Fil d'Ariane
Kais Saied, icône des jeunes ? En tout cas, ils seraient environ 90% d'électeurs de 18 à 25 ans à avoir voté pour l'universitaire conservateur lors du second tour de la présidentielle, face à Nabil Karoui.
La rigueur, la probité et le conservatisme de l'homme de droit auront donc davantage séduit la jeunesse et ses ainés que les frasques de son rival, l'homme d'affaires à la tête du "Parti des pâtes" (pour en avoir distribué lors de sa campagne à de potentiels électeurs) soupçonné de blanchiment d'argent et de fraude fiscale tout juste sorti de prison.
Universitaire devenu commentateur politique, le prochain président tunisien Kais Saied est une énigme : quasi inclassable sur l'échiquier politique, cet homme de 61 ans à la diction mécanique est un nationaliste austère qui prône un strict respect des lois et une révolution par le droit.
Pourtant, depuis plusieurs mois, il avait commencé à plaire à une jeunesse qui en a assez de la corruption de l'establishment. Cette jeunesse qui criait "Dégage" au moment de la chute de Ben Ali.
Incarnation de cette jeunesse et de ce "dégagisme", l'humoriste Lotfi Abdelli a d'emblée soutenu ce candidat à part et le rappelle aujourd'hui sur Instagram :
Né le 22 février 1958 dans une famille originaire de Beni Khiar sur la côte est, fils d'un
fonctionnaire de la municipalité et d'une mère éduquée mais restée au foyer, il grandit à Radès, banlieue de la classe moyenne dans le sud de Tunis. Il a fait toutes ses études dans l'enseignement public tunisien.
Farouchement anti-israélien, il a cependant souligné sa fierté que son père ait, à ses dires, protégé des nazis la jeune juive tunisoise comme Gisèle Halimi, devenue depuis célèbre avocate féministe.
Il est diplômé d'un prestigieux établissement public, le Collège Sadiki, comme de nombreux présidents avant lui: le père de l'indépendance Habib Bourguiba, le président Moncef Marzouki (2011-2014) et le premier président élu au suffrage universel en 2014, feu Béji Caïd Essebsi.
Diplômé à 28 ans à l'académie internationale de Droit constitutionnel de Tunis, il a été enseignant assistant à Sousse (centre-est), où il a brièvement dirigé un département de droit public. De 1999 jusqu'en 2018, il enseigne à la Faculté des sciences juridiques et politique de Tunis.
Spécialiste du droit constitutionnel, il a pris sa retraite il y a un an de l'université publique.
Certains de ses partisans le nomment toujours respectueusement "professeur", même si l'homme n'a publié que peu d'ouvrages et n'a pas de doctorat.
Père de deux filles et un garçon, il est marié à une juge, qui n'est apparue à ses côtés qu'aux derniers jours de la campagne.
Surnommé "Robocop" en raison de sa diction saccadée et de son visage impassible, il est décrit par plusieurs étudiants comme un enseignant dévoué, attentionné derrière son apparente rigidité.
Il connaissait aussi les employés subalternes de son université par leur prénom, prenant des nouvelles d'un parent malade ou d'un enfant, se souvient un journaliste de l'AFP qui l'a interviewé en 2014.
Dans son noyau de supporteurs se trouvent de nombreux anciens étudiants. Mais aussi des idéalistes, rencontrés en 2011 au sit-in de Kasbah 1, mouvement de jeunes et de militants déterminés à réorienter la transition démocratique qui s'amorçait après le départ de Zine el Abidine Ben Ali.
Le grand public connaît surtout Kais Saied pour l'avoir entendu commenter savamment, sur les plateaux des principales chaînes de télévision, les premiers pas de la démocratie tunisienne, durant la rédaction de la Constitution adoptée en 2014.
Les débats ont fleuri ces dernières semaines pour mieux cerner les convictions de ce personnage austère, jusque-là mal connues même des commentateurs politiques.
Accusé d'être intégriste ou gauchiste, il est décrit comme inflexible sur ses principes.
De nombreuses vidéos sont ressorties depuis sa qualification au second tour, montrant un homme d'une placidité à toute épreuve, portant depuis 2011 la même vision d'une décentralisation radicale du pouvoir.
Ce néophyte en politique a percé dans les sondages au printemps, porté par un ras-le-bol de la classe politique.
Considéré comme irréprochablement "propre", il habite un quartier de la classe moyenne, et son QG est installé dans un appartement décrépit du centre-ville, où l'on fume assis sur des chaises en plastique.
Ses positions conservatrices sur le plan sociétal, qu'il est loin d'être le seul à avoir dans la classe politique, lui ont valu des accusations d'intégrisme.
Il prône un conservatisme moral et religieux, ne cachant pas son hostilité à la dépénalisation de l’homosexualité et à l’égalité homme-femme dans l’héritage.
Ces convictions, conjuguées à la victoire du parti islamiste Ennahda avec lequel il se dit prêt à collaborer, risquent de préoccuper les Tunisiens libéraux et progressistes, quoique minoritaires.
Mais son discours politique n'est pas appuyé sur des références religieuses.
Son allure assurée et son éloquence savante l'ont placé en bonne posture lors du face-à-face télévisé avec son rival Nabil Karoui vendredi.
S'il est élu, son premier défi sera d'élargir le cercle restreint de ses collaborateurs, actuellement composé d'une poignée de partisans passionnés mais sans expérience du pouvoir, revendiquant une organisation horizontale.
Son frère Naoufel a été un pilier de sa campagne, mais Kais Saied a assuré lors d'un débat télévisé vendredi qu'il n'embaucherait "jamais" un membre de sa famille.
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