Fil d'Ariane
Selon les organisations de la société civile et les défenseurs des droits de l'homme, au moins une centaine de prisonniers politiques seraient détenus en République du Congo. Ces arrestations politiques se sont accentuées au cours des deux derniers mandats de Denis Sassou Nguesso, chaque période correspondant à une situation politique particulière.
Ancien ministre de la Justice du Congo-Brazzaville, devenu opposant au chef de l'état, Jean-Martin Mbemba est soupçonné par les autorités d'être mêlé à une "tentative de déstabilisation des institutions". Depuis mai 2013, la Direction de la surveillance du territoire (DST) a ouvert une enquête contre lui pour "possession d’armes de guerre". Jean-Martin Mbemba, président du parti Union pour le progrès, dirige aussi la Commission nationale des droits de l'homme de son pays, a été évacué en France en juin 2014 pour y recevoir des soins. Plusieurs de ses partisans sont également détenus. C'est le cas notamment d'Eric Souami, arrêté le 13 février 2013 et mort en prison ainsi que Me Samba Mountou Loukossi, arrêté le 31 mars 2013.
Le colonel Marcel Ntsourou, a d'abord été le numéro 2 des services de sécurité congolais, avant de devenir un opposant à Denis Sassou-Nguesso. Il finit par être mis en cause dans l’explosion du dépôt de munitions de Mpila (quartier nord de Brazzaville), qui a officiellement fait 282 morts, le 4 mars 2012. Le 16 décembre, une perquisition à son domicile donne lieu à des combats féroces avec les forces de sécurité nationales. Marcel Ntsourou est arrêté, avant d'être jugé et condamné à cinq ans de travaux forcés avec sursis, pour "rébellion, détention illégale d’armes de guerre et de munitions, assassinat, coups et blessures volontaires et association de malfaiteurs ". Le vendredi 17 février 2017, à la suite d’un malaise, il est sorti de sa cellule et emmené à l’hôpital militaire de Brazzaville, où il décède. Trésor Nzila, de l'Observatoire congolais des droits de l'homme (OCDH) a regretté la mort d'un "témoin-clé" dans l'affaire dite des "disparus du Beach". Une cinquantaine de ses collaborateurs ont également été arrêtés au cours de cette période. C'est le cas de l'activiste Cyr Mvoubi, en prison depuis décembre 2014.
En avril 2015, après une phase de consultations avec l'opposition (le dialogue inclusif"), le chef de l'état décide d'organiser un référendum sur une nouvelle constitution. Ce nouveau texte lui permettrait de briguer un troisième mandat et de se porter candidat au-delà de la limite d'âge des 70 ans. Le référendum aura lieu le 25 octobre 2015 et la nouvelle constitution sera promulguée le 6 novembre. Ancien collaborateur de l'opposant historique Bernard Kolelas, Paulin Makaya a passé plusieurs années en exil à Londres après 1997.
Paulin Makaya, président des forces Républicaines Démocratiques (FRD)
©ACATDe là, il animait son parti les Forces Républicaines Démocratiques (FRD). Rentré au Congo en juillet 2015 pour s'impliquer dans l'élection présidentielle, il prend part à la marche de désobéissance civile du 20 octobre à Pointe-Noire et appelle à boycotter le référendum constitutionnel. Il est arrêté trois jours plus tard. Le 30 octobre, une perquisition se déroule à son domicile, ou la police affirme avoir découvert des armes d'assaut et des "documents séditieux". Il sera inculpé pour "détention illégale d’armes de guerre et participation à une marche pacifique non autorisée". Il est toujours en prison, avec plusieurs autres activistes, ayant protesté contre ce référendum. Amnesty International a demandé sa libération.
Le 24 mars 2016, le résultat de l'élection présidentielle est proclamé. Denis Sassou-Nguesso, 72 ans, est élu dès le premier tour avec 60,39% des voix. Il est suivi par Guy-Brice Parfait Kolélas (15,05%), Jean-Marie Michel Mokoko (13,89%), Pascal Tsaty-Mabiala (4,40%), André Okombi Salissa (3,96%) et Claudine Munari Mabondzo (1,65%). L'opposition conteste le résultat électoral. Le général Mokoko demande un recomptage des voix. Plusieurs opposants sont arrêtés et incarcérés au cours de cette période:
- le 7 mars 2016: Jean Ngouabi, partisan de Jean-Marie Michel Mokoko et en charge des vérifications des élections dans les régions du nord.
- le 31 mars 2016: Marcel Pika, resortissant américano-congolais, ancien général à la retraite, soutien de Jean Marie Michel Mokoko.
- 21 octobre 2016: Roland Gambou, frère d'André Okombi Salissa. Il meurt le 21 décembre en prison.
- 9 janvier 2017: Arrestation d'André Okombi Salissa, en cavale après avoir fait une déclaration publique indiquant qu'il ne reconnaissait pas le résultat de la présidentielle.
- Le prisonnier qui cristallise tous les regards est Jean-Marie-Michel Mokoko: ancien chef d’État-major des armées du Congo (de 1987 à 1993), ancien élève de l'école militaire de Saint-Cyr (France) et ancien représentant spécial de la présidente de la Commission de l'Union africaine en Centrafrique.Probable vainqueur de la présidentielle selon l'opposition, il a toujours refusé de reconnaître les résultats électoraux et de rencontrer le président élu Denis Sassou Nguesso. Il est en prison depuis le 3 avril 2016, a été inculpé le 16 juin pour "atteinte à la sûreté intérieure de l’État et détention illégale d’armes et munitions de guerre".
Le 4 avril 2016, soit une dix jours après la proclamation des résultats de la présidentielle, des combats ont lieu entre les forces de sécurité congolaises et des hommes armés, à Mayanga et Makélékélé. Ces quartiers au sud de Brazzaville, peuplés de congolais originaires de la région du Pool, sont traditionnellement acquis à la cause de Frédéric Bintsamou, plus connu sous le nom de "pasteur Ntumi". Le gouvernement dénonce une "action terroriste" perpétrée par les "Ninjas" du Ntumi, qui dément mais ne condamne pas. 17 personnes meurent au cours de ces combats, 55 autres sont interpellées. Depuis, des opérations sont en cours dans la région du Pool, pour mettre la main sur le pasteur Ntumi. Depuis plusieurs arrestations et disparitions ont été dénoncées par les défenseurs des droits de l'homme et membres de la société civile. La dernière en date étant celle de Christine Balandakana. Soupçonnée d'être une proche du pasteur Ntumi, elle a été enlevée le 21 juin avec ses deux enfants, par des hommes armés.
Les organisations de droits de l'homme et organes de la société civile dénoncent des enlèvements et détentions arbitraires depuis 2013. Le 26 juin, l'ADHUC (l'Association pour les droits de l'homme et l'univers carcéral) et l'OCDH (Observatoire congolais des droits de l'homme) ont publié un rapport, étayé de photos, sur les multiples cas de torture dans les prisons congolaises. Beaucoup d'opposants politiques auraient subi des exactions, d'autres seraient morts entre les mains de leurs geôliers. En septembre 2016, Me Maurice Massengo-Tiassé, deuxième président de la commission nationale des droits de l'homme du Congo-Brazzaville, a déposé un rapport sur les prisonniers politiques auprès du conseil des droits de l'homme de l'ONU, à Genève et auprès de la Cour Pénale Internationale. Avec l'espoir de l'ouverture d'une commission d'enquête internationale.