Fil d'Ariane
TV5MONDE : Les soucis judiciaires de Nabil Karoui ne sont pas nouveaux. Comment la Tunisie a-t-elle pu se retrouver dans une telle situation ?
Il est vrai que l’affaire court depuis 2016. A l’époque, une association a présenté des documents attestant de blanchiment d’argent et des doutes sur les déclarations fiscales des sociétés de Nabil Karoui. Mais les choses ont traîné et, au cours de ces années, le nom de Karoui est apparu dans les sondages politiques avec des pourcentages assez alarmants pour le reste de la classe politique.
Il a fallu attendre 2019 pour que les autres partis politiques prennent conscience du fait qu'il pouvait devenir un concurrent sérieux. Ils ont alors décidé de voter une nouvelle loi électorale pour essayer de l’empêcher de se présenter mais le président Essebsi est mort avant de l’avoir promulguée.
Résultat, on se retrouve avec Nabil Karoui candidat à la présidence car rien dans le code électoral ne lui interdit de se présenter. Rien non plus dans le code pénal puisqu’il dispose toujours de ses droits politiques et civiques, malgré son arrestation. Sur cette base, l’ISIE (l'instance chargée d'organiser les élections) a accepté sa candidature.
Une éventuelle victoire au second tour en octobre soulève bien des questions. Et tout le monde n'a pas la même lecture de la loi...
Rien n’est clair au niveau juridique et constitutionnel. Dès lors que Karoui devient président, il bénéficie de l’immunité liée à la fonction. Mais la Constitution stipule que cette immunité est liée à l’exercice de la fonction. Certains juristes défendent donc la position selon laquelle la procédure sera arrêtée momentanément au cours des cinq années de son mandat.
La Tunisie se retrouve dans un énorme vide juridique et ce sera un cas d’école.
Asma Nouira, professeure de science politique
Cela dit, aujourd’hui, si l’on prend en considération l’écart de trois points entre lui et Saied, mais aussi les déclarations des candidats et partis éliminés à l’issue du premier tour, je pense que la question ne sera finalement pas posée à l’occasion de la présidentielle.
Reste la question des élections législatives…
En effet, les sondages donnent le parti de Karoui à 35%, ce qui est même plus qu’Ennahdha, et il a donc de fortes chances de remporter les législatives.
Dans ce cas, ce qui est prévu est que le chef de l’Etat convoque le président du parti gagnant pour former le gouvernement. Comment envisager que le chef de l’Etat convoque quelqu’un qui est en prison ? Je n’ai, nous n’avons, pas de réponse ! C’est une situation inédite et il va falloir être créatif en interprétant les lois !
La Tunisie se retrouve dans un énorme vide juridique et ce sera un cas d’école, mais dans les périodes de transition démocratique, il existe toujours des incertitudes qui poussent les acteurs à réfléchir sur ce qui est et ce qui doit être.