Présidentielle à Madagascar : l'abstention, un désaveu pour le président sortant ?

Au lendemain du premier tour de la présidentielle à Madagascar, le taux de participation est scruté de près alors que le collectif de dix candidats d'opposition avait appelé à boycotter le vote. Le camp du président sortant parie sur une victoire au premier tour mais l'opposition affirme d'ores et déjà qu'elle ne reconnait pas l'élection.

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Le président sortant et candidat à sa succession Andry Rajoelina lors d'un meeting de sa campagne électorale, 12 novembre 2023, Antananarivo.

AP Photo/Alexander Joe
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Vingt-quatre heures après le vote du 16 novembre à Madagascar, les premiers résultats de la présidentielle communiqués par la CENI, la Commission nationale électorale indépendante, sont très parcellaires et portent sur environ 10% des 27.375 bureaux de vote à travers le pays. Un chiffre est néanmoins particulièrement scruté dès à présent, celui de la participation.

Dès le soir du vote, le Collectif des 10 candidats d'opposition qui ont appelé à boycotter l'élection se félicitait des "résultats provisoires du taux de participation donné par les observateurs, qui sont au plus bas depuis l'histoire électorale de Madagascar". S'exprimant en leur nom, l'un des 10 candidats Hajo Andriananainarivelo avance le chiffre de "22% de participation", un chiffre qui n'est « pas officiel » précise-t-il.

Par la voix de son rapporteur général Soava Andriamarotafika, la CENI a annoncé pour sa part un chiffre de 39% de participation, mais basée sur seulement quelque 130.000 inscrits sur les 11 millions d'électeurs... Un taux de participation qui restera constant lors des différentes annonces de la CENI le lendemain en fin de journée d’après 11% des bureaux de vote. La CENI a déclaré qu’elle donnerait les résultats préliminaires le 24 novembre. 

Entre 2018 et aujourd’hui, il y a vraiment une montée en puissance des capacités d’expertise de la société civile à Madagascar
Christiane Rafidinarivo, chercheuse invitée à Sciences Po

Le rôle et l'action des observateurs nationaux et internationaux

S’il est difficile d'interpréter des chiffres de la CENI si parcellaires, le Collectif des candidats fait le choix de s’appuyer sur "les observateurs" pour faire valoir une forte abstention. Et pour cause, ce collectif met en doute l’impartialité de l’ensemble des institutions nationales chargées de l’élection, la CENI et la Haute Cour Constitutionnelle. Certaines déclarations émanant de tiers ont évoqué « une faible participation », à l’instar de l’Ambassade des Etats-Unis qui se dit « préoccupée » par les rapports à travers le pays. Citant des sources internes à la CENI, l’AFP rapportait un chiffre de 20% voire moins.

L’Observatoire des élections Safidy, une organisation de la société civile malgache qui a déployé 5000 volontaires à travers le pays, déclarait que la participation était deux fois moindre à la mi-journée par rapport à la précédente présidentielle. « Entre 2018 et aujourd’hui, il y a vraiment une montée en puissance des capacités d’expertise de la société civile à Madagascar, souligne Christiane Rafidinarivo, chercheuse invitée à Sciences Po. Face aux nombreux dysfonctionnements lors des élections passées, des organisations de la société civile ont mis en place des procédés d’observation, d’enquête sur tout le processus électoral. Cela offre plus de possibilités de recoupement ».

Il y a un côté farce de la part des observateurs internationaux qui se présentent à ces élections
Olivier Vallée, économiste et spécialiste de Madagascar

Diverses structures et organisations internationales ont également déployé une mission d’observation de la présidentielle à Madagascar, à l’instar de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), une organisation dont Madagascar fait partie, ou encore de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC). Les observateurs internationaux sont censés apporter une forme de garantie d’objectivité.

Mais leur travail peut être biaisé en fonction de divers facteurs : la durée de la mission, la fréquence, le dispositif et les critères d’observation etc. et bien sûr qui invite et qui paie la mission, énumère Christiane Rafidinarivo. De plus, l’ambition de veiller au respect des normes internationales de la démocratie électorale reste très limitée sur le terrain. « Il y a énormément de maillons du processus de dépouillement puis de production des résultats qui ne sont pas observés […]. Il y a un côté farce de la part des observateurs internationaux qui se présentent à ces élections », commente l'économiste Olivier Vallée, spécialiste de la Grande Île de l'océan indien et auteur de "La société militaire à Madagascar. une question d'honneur(s), paru en 2017, chez Karthala.

