’ancien président congolais Mobutu, les ADF sont implantés sur le Territoire de Beni, à l'est de la République démocratique du Congo, depuis le milieu des années 90.
Le tribut payé par les Congolais de l’est est particulièrement lourd. Depuis le début de l’année, plus de 770 civils ont été tués en marge des affrontements entre le M23 et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et plus de 500 000 personnes ont été contraintes de fuir. La reprise des combats début octobre a déjà fait plus de 450 000 déplacés supplémentaires selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), qui peine à acheminer l’aide humanitaire et alimentaire dans ces zones où pullulent les groupes armés.
(Re)voir → RD Congo : Fuir et subir [Collection Reportages]
Les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri abritent à elles seules plus de 5,5 millions de personnes déplacées selon l'OCHA, le Bureau de la coordination des affairs humanitaires de l'ONU. La situation est si grave que l’OCHA alerte sur un risque de famine dans l’est, qui est pourtant historiquement l’une des régions les plus riches du pays.
Cette crise humanitaire génère un important mécontentement au sein de la population, pour qui Félix Tsishekedi n’a pas tenu ses promesses. “Ces populations se soulèvent, il y a régulièrement des manifestations, des villes mortes, organisées à Butembo, Beni, Goma… Mais tout cela reste à l’est et Kinshasa n’entend pas du tout les cris de ces populations”, déplore Bob Kabamba. “C’est aussi décourageant pour elles de voir les autorités de Kinshasa dire “on parle de l’insécurité au Congo, mais l’insécurité est à 2000 kilomètres de Kinshasa”, comme si ces populations ne comptaient pas, n’étaient pas Congolaises, n’avaient pas droit à la sécurité humaine…
Un manque de considération pour la souffrance des habitants de l’est qui contribue à un sentiment de rejet de plus en plus fort dans cette partie du pays “et même des velléités d’autonomisation” de plus en plus fortes selon Bob Kabamba. “Les habitants de l’est se disent “puisque Kinshasa ne veut pas s’occuper de nous, nous allons nous occuper de nous-même””.
Un conflit régional aux implications nationales
Les Congolais de l'Est ne sont pas les seuls à subir les effets du conflit : deux tiers de la population vivent avec moins de 2,15 dollars par jour, sous le seuil international de pauvreté fixé par la Banque mondiale - et le coût de la vie ne cesse d’augmenter. “L’Est est l’une des régions les plus productives de produits agricoles, que ce soit les haricots, les pommes de terre, les bananes… Or du fait de l'insécurité et des déplacements de populations, les gens n’ont plus accès à leurs champs, ce qui affecte toute la production agricole de la région”, explique Bob Kabamba.
Idem pour les minerais comme le coltan, le cobalt le zinc ou la wolframite, abondants dans l’Est dont le commerce, pourtant crucial à l’économie congolaise, est fortement perturbé par les violences.
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“La situation va peser énormément sur les élections à venir”, avertit Bob Kabamba, qui rappelle que l’Est dans son ensemble (nord-Kivu, sud-Kivu, la province de l’Ituri et toute la province orientale) ont été déçus par le président sortant. “Pour ces populations, la priorité c’est la sécurité, il serait donc étonnant qu’elles votent pour Tshisekedi.”
La coalition formée par l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, le prix Nobel de la paix Denis Mukwege, Delly Sesanga et Matata Ponyo Mapon espère tirer son épingle du jeu. L’opposant Martin Fayulu, candidat malheureux en 2018, est lui aussi un adversaire de taille, mais la multitude de candidats (26 en tout) et les divisions internes devraient jouer en faveur de Félix Tshisekedi.
Élections sous haute tension et risque de contagion
“L’horizon est très sombre notamment du fait du contexte électoral” reconnaît Bob Kabamba. Les élections du 20 décembre, qui combinent présidentielle, législatives, provinciales et municipales rassemblent 25 000 candidats, pour seulement 500 postes à pourvoir et sont fortement influencées par les appartenances ethniques.
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“Cela pourrait générer des tensions et déboucher sur des conflits intra-communautaires comme on en a déjà connu dans la province de Bandundu, à Kwamouth et dans la province du Katanga. Ce sont des phénomènes qu’on va commencer à observer un peu partout sur le territoire congolais et qui risquent de déboucher sur des violences généralisées entres régions” met en garde le professeur.
Le risque de contagion ne se limite pas aux frontières de la RDC. “Il faut souligner l’inquiétude de toute la région : l’est de la RDC, l’Afrique centrale, la Communauté de développement d'Afrique australe… tous tirent la sonnette d’alarme sur la situation au Congo, sur la persistance d’une insécurité qui pourrait impacter d’autres pays comme le Congo Brazzaville, la République centrafricaine et le Sud Soudan si le Congo se trouvait déstabilisé”, avertit Bob Kabamba.
La situation sécuritaire, humanitaire et économique de la République démocratique du Congo est de plus en plus instable et les alertes se multiplient, mais cette crise peine à attirer l’attention de la communauté internationale, “occupée par l’Ukraine et la bande Gaza. Le Congo est vraiment périphérique, notamment parce qu’il n’y a pas d'enjeux qui remettent en cause l’ordre mondial”, explique le professeur de sciences politiques.
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La communauté internationale est-elle prête à s'engager ? Bob Kabamba en doute. L'est de la RDC regorge de minerais stratégiques dont l'exploitation est tenue par des groupes chinois. “Il est plus facile de signer avec la Chine” qui contrôle toute l’économie minière de la RDC, et de consolider ces voies d’approvisionnement que de participer à un effort pour rétablir la paix dans l’est du Congo estime Bob Kabamba. Dans ce contexte, “je ne pense pas qu’il y aura une autre réponse de la communauté internationale que celle que nous avons vue jusqu’à aujourd’hui”.