Présidentielle : la Côte d'Ivoire dans l'incertitude
Le temps est suspendu en Côte d’Ivoire. La Commission électorale indépendante (Cei) a annoncé la victoire d'Alasanne Ouatara, un résultat que refuse de reconnaître le président sortant, parce que hors délai légal. 72 heures. C’était le temps qu’avait cette institution pour désigner le vainqueur du scrutin. 72 heures rythmées de rumeurs et de couvre-feu ; de suspenses et de suspicions.
Lundi 29 novembre. Il est 7 h. D’ordinaire, les rues de la capitale grouillent de monde. Les taxis et autres véhicules de transports en commun se disputent les trottoirs avec les usagers. Mais ce lundi, Abidjan peine à se réveiller. Le couvre-feu pèse encore sur la capitale. L’angoisse des résultats aussi. Ils doivent être donnés par le Cei à 15 heures. Personne ne veut prendre le risque de se retrouver dehors à ce moment-là. «Il peut y avoir des troubles vu que aucune partie ne semble prête à accepter les résultats », affirme Chantal A., restauratrice. Ce lundi, elle n’a pas ouvert.
COUVRE-FEU ET ANGOISSE DES RÉSULTATS Dans les rues, quelques voitures circulent. Quelques passants sont arrêtés devant les kiosques à journaux. Dans la commune de Cocody par exemple, les écoles sont restées fermées. Sur le plateau (centre des affaires), les entreprises comme certains commerces ont quand même ouvert. « Aujourd’hui c’est journée continue. On ferme à 13 heures », affirme K Zadi, patron d’un cabinet d’immobilier. On compte les heures, en jonglant entre la télé, la radio et les journaux. 15 heures, aucun résultat n’est donné. On s’impatiente. La télévision nationale diffuse en boucle des spots pour inciter à la paix et à l’acceptation des résultats. Mais pour les Ivoiriens l’attente devient trop longue. « Je pense que la Cei veut attendre le couvre feu pour annoncer les résultats. Comme ça, personne n’osera sortir pour contester ». Ce lundi, le couvre feu débute à 19 heures. Peu avant, Bamba Yacouba, le porte- parole de la Commission électorale, apparait à la télévision des feuilles en main. « Enfin », exultent certains. Mais cette joie sera de courte durée. Le porte-parole de la Cei donne juste les résultats de la Diaspora. « Laurent Gbagbo 40,03%, Alassane Ouattara 59,97% ». Des résultats qui représentent moins de 1% des votes. Rendez-vous est pris pour le lendemain mardi où Bamba Yacouba promet de revenir avec tous les résultats. Ce nouveau rendez-vous va ouvrir la porte à une grosse machine à rumeurs qui était déjà en activité depuis le premier tour du scrutin.
Capture d'écran de Twitter (Cliquez pour agrandir)
ABIDJAN, PREMIER PRODUCTEUR ET CONSOMMATEUR DE RUMEURS Mardi 30 novembre. Jamais, en une journée, les nouvelles les plus folles n’avaient envahi ainsi la capitale ivoirienne. «Le chef d’Etat major a été enlevé ». « Des éléments du Lmp (La majorité présidentielle de Laurent Gbagbo - ndlr) sont postés devant la Cei ». « Gbagbo va bloquer le pouvoir ». « La RTI (télévision ivoirienne) prise en otage ». Les téléphones portables sont quasi saturés de ces sms. En attendant, la Cei ne peut respecter son rendez vous de ce mardi 10 heures. Les rumeurs s’amplifient lorsque les techniciens de la télévision quittent subitement le siège de la commission électorale où ils étaient en poste pour diffuser les résultats. Quelques instants après, les journalistes sont priés de quitter les lieux. Les commentaires vont bon train. «Un coup d’Etat se prépare », disent certains. «Le RHDP (opposition) veut tripatouiller les résultats » affirment d’autres. A la télévision, aucune information. Les Ivoiriens qui le peuvent se rabattent sur les chaînes étrangères pour s’informer et relayer les news via SMS. A défaut de la télévision on se rend sur Internet. RUMEURS 2.0 En termes d’« usine » à rumeurs, Facebook et Twitter arrivent en pôle position. Chaque camp engagé dans l’élection utilise ces réseaux sociaux pour tirer la couverture à soi. C’est aussi une source d’information privilégiée pour la Diaspora. La « twittosphère » ivoirienne s’active. Il pleut des twitts à la seconde. Le hashtag le plus utilisé est #civ2010. Mais aussi #presivoir10, #wonzomai, #cei etc… Dans cette avalanche d’informations, on trouve de tout. Le vrai côtoie le faux. Des internautes prétendent avoir des résultats « de sources sûres ». Tantôt le président sortant est en tête, tantôt c’est son rival. De son côté, Facebook joue son rôle de « petit média » mais à grande diffusion. Tout y passe. Photos, vidéos, textes. La rumeur enfle. Mais l’angoisse aussi.
Capture d'écran de Facebook (Cliquez pour agrandir)
Les sites « made in Côte d’Ivoire » ne sont pas en reste. Certains essaient de rester impartiaux, relayant l’info rapportés par les citoyens. Avenue225 propose une couverture multimédia de ces élections. Avec des correspondants dans toute la Côte d’Ivoire, les articles tombent toutes les heures. Un fil chronologique restitue chaque évènement. Alldeny propose une application pour recevoir les résultats donnés par la Cei, enrichis de Statistiques. On peut même « géolocaliser » les événements et les troubles dans le pays via la plateforme Wonzomai.
Pour couronner le tout, dans la soirée, une scène incroyable attise les suspicions. Des membres de la Commission électorale empêchent la proclamation de certains résultats par le porte parole de la Cei devant les médias internationaux. Au final, il n’y aura pas de résultats ce mardi soir. Il faudra attendre « demain, 1er décembre à 11 heures » pour que les résultats provisoires soient donnés par la Cei. Le dernier virage… ou pas ? PAS DE FUMÉE BLANCHEMercredi 1er décembre. La journée de mercredi est moins animée. Les Ivoiriens savent que la Cei ne respectera pas le délai. En attendant, on se « délecte » des news et des rumeurs sur internet. On zappe, passant de la télévision nationale aux chaînes étrangères. La routine depuis 3 jours. « Quand ils seront prêts, ils vont nous le dire », affirme désespérée Yvette Siamba, étudiante. Elle vient d’apprendre sur Facebook qu’aucun journaliste (hormis ceux de la télévision nationale) n’est admis au siège de la commission électorale, où les négociations continuent entre les membres pour que les résultats soient enfin donnés. Les Abidjanais restent terrés chez eux attendant en vain une probable proclamation à la mi-journée. Commerces, entreprises, écoles… tout est fermé dans la plupart des quartiers. Une situation qui risque de durer surtout que dans l’après midi un « décret présidentiel » lu sur les antennes de la télévision nationale « prolonge le couvre feu ». 21 heures. Toujours pas de résultats. La Cei a désormais 3 heures pour les donner. Des informations fusent de partout affirmant que « tous les membres de la commission sont d’accord sur les résultats de 15 des 19 régions ». 4 régions du nord suscitent encore des discussions. Pendant ce temps, les deux camps se « battent » par médias interposés. Le camp du président Gbagbo accuse sur la Rti son rival d’avoir triché dans les régions du Nord. Alassane Ouattara de son côté demande à la Cei de proclamer incessamment les résultats, appelant « son frère » Gbagbo à les accepter. A 22 heures 30, le porte parole du président sortant intervient à la télévision pour démentir des rumeurs donnant l’opposition vainqueur. Il est minuit. Dans les maisons, les citoyens sont déçus. Ils ont attendu trois jours en vain. Point de résultats. Il n’y aura pas eu de fumée blanche.