Fil d'Ariane
Deuxième avertissement pour la Tunisie du président Kaïs Saïed. Après le haut représentant de l’Union européenne, c’est au tour de son homologue américain de tirer la sonnette d’alarme sur le risque d’effondrement de la Tunisie.
Pour Antony Blinken, il y a un risque que "l’économique s’effondre". "La chose la plus importante qu'ils puissent faire en matière économique est de trouver un accord avec le FMI", a dit le secrétaire d'État américain en réponse à une question lors d'une audition devant le Sénat à Washington.
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Pour Josep Borrell, c’est l’État qui pourrait s’effondrer. Ce que craint particulièrement le chef de la diplomatie européenne, c’est "des flux migratoires vers l'UE et d'entraîner une instabilité dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord." Selon des chiffres officiels italiens, plus de 32.000 migrants sont arrivés clandestinement en Italie en provenance de Tunisie en 2022.
Le ministère tunisien des Affaires étrangères a réagi dans un communiqué. "Les propos prononcés sont disproportionnés tant au vu de la résilience bien établie du peuple tunisien tout au long de son histoire, que par rapport à une menace migratoire vers l'Europe en provenance du sud".
Selon le FMI, l’économie tunisienne devrait connaître une croissance de 1,6% en 2023 et l’inflation 8,5%. Le taux de chômage s’élève lui à 16,2% en 2022.
Depuis plusieurs mois, le pays négocie l’octroi d’un prêt de 1,9 milliard de dollars. Mais malgré un accord de principe en octobre les négociations piétinent.
L’accord conclu en octobre nécessite la mise en oeuvre par la Tunisie de réformes en vue de réduire ses déficits, notamment "la levée graduelle des subventions généralisées et coûteuses des prix, en procédant à des ajustements réguliers pour aligner les prix nationaux aux prix mondiaux, tout en offrant une protection ciblée adéquate aux catégories vulnérables de la population (notamment par le biais de transferts sociaux)" indique le communiqué du FMI.
Dans une interview accordée en février 2023 à The National, quotidien anglophone lancé aux Emirats Arabes Unis et basé à Londres, la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva reconnaît que certaines des réformes attendues de la part de la Tunisie "se sont avérées plus difficiles" nécessitant "plus de temps aux autorités pour les mettre en œuvre".
Or les Européens conditionnent aussi leurs aides à la Tunisie à la signature de cet accord avec le FMI. "L'Union européenne ne peut pas aider un pays incapable de signer un accord avec le Fonds monétaire international", a soutenu M. Borrell.
Les agences de notation indiquent qu'en cas de non accord, la Tunisie pourrait faire défaut. Elle est confrontée à une crise de balance des paiements généralisée. Si la plupart de sa dette est interne, elle a des remboursements de prêts étrangers dus cette année.
Le président Kaïs Saïed refuse de signer l’accord par crainte de devoir imposer des mesures impopulaires comme la fin de subventions sur les produits de base et des hydrocarbures et la restructuration des entreprises publiques.
Mais le remède prôné par le FMI semble pire que la maladie selon Nawaat. Selon ce média d’investigation indépendant tunisien, l’accord FMI-Tunisie "risque de provoquer la colère des plus démunies et, ainsi, faire éclater la bombe sociale au lieu de la désamorcer".
Pour l’ONG EuroMed Rights, la protection sociale est un droit humain, qui doit être garantit à tous, pas uniquement aux plus démunis et vulnérables comme le veut le FMI, "mais aussi à la classe moyenne". "Le cas de la Tunisie n’est qu’un exemple de la manière dont les mesures d’austérité continuent d’occuper une place centrale dans les conditions de prêt du FMI, mais il existe des alternatives", insiste l'ONG qui est membre de la campagne mondiale pour la fin de l'austérité, End Austerity. Et de citer "la redistribution des richesses et des ressources publiques, la réduction de la dette et les réformes fiscales qui favorisent le financement solidaire".
Antony Blinken s’inquiète aussi de la situation politique en Tunisie. Il n’est pas le seul. L’opposition tunisienne dénonce "une dérive autoritaire".
Le président Kaïs Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021. Par ailleurs, les autorités ont arrêté depuis février plusieurs personnalités de l'opposition, des ex-ministres, des hommes d'affaires et le directeur de la radio privée la plus écoutée de Tunisie.
Dans son rapport de mars 2023, l’ONG Civicus, observatoire de l’espace public dans le monde, a rétrogradé la Tunisie dans la catégorie "réprimé", l’avant-dernière catégorie sur cinq.
Un autre aspect de la politique du président Kaïs Saïed a eu des répercussions sur ses relations avec une autre institution financière internationale. La Banque mondiale a décidé le 6 mars de suspendre son cadre de partenariat avec la Tunisie après une montée des exactions contre les migrants africains dans le pays à la suite d'un discours incendiaire du président Kais Saied sur l'immigration illégale.
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Cette suspension "jusqu'à nouvel ordre" du programme de partenariat signifie de facto un gel de tout nouveau financement à la Tunisie, déjà engluée dans une grave crise financière.
Un éventuel accord avec le FMI dépend aussi de certains financements à débloquer par la Banque Mondiale, dont la décision de suspendre le programme de partenariat avec la Tunisie pourrait à cet égard constituer un nouveau contretemps dans les négociations.
"Le FMI pourrait hésiter à finaliser un accord qui était déjà controversé maintenant que l'autre grand bailleur, basé (aussi, ndlr) à Washington, se met en retrait", estime le responsable de la Banque Mondiale parlant sous couvert d'anonymat.