Quel rôle joue les Émirats arabes unis dans la guerre au Soudan ?

Le Soudan a déposé une plainte devant la Cour internationale de justice contre les Émirats arabes unis, jeudi 6 mars. Le pays en guerre depuis bientôt deux ans les accuse de complicité de génocide. Voici tout ce qu'il faut savoir sur le rôle des Émirats arabes unis au Soudan.

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Des femmes ayant fui la guerre au Soudan

Des femmes ayant fui la guerre au Soudan se reposent dans un camp de réfugiés à Adre, au Tchad, le samedi 5 octobre 2024. 

AP Photo/Sam Mednick
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Le Soudan accuse les Émirats arabes unis de complicité de génocide, dans une plainte déposée devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui met en lumière l'implication présumée de la monarchie pétrolière du Golfe dans la guerre qui ravage le pays. 

Abou Dhabi est depuis longtemps accusé par Khartoum et d'autres acteurs de soutenir les Forces de soutien rapide (FSR), les paramilitaires en guerre depuis bientôt deux ans avec l'armée, ce que démentent les Emirats.   

Pourquoi le Soudan est-il important pour les Émirats ?

Le Soudan est l'un des plus grands pays d'Afrique par sa superficie et dispose de vastes ressources naturelles, notamment terres agricoles, gaz et or. Le pays borde la Libye, où Abou Dhabi est accusé de soutenir le camp de l'Est face au gouvernement de Tripoli (ouest), reconnu par l'ONU, et possède un accès à la mer Rouge, axe stratégique du commerce pétrolier. 

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En 2021, le chef de l'armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhane, prend le pouvoir par un coup d'Etat aux côtés de son adjoint d'alors, le commandant des FSR, Mohamed Hamdane Daglo. Deux ans plus tard, un conflit éclate entre les deux généraux, impliquant divers acteurs internationaux, Émirats, Égypte, Turquie, Iran et Russie, tous soupçonnés de soutenir l'un ou l'autre camp. 

"L'objectif principal des Émirats au Soudan est d'exercer une influence politique sur un pays très important sur le plan stratégique", estime Andreas Krieg, spécialiste de la sécurité au Moyen-Orient à King's College London. 

Des entreprises émiraties liées à l'État voient dans le Soudan un hub pour investir dans les ressources naturelles et faire du commerce, poursuit-il. 

Pour le chercheur soudanais Hamid Khalafallah, ce pays aride s'intéresse aux ressources qui lui font défaut, notamment les minerais et terres arables. 

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De la Libye à la Somalie, "on observe un schéma où les Émirats collaborent avec des groupes paramilitaires pour exploiter les ressources du continent", souligne-t-il. 

Un rapport de l'ONG Swissaid estimait l'an dernier qu'en 2022, 66,5% des exportations d'or africain vers les Émirats avaient été effectuées illégalement. 

Premier acheteur mondial d'or soudanais, secteur largement contrôlé par les FSR, Abou Dhabi est un acteur clé du commerce de ce métal précieux. 

Mais il serait "trop simpliste" de réduire les intérêts émiratis à l'or, nuance Federico Donelli, professeur de relations internationales à l'université de Trieste. Selon lui, Abou Dhabi chercherait également à contrer l'influence saoudienne au Soudan et à contenir l'essor de l'islam politique, perçu comme une menace sécuritaire. 

Quels liens avec les paramilitaires ?

Les relations des pays du Golfe avec l'armée soudanaise remontent à la guerre au Yémen, où Khartoum a rejoint la coalition dirigée par Ryad en 2015. 

Le général Burhane commandait les troupes soudanaises déployées sous l'égide saoudienne, et les FSR combattaient aux côtés des forces émiraties, rappelle Federico Donelli du Nordic Africa Institute. 

Le fossé entre Ryad et Abou Dhabi, alliés traditionnels, s'est depuis creusé. Selon M. Donelli, le soutien émirati présumé aux FSR viserait à "contrer les objectifs saoudiens". 

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Cette alliance serait également idéologique, décrypte Andreas Krieg, car les paramilitaires se montrent disposés à contenir les Frères musulmans, un mouvement interdit aux Émirats et dans d'autres pays arabes. 

L'armée soudanaise est-elle proche de l'ancien régime islamiste du dictateur déchu Omar el-Béchir. 

Les deux camps ont été accusés de crimes de guerre depuis le début du conflit, qui a fait des dizaines de milliers de morts et plus de 12 millions de déplacés.

En janvier, Washington a accusé les FSR de génocide, massacres et viols de masse. Le même mois, deux élus américains ont affirmé que les Emirats avaient violé leur engagement de ne plus fournir d'aide militaire aux paramilitaires. 

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Selon des diplomates, analystes et ONG, les FSR ont reçu un soutien crucial des Émirats, notamment des armes via le Tchad voisin, des accusations rejetées par Abou Dhabi.   

Les finances personnelles du général Daglo sont gérées depuis les Émirats, dont il est devenu "co-dépendant", souligne Andreas Krieg.

Quels enjeux pour Abou Dhabi ?

Jeudi, le Soudan a saisi la CIJ, la plus haute juridiction de l'ONU, accusant Abou Dhabi de complicité de génocide pour son soutien présumé aux FSR. 

Le poids financier et politique qu'ils ont acquis ces dix dernières années devrait les protéger de toute répercussion sérieuse.

Federico Donelli, Nordic Africa Institute

Les Émirats ont qualifié cette plainte de "coup médiatique" et annoncé leur intention d'obtenir son rejet. 

Les décisions de la CIJ sont juridiquement contraignantes, mais la Cour ne dispose d'aucun moyen pour les faire appliquer. Pour Federico Donelli, cette procédure risque de ternir l'image des Émirats. 

"À l'international comme en Afrique, les Émirats sont de plus en plus perçus comme un acteur déstabilisateur", observe-t-il. Mais "le poids financier et politique qu'ils ont acquis ces dix dernières années devrait les protéger de toute répercussion sérieuse".