Procès Gbagbo : à quoi sert la Cour pénale internationale ?

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gbagbo CPi
Que dit l'acquittement de Laurent Gbagbo de la CPI  ?
©AP Photo/Peter Dejong
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La Cour pénale Internationale (CPI) vient de rendre son verdict : l'ancien Président ivoirien, Laurent Gbagbo, et l'ex-chef des Jeunes Patriotes, Charles Blé Goudé, sont acquittés. Les deux hommes étaient poursuivis pour crimes contre l’humanité après les violences postélectorales de 2010 et 2011. Au-delà de la seule Côte d'Ivoire, où la donne politique pourrait être bouleversée, la question de l'utilité même de la CPI est posée. Tentons d'y voir clair avec la chercheuse Raphaëlle Nollez-Goldbach...

D'Abidjan à La Haye la décision était attendue. Au procès de Laurent Gbagbo et de son fidèle lieutenant, Charles Blé Goudé, le jugement de la Cour Pénale Internationale devait faire date.... Et c'est exactement ce qu'il s'est passé.

Ce 15 janvier 2019, les juges de la CPI ont décidé d'acquitter les deux hommes poursuivis pour crimes contre l'humanité.

Estimant que "l'accusation ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve conformément aux critères requis" par la justice internationale, ils ont en outre ordonné la mise en liberté de l'ancien président de la Côte d'Ivoire. Ce procès durait depuis trois ans.

Laurent Gbagbo acquitté
Laurent Gbagbo à l'annonce du verdict le 15 janvier 2019
©Associated Press/ Peter Dejong, Pool


Comment interpréter cette décision ? Le fonctionnement de la CPI doit-il être remis en cause ? L'analyse de Raphaëlle Nollez-Goldbach, chargée de recherche au CNRS et auteure de "La Cour pénale internationale" aux éditions Que sais-je.
 

TV5MONDE : Pourquoi les juges ont-ils rendu cette décision ?

Raphaëlle Nollez-Goldbach : C'est une décision un peu particulière parce qu'elle intervient en cours de procédure : à la fin de la présentation des preuves de l'accusation, les avocats de la défense ont fait une demande de non-lieu en estimant que les preuves étaient insuffisantes. Et c'est d'ailleurs toujours sur ce fondement que des acquittements ont déjà été prononcés à la CPI. Ce ne sont pas des acquittements pour dire que les accusés n'ont rien fait. Le dossier de l'accusation ne comportait tout simplement pas assez de preuves pour démontrer la responsabilité de Laurent Gabgbo.

Faut-il y voir un aveu d'impuissance de la Cour pénale internationale ?

Oui et non. Ce n'est pas une preuve d'impuissance car le procès a bien eu lieu. C'est surtout la marque de sa grande difficulté à mener des enquêtes correctes. La grande faiblesse de la Cour aujourd'hui n'est pas dans l'absence de poursuites - car elle poursuit des chefs d'États - mais dans le fait qu'il n'y a pas vraiment d'enquête. Les investigations sont mal menées, le bureau du procureur va peu sur le terrain et il se contente de rapports d'ONG ou de ce que lui transmettent les États.

Il y a une faiblesse dans la manière dont sont menées les enquêtes. 


Pourquoi ? Il y a un manque de moyens à la CPI ?

C'est difficile de le savoir mais le budget de la Cour est élevé et il a encore été augmenté cette année. En fait ce sont les pratiques du bureau du procureur qui sont très critiquées. Les États membres de la CPI se réunissent chaque année et ils ont à nouveau demandé au bureau du procureur de modifier ses pratiques, d'enquêter plus et d'allouer ses ressources de manière précise. Ce que l'on voit c'est qu'il y a une faiblesse dans la manière dont sont menées les enquêtes. 

Pourquoi le bureau du procureur ne se donne-t-il pas les moyens ? Cela décrédibilise la Cour Pénale internationale...

Absolument. Quand on acquitte faute d'éléments de preuve qui démontrent la culpabilité c'est qu'il y a une lacune dans les enquêtes. Il faudrait un changement des pratiques du bureau du procureur, c'est une évidence. L'élection du nouveau procureur a lieu l'année prochaine, en 2020, et tous les États membres s'accordent à penser que ce sera un moment crucial pour la Cour et qu'il faut un changement radical. Il faut qu'il y ait un changement au sein du bureau du procureur. C'est à mon avis un point crucial pour la survie de la Cour et sa crédibilité.
 

La Cour pénale internationale

Date de création : 17 juillet 1998, par le statut de Rome. Le traité n'entre en vigueur qu'en 2002, lorsqu'il est ratifié par soixante États à l'époque et la Cour entre en fonction en janvier 2003. Aujourd'hui elle compte 124 pays membres.

Siège : La Haye, aux Pays-Bas

Composition : 18 juges, une Présidente (Chile Eboe-Osuji, Nigeria) et une Procureure (Fatou Bensouda, Gambie)

Rôle : Il s'agit du premier tribunal permanent chargé de juger les auteurs de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide.

Enquêtes : onze dossiers ont été ouverts jusqu'à présent dans neuf pays dont huit africains (Ouganda, République démocratique du Congo, Centrafrique, Soudan, Kenya, Libye, Côte d'Ivoire, Mali, Burundi) et la Géorgie.