Vous attendiez-vous à un second tour ?
On l'annonce depuis plusieurs mois déjà. Vu l'avancement démocratique du Sénégal et le découpage électoral du pays, on ne peut plus envisager une victoire au premier tour. Il y a un équilibre des forces politiques tel que personne ne peut passer au premier tour.
Abdoulaye Wade disait pourtant être sûr de l’emporter au premier tour.
Il était dans la communication. D'ailleurs, dans la nuit qui a suivi le scrutin du 26 février, son porte-parole a appelé la radio Futurs Médias pour dire que Wade était passé au premier tour et qu'il allait convoquer un point presse le lendemain pour apporter les éléments de preuve. Pourquoi ? Parce que tout chef d'Etat africain sortant qui ne passe pas au premier tour a de fortes chances d'être puni au second ! Ils voulaient éviter cela et ont donc communiqué énormément sur une victoire au premier tour, jusqu'au dernier moment.
Ce second tour est-il un revers pour lui ?
Absolument ! L'issue du scrutin ne fait aucun doute et il le sait. C'est l'histoire à rebours. Ce qui s'est réalisé pour Diouf en 2000 risque de se répéter pour Wade en 2012.
Selon vous, Wade va donc perdre cette élection ?
Il a encore une courte marge de manoeuvre. D'abord il va essayer de mobiliser les nombreux abstentionnistes - près de la moitié des électeurs ne s'est pas déplacé au premier tour - mais tous ne lui sont pas acquis. Ensuite, il peut compter sur l'abstention du second tour : des électeurs qui ne sont convaincus par aucun des deux candidats ne feront pas des centaines de kilomètres pour choisir entre un Wade et un "Wade light".
Mais attention, il y a plusieurs facteurs en faveur de Macky Sall.
D'abord, tous les leaders de l'opposition ont dit clairement qu'ils ne voteraient pas ni n'appelleraient à voter Wade s'il y avait un second tour. C'est "tout sauf Wade !" Donc soit ils s'abstiendront, soit ils se rallieront à Sall. Ils sont actuellement en tractations avec lui et le feront s'ils obtiennent gain de cause - notamment sur la promesse de raccourcir la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans.
Ensuite, les Sénégalais ont un désir de changement très élevé. Ils veulent se débarrasser d'Abdoulaye Wade comme ils ont voulu se débarrasser d'Abdou Diouf. Ce sera un vote-sanction, un référendum contre les 12 ans de mauvaise gouvernance et de manque de transparence de Wade. On peut imaginer que Macky Sall - même si c'est un fils spirituel du président sortant - sera plus moderne et moins arrogant qu'Abdoulaye Wade.
Enfin, il y aura des défections au sein même du camp de Wade. Certains notables de son parti et même des ministres - et non des moindres - sont actuellement en pourparlers secrets avec Sall pour négocier leur entrée dans un futur gouvernement voire sa protection pour éviter de finir derrière les barreaux.
Si Wade perd, pourrait-on assister à un scénario à l’ivoirienne, avec un président sortant refusant de reconnaître le verdict des urnes ? Absolument pas. Wade a essayé de nier le verdict des urnes lors du premier tour et je suis persuadé que l'Europe et les Etats-Unis lui ont conseillé de ne pas entrer dans ce scénario de confiscation du pouvoir.
Au second tour, je pense que l'écart de voix entre les deux candidats sera beaucoup plus net, et je ne vois pas comment il pourrait refuser l'évidence.
De plus, il n'existe pas au Sénégal la fracture qu'il existe en Côte d'Ivoire. S'il essayait de confisquer le pouvoir, Wade risquerait de se retrouver très seul, rejeté par la population et par l'armée.