Quel rôle joue l’Ouganda dans le conflit en RD Congo ?

L’Ouganda a une présence militaire en République démocratique du Congo depuis des années et apporte aujourd’hui son soutien aux forces congolaises dans le conflit dans l’est du pays. Certains experts pointent néanmoins son "ambiguïté" envers Kinshasa.

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Le président de la République d'Ouganda

Le président de la République d'Ouganda, Yoweri Museveni, s'exprime lors d'une interview, mardi 5 mai 2015, au Waldorf Astoria à New York. Ses partisans pensent que M. Museveni, qui est l'un des plus anciens dirigeants du continent africain, remportera un nouveau mandat s'il décide d'en briguer un en 2016. 

AP Photo/Bebeto Matthews
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Discret dans le conflit qui secoue l'est de la RDC, l'Ouganda y est militairement présent depuis des années et joue sur le territoire de son voisin un jeu à multiples bandes, analysent pour l'AFP des experts qui pointent pour certains son "ambiguïté" envers Kinshasa.

L'armée ougandaise (UPDF) a lancé fin 2021 l'opération "Shujaa" ("héros" en swahili) dans les provinces frontalières de l'Ituri et du Nord-Kivu pour y combattre aux côtés des Congolais les Forces démocratiques alliées (ADF), des rebelles d'origine ougandaise responsables de massacres. 

Juste au sud de ces territoires, le groupe armé M23 et ses alliés rwandais ont, eux, enregistré des gains considérables début 2025 face à l'armée congolaise, appuyée notamment par des soldats sud-africains et burundais. 

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Le M23 a notamment pris Goma et Bukavu, capitales provinciales du Nord et du Sud-Kivu, des nœuds économiques et sécuritaires dans la région enclavée des Grands Lacs.

Parallèlement à ces déroutes congolaises, l'armée ougandaise renforçait plus au Nord ses effectifs en RDC à environ 10.000 hommes. Puis les déplaçait vers la capitale de l'Ituri, Bunia, soulevant des questions sur les intentions ultimes de Kampala, autrefois accusée d'avoir contribué à déstabiliser Kinshasa.

"L'attitude de l'Ouganda reste ambiguë", note Kristof Titeca, expert de l'Afrique de l'Est à l'université belge d'Anvers. "Il est difficile de savoir comment va évoluer son attitude tant envers Kinshasa qu'envers Kigali et le M23."

Or et pétrole

En RDC, le premier objectif de Kampala semble être d'assurer une zone tampon le long de sa frontière, pour se protéger à la fois des ADF et, à plus long terme, des risques politiques chez son voisin, disent plusieurs experts. 

"Il s'agit avant tout d'une question de sécurité", soutient Phillip Apuuli Kasaija, professeur de politique à l'université ougandaise de Makerere, ajoutant que maintenir "la paix (...) assure bien entendu un plus grand marché pour les produits ougandais".

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Fin janvier, le porte-parole de l'armée Felix Kulayigye soulignait lui-même que l'Est congolais était "le marché pour l'Ouganda", pointant la nécessité d'y construire des infrastructures, des "artères du business".

L'accélération des partenariats entre Kinshasa et Kampala fut l'un des moteurs du soutien au M23 de Kigali, qui avait le sentiment d'être "marginalisé", ont pointé en 2024 deux groupes de recherche liés à l'université de New York. 

Comme le Rwanda, l'Ouganda commerce massivement avec l'Est congolais, d'où il importe notamment de l'or d'Ituri. "Ces trois dernières années, les exportations d'or de l'Ouganda sont montées en flèche", note M. Kasaija, avançant que le minerai congolais y est "labellisé comme ougandais et ré-exporté".

Il y a chez Museveni une vraie ambiguïté vis-à-vis du M23.

Diplomate anonyme

Tout près de la frontière, Kampala prépare également l'exploitation de ses importantes réserves pétrolières, avec le français TotalEnergies et le chinois CNOOC. 

Dès 2022, l'institut congolais Ebuteli citait le pétrole comme une possible "raison majeure" à l'opération Shujaa.

Début mars, l'armée ougandaise a cette fois déplacé des troupes vers Mahagi, ville située à environ 50 km des puits de TotalEnergies, pour lutter contre une autre milice congolaise appelée Codéco. 

"Grand frère"

Pour l'Ougandais Yoweri Museveni, un ex-guérillero qui depuis 50 ans assiste - ou participe - en fin tacticien aux multiples conflits régionaux, Shujaa concorde avec plusieurs objectifs personnels, dont le positionnement de son pays en puissance régionale. 

L'Ouganda est notamment intervenu dans les deux guerres du Congo (1996-1997, puis 1998-2003) et au Soudan du Sud. Le 11 mars, Kampala a annoncé un nouveau déploiement à Juba, en proie à de fortes tensions. 

Le président ougandais Yoweri Museveni

Le président ougandais Yoweri Museveni s'exprime au palais de Serbie à Belgrade, en Serbie, le 30 juillet 2023. Le président ougandais Yoweri Museveni a déclaré samedi 23 septembre 2023 que les récentes frappes aériennes contre les rebelles liés au groupe État islamique dans l'est du Congo ont tué « beaucoup » de militants, y compris peut-être un fabricant de bombes notoire. 

AP Photo/Darko Vojinovic

"Historiquement, le président Museveni veut jouer le rôle du vieil homme d'État de la région", abonde M. Titeca.

Le point le plus indéchiffrable reste le sentiment de cet ancien marxiste envers les rebelles du M23, majoritairement des Tutsi congolais disant lutter contre les persécutions. 

"Il y a chez Museveni une vraie ambiguïté vis-à-vis du M23", un groupe pour lequel il nourrit "une sympathie ethnique, celle du grand groupe bahima (lié aux Tutsi et auquel il appartient), et pour les opprimés", pointe un diplomate spécialiste des Grands Lacs.

Mais alors que le Rwanda soutient le M23, le vieux chef d'État entretient, lui, une relation "de grand frère", profondément orageuse, avec le président rwandais Paul Kagame, note ce diplomate.

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Entre les deux, l'ascension de Muhoozi Kainerugaba n'a fait que renforcer le trouble : car le fils de Museveni, chef de l'armée et possible dauphin, affiche un soutien total à M. Kagame. 

Des experts de l'ONU ont affirmé en 2024 que les renseignements ougandais avaient apporté un "soutien actif" au M23, alors même que Shujaa était active. 

Récemment, Museveni a pris soin de déclarer que l'engagement ougandais en RDC n'avait "rien à voir avec le M23", techniquement hors de ses zones d'opération. Il rappelait aussi déplacer ses troupes avec "la permission du gouvernement du Congo".

Mais dans un contexte épineux, la marge de consentement du président congolais Félix Tshisekedi semble limitée, notent les experts. 

"Tshisekedi n'est pas dupe, il sait que le ‘vieux’ peut tout à fait jouer un double jeu", conclut le spécialiste des Grands Lacs.