Fil d'Ariane
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La Tunisie rechigne à rapatrier ses djihadistes et leurs familles bloqués à l’étranger depuis la chute du groupe "Etat islamique". Ils seraient plusieurs centaines dans ce cas en Syrie, en Irak ou en Libye. Le débat, fortement impopulaire dans le pays, n’a pas ou peu été abordé pendant la campagne présidentielle. Pourtant le spectre de nouveaux attentats terroristes plane toujours sur Tunis.
Dans la poudrière djihadiste du camp d’Al-Hol dans le nord-est syrien, plus de 9 000 femmes et enfants étrangers sont parqués dans une enclave, séparés des hommes par une clôture. Combien il y-a-t-il de Tunisiens dans ce dédale de tentes sommaires et déchirées ? Combien sont-ils dans ces prisons à ciel ouvert en Syrie, en Irak ou en Libye après la débacle du groupe Etat islamique (EI) ?
Selon le ministère tunisien de la Femme et de l’Enfance environ « 200 femmes et 100 enfants se réclamant de nationalité tunisienne » sont détenus à l’étranger sans inculpation. Pour les hommes, difficile dans le chaos actuel d’obtenir un chiffre précis. Selon les estimations, entre 3 500 et 6 000 sont partis combattre aux côtés des djihadistes. On ignore combien sont encore vivants. Les Tunisiens ont constitué le plus gros contingent de combattants étrangers, tous pays confondus, venus alimenter la folie meurtrière de Daech.
Depuis la chute du califat autoproclamé et la déroute qui s’est ensuivie, la Tunisie n’a rapatrié qu’une poignée d’enfants (bloqués en Libye) en procédant à des tests ADN pour confirmer leur identité. Si la coopération juridique avec les autorités de Tripoli est timide, elle est totalement inexistante avec les Kurdes qui administrent le camp d’Al-Hol. Aucun mineur n’a été rapatrié depuis la Syrie ou l’Irak, selon l’organisation de défense des droits de l’homme Human Right Watch (HRW).
La constitution tunisienne adoptée après la révolution de 2011 est claire. Elle énonce qu’il « est interdit de déchoir de sa nationalité tout citoyen tunisien, de l'exiler, de l'extrader ou de l'empêcher de retourner dans son pays ».
C’est pourtant « exactement ce qui se passe », dénonce Mohamed Iqbel Ben Rejeb, président de l’association des Tunisiens bloqués à l’étranger. « L’Europe, la France en tête, ne donne pas vraiment l’exemple sur ce dossier, alors pourquoi la Tunisie devrait rapatrier ses djihadistes alors que les pays susceptibles d’avoir un peu de poids diplomatique ne le font pas ? », s’interroge t-il.
L’homme sait de quoi il parle, son frère a tenté de partir faire le djihad en 2013. Mohammed l’a rattrapé in extremis. Depuis, il lutte pour mettre en place des programmes de prévention à destination des plus jeunes. Il milite pour le retour organisé des femmes et des enfants, conscient que « rapatrier les combattants (serait) trop compliqué, notre système sécuritaire est défaillant et nos prisons sont surpeuplées ».
A la veille de l'élection présidentielle, aucun des 26 candidats n’a d’ailleurs fait de cette préoccupation un sujet (et encore moins un argument) de campagne.
« C’est sûr que ça ne rapportera pas de voix », s’amuse Mohammed Iqbel Ben Rejeb. L’opinion publique tunisienne est fermement opposée à tout retour organisé.
Fortement impopulaire cette mesure est pourtant une « obligation » pour l’ancien président Moncef Marzouki (2011-2014) et candidat à la présidentielle du 15 septembre prochain.
Malgré cela, la question sécuritaire a été « reléguée au second plan », selon Mickaël Ayari, chercheur pour International Crisis Group en Tunisie. Il souligne qu'il est possible que la question du terrorisme réapparaisse si jamais le candidat du parti islamiste Ennahdha, Abdelfattah Mourou, devait accéder au second tour de la présidentielle.
Il est un des pionniers de l'islamisme tunisien. Mais avant l'échéance électoral, il tente de pondérer son allégeance au parti, affirmant être le « candidat soutenu par Ennahdha, mais pas le candidat d'Ennahdha ». Dans une autre interview accordée à Jeune Afrique, Abdelfattah Mourou s'estime « plus ouvert que le noyau dur de la formation, plus compréhensif sur certaines questions sociétales, moins attaché à l’idéologie et au sectarisme social ». De quoi transformer Ennahdha en simple parti conservateur ?
Un temps accusé de complaisance à l'égard de ceux partis faire le djihad, Ennahdha a, depuis 2013, durci le ton. Le parti pourrait ne pas vouloir apparaître comme trop timide à condamner les actes des djihadistes alors que Daech a mené de nouvelles attaques sur le sol Tunisien.
Fin juin, une double attaque suicide dans la capitale a tué un policier et blessé plusieurs personnes. C’est le groupe "Etat islamique" qui l’a revendiqué, en appelant à commettre d’autres attaques « visant des touristes ». Pas de quoi effrayer les candidats à la présidentielle, Moncef Marzouki en tête, qui assume ne pas « pas en parler dans (ses) discours. Rapatrier les djihadistes, ce n'est pas ma priorité, ce n'est pas celle des Tunisiens non plus. »