Les différents ressorts de l'abstention à Madagascar

Quelle signification donner à une faible participation ? « Cela prouve que le peuple malgache a montré sa maturité politique en restant chez eux et en écoutant l’appel du collectif et de toutes les forces vives de la nation à ne pas cautionner une élection volée d’avance et mal préparée et non inclusive », déclare l’opposant Hajo Andriananainarivelo.

A ce stade, la politologue Christiane Rafidinarivo ne se prononce pas sur les chiffres communiqués. Elle rappelle qu’il faut être prudent sur la mesure de l’abstention mais aussi sur les raisons. « Elles peuvent être multiples : soit résultant de la dépolitisation de l’électorat, ou au contraire une abstention politique qui suit le mot d’ordre de boycott, ou encore une abstention liée à un contexte de pressions interpersonnelles ou entre groupes. Cela mérite une analyse politique ».

Se rendre au bureau de vote est pour beaucoup de gens un effort conséquent, il faut marcher pendant des kilomètres dans des conditions pas toujours faciles. Pourquoi un tel effort, s’il n’y a plus de récompense immédiate ?
Olivier Vallée, économiste et spécialiste de Madagascar

L’économiste Olivier Vallée met en avant d’autres ressorts. A Madagascar, les campagnes électorales sont marquées par la distribution de cadeaux divers, « l’occasion de rajouter quelques milliers d’ariary [1000 ariary équivaut à 0,2 euros, NDLR] à des budgets des personnes très pauvres, d’avoir un sac de riz à partager avant d’aller voter ou après ». Or, avec le boycott de nombreux candidats, « l’offre de présents électoraux a considérablement diminué. C’est déterminant, estime-t-il, car se rendre au bureau de vote est pour beaucoup de gens un effort conséquent, il faut marcher pendant des kilomètres dans des conditions pas toujours faciles. Pourquoi un tel effort, s’il n’y a plus de récompense immédiate ? »   

L’ONG Transparency International à Madagascar a évalué les dépenses de campagne des 3 candidats qui ont participé au scrutin. Les écarts sont exorbitants : 129 milliards d’ariary [plus de 26 millions d'euros] pour Andry Rajoelina dont 4,8 milliards de "dons" [près d'un million d'euros]. Siteny Randrianasoloniaiko a dépensé 4 fois moins avec 33 milliards d’ariary [6,7 millions d'euros] alors que Sendrison Daniela Raderanirina fait de la figuration avec 395 millions ariary [80.000 euros]. Les dix candidats qui ont boycotté ont, eux, dépensé moins de deux milliards d’ariary. Fait remarquable, cette ONG spécialisée dans la lutte contre la corruption fait état de "suspicions de corruption électorale" qu'elle évalue à plus de 46 milliards d'ariary [9,3 millions d'euros] pour le président sortant...

transparency madagascar tableau

Tableau des dépenses de campagne des candidats réalisé par Transparency International Initiative Madagascar

Vers un "troisième tour" difficile

Dans le contexte de tensions préélectorales, le déroulement du scrutin sans heurts est sans doute source de soulagement alors que les autorités ont imposé dès la veille deux couvre-feu nocturnes d’affilée dans la région d'Antananarivo. « C’est positif car il n’y a pas eu le chaos prédit ou redouté, mais désespérant car on ne voit pas de possibilité d’expression d’un véritable sentiment de la population », regrette Olivier Vallée.

« C’est le troisième tour, si un deuxième tour a lieu, qui sera le moment le plus difficile » prévient cet économiste qui, dans une récente analyse, compare la situation politique actuelle à Madagascar à « un deuxième coup d’État pour Andry Rajoelina ».  

Le rapport de force ne finit pas avec le scrutin
Christiane Rafidinarivo, chercheuse invitée à Sciences Po

Il est fort à craindre que la crise devienne postélectorale : le Collectif des candidats a d’ores et déjà annoncé qu’il ne reconnait pas le scrutin du 16 novembre. Un scénario probable est que « fort d’une élection au premier tour avec une large majorité, le président sortant pourra arguer de sa légalité reconnue au niveau international. En cas de protestations, il y aura répression dans la rue », estime Christiane Rafidinarivo.

En face, le Collectif des candidats d’opposition, la mobilisation populaire et de la société civile malgache ainsi que la plateforme de médiation de personnalités morales malgaches associées à la présidente de l’Assemblée nationale vont recueillir des éléments supplémentaires pour documenter les dysfonctionnements, le processus inéquitable et les répressions en vue de recours juridiques, mais aussi politiques, souligne la politologue. Que ce soit dans la rue ou non, « le rapport de force ne finit pas avec le scrutin ».