Fil d'Ariane
“Je suis un candidat indépendant, je ne représente aucun des partis”. Si Kais Saied connaît et commente avec précision la vie politique tunisienne, personne ne s’attendait à voir ce néophyte qualifié pour le second tour de la présidentielle. Sa campagne ? Il l’a menée en marge. Pas de gros meetings, peu de moyens, mais une méthode semble-t-il efficace : la proximité. Tout au long de sa campagne, il a sillonné le pays. Une centaine de villes, les marchés, les cafés, le porte à porte, les poignées de mains. Une campagne financée de sa poche car Saied “refuse toute aide, même un millième”, déclarait-il récemment sur la radio nationale Shems FM. Et, manifestement, le discours de ce constitutionnaliste élégant et au langage châtié a fait mouche.
Son crédo ? “Le peuple doit pouvoir mettre en oeuvre ce qu’il veut”. Et pour ce faire, Kais Saied propose un changement de système pour le moins radical. Réforme de la Constitution et des modes de scrutin, mais aussi décentralisation car, dit-il, “le rôle traditionnel et habituel du pouvoir central est fini”. En résumé, il incarne le ras-le-bol à l’encontre des élites au pouvoir et met tous les partis dans le même panier. Un discours anti-système mais, également, des prises de position extrêmement conservatrices sur les sujets de société.
Saied défend le maintien de la peine de mort et il refuse l’abrogation des textes punissant l’homosexualité. Dans l’autre débat qui a animé la Tunisie ces dernières années, l’égalité en matière d’héritage, Kais Saied défend le statu-quo : les femmes tunisiennes héritent moitié moins que les hommes.
Cette inégalité, à laquelle l’ancien président Béji Caïd Essebsi s’était engagé à mettre fin, est issue du droit coranique. De là à penser que Kais Saied s’inscrive dans un discours islamiste, il n’y a qu’un pas. Mais il s’agit d’une “lecture simpliste”, selon Vincent Geisser. La Tunisie n’est pas binaire estime le chercheur. Il n’y a pas d’un côté les islamistes et de l’autre les modernistes. Pour lui, “l’on voit émerger un troisième courant qui rejette l’islamisme, car il refuse l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques” mais “défend un ultra-conservatisme sociétal et un hyper-légalisme sur le plan des institutions”.
Selon Vincent Geisser, “Kaïs Saied est probablement la meilleure incarnation de ce courant historiquement et socialement ancré en Tunisie. Et les principales « victimes » de son triomphe électoral pourraient bien être les islamistes, car il menace à terme leur hégémonie politique